« Écrivain faisant flèche de tout bois, polyvalent, autobiographie, critique et théoricien d'art, pourfendeur d'académisme pamphlétaire non conformiste et, plus il avança dans la vie, anticlérical, anticolonialiste, pacifiste, antimilitariste, anti-versaillais, chantre de l'amour libre et de l'émancipation féminine, voire, à l'occasion de l'androgynie et de la bissexualité, d'humeur anarchiste, en lutte sur tous tes terrains avec l'ordre établi, donc sur ce chapitre, toujours révolutionnaire pour notre temps. ».
Voilà Gauguin en son jardin.
On l'aura compris Gauguin n'était pas l'adepte du demi ton.
Oviri nous le dit : ce sont les écrits d'un sauvage !
N'y tenant plus, Il plantera femme et enfants au Danemark et choisira son monde.
Un monde où pression familale, sociale et académique lui ficheront une bonne fois pour toute la paix.
« Voilà six mois que je ne parle. L'isolement le plus complet. Naturellement pour la famille je suis un monstre de ne pas gagner d'argent. A notre époque on n'estime que celui qui réussit ».
Gauguin assume . Il assume tout.
Il sait son état de crève faim, de traîne misère mais il sait son chemin.
Rien ne l'arrêtera. « Je suis un grand artiste et je le sais ».
Gauguin assume, c'est décidé il ne s'excusera jamais de rien. Il doute parfois. « Il me semble que je suis fou », il doute mais se souvient toujours de sa raison.
Il est hors norme. Et cela on lui ne pardonne pas.
Il aura connu le bel amour des Marquises mais aussi la haine et la bave des colonies.
Bel homme est celui qui sait faire de vilains corbeaux ses ennemis !
Procureurs, gendarmes, bourgeois, curés, il ne les « démordera » jamais.
Il est un sauvage peut être, mais un vrai sauvage de qui donne la chasse aux chiens de méchante compagnie.
Il respecte la beauté, la vérité, la bonté et ses amis, ses maîtres au delà du temps : Manet, Delacroix dont il explique magnifiquement ses sublimes « défauts » de dessin, , Degas, Ingres. Velasquez, Rembrandt, le céramiste Chaplet., Boticelli, Cranach, Courbet, Giotto, Hosukaï,
Michel-Ange, Raphaël, Cézanne, Pissaro, Renoir, et son voisin de case, ce bon vieux cannibale.
Il ne les suit pas, il se reconnaît en leur compagnie, lui qui se traite de raté lorsque la vie devient chienne.
Il envoie dans le décor l'Académie, les critiques d'Art.
« Vous êtes juges déjà corrompus ; vous avez d'avance une idée toute faite, celle du littérateur, et vous vous croyez trop de valeur pour regarder la pensée d'un autre. »
Grand organiste des couleurs, à ceux qui lui reprochent ses aplats, il répond harmonie naturelle et devant leur surdité il leur crie : bêtise !
Il a toujours gardé confiance en ses choix, et il enrageait de se connaître sans argent car cela l'obligeait à faire moins vite et à perdre son énergie pour sa survie.
« Tu perds un siècle lorsque tu restes dix minutes dans la société d'un sot ».
Se vêtir,se blanchir, manger, se chauffer : occupations d'animal domestique.
Sauvage Gauguin ! Oui ! Homme sauvage ! Travail et non labour ! L'écume du plaisir sur les flancs : oui ! sueur de labour sur l'échine : non !
Rêveur... « comme l'infini nous paraît plus tangible, devant une chose non définie »...
Conscient .. « Je sais bien que l'on me comprendra de moins en moins. Qu'importe si je m'éloigne des autres : pour la masse je serai un rébus, pour quelques uns je serai un poète, et tôt ou tard le bon prend sa place. »
Amical.... « Mon Vincent » , ce « zouave » de van Gogh !
« Je suis primitif, il est romantique »...
...
Odilon Redon et le coeur de ses êtres embryonnaires dans lesquels il rencontrera visage humain. .
Libre ! « ce que l'Etat encourage languit, ce qu'il protège meurt ».
« En Europe l'accouplement humain est une conséquence de l'Amour. En Océanie l'Amour est la conséquence du coït »,
Volcanique alchimiste ! « la matière sortie du feu revêt donc le caractère de la fournaise et devient donc plus grave, plus sérieuse à mesure qu'elle passe par l'enfer. »
Explorateur … « Ce que je désire c'est un coin de moi même encore inconnu ».
Il lutte, il se bat, se démène, s'écorche aux ronces. Il avance , il est vivant.
Commissaires, fonctionnaires, missionnaires, il les sabrent tous à grand coup de palette !
Il ose. Il dit. Il leur écrit : lettre, journal, jusqu'à la porte de sa maison du jouir.
Il a l'honneur d'être, d'être....
Paul Gauguin !
Autorisé... Autorisé au seul plaisir de vivre comme il le doit .
Il connaît l'académie, les salons, les antichambres, il les a fréquenté.
Il connaît l'esprit bourgeois, il s'y est frotté. l'esprit marchand, la finance, les affaires.
Il connaît le prix guerre : Il l'a faite !
« Une terrible époque se prépare en Europe pour la génération qui vient : le royaume de l'or ».
L' Histoire lui donne raison...
Il sait la famille : marié, cinq enfants. Il sait la faim, l'affront, l'humiliation.
Alors il ose puisqu'il sait.
Il sait le Bordel colonial , l'hypocrisie du clergé ( il a fait le petit séminaire) , la petitesse des grandes nations, le mensonge bien pensant, les fausses vertus, la délation.
Sa grand mère
Flora Tristan n'aurait jamais pas pu le renier !
« Tout gouvernement me paraît absurde, tout culte est une idolaterie. Si l'homme est libre d'être un sot, son devoir est de ne plus l'être ».
Dépassé.. Par lui même parce qu'il produit, parce qu'il ressort de lui.
Son oeuvre aiguise son appétit.
Epuisé souvent, mais toujours renaissant :
« Ici, près de ma case, en plein silence, je rêve à, des harmonies violentes dans les parfums naturels qui me grisent ».
Gauguin se concentre, respire, il peint.
Et se fout bien du passé comme du reste.
« Tas d'imbéciles qui veulent analyser nos jouissances ! A moins qu'il se figurent que nous sommes obligés de les faire jouir ».
Il peint ! Il n'est pas un singe savant ! Il est là par et pour son plaisir.
Il le dit, le peint, l'écrit.
« J'estime que la vie n'a de sens que quand on la pratique volontairement. »
Quelle belle et pure volonté il lui aura fallu pour sauvegarder cette grande sauvagerie !
Respirer et écouter les oeuvres de Gauguin c'est se souvenir d'un temps qui ne connaissait pas la cruauté.
Astrid Shriqui Garain