Le paysage qu’on traversait n’était guère propre à dissiper la mélancolie. Au premier plan se tordaient les squelettes convulsifs de quelques vieux ormes tourmentés, contournés, écimés, dont les branches noires aux filaments capricieux se détaillaient sur un ciel d’un gris-jaune très-bas et gros de neige qui ne laissait filtrer qu’un jour livide ; au second, s’étendaient des plaines dépouillées de culture, que bordaient près de l’horizon des collines pelées ou des lignes de bois roussâtres. De loin en loin, comme une tache de craie, quelque chaumine dardant une légère spirale de fumée apparaissait entre les brindilles menues de ses clôtures. La ravine d’une rigole sillonnait la terre d’une longue cicatrice. Au printemps, cette campagne, habillée de verdure, eût pu sembler agréable ; mais, revêtue des grises livrées de l’hiver, elle ne présentait aux yeux que monotonie, pauvreté et tristesse. De temps en temps passait, hâve et déguenillé, un paysan ou quelque vieille courbée sous un fagot de bois mort, qui, loin d’animer ce désert, en faisait au contraire ressortir la solitude. Les pies, sautillant sur la terre brune avec leur queue plantée dans leur croupion comme un éventail fermé, en paraissaient les véritables habitantes. Elles jacassaient à l’aspect du chariot comme si elles se fussent communiqué leurs réflexions sur les comédiens et dansaient devant eux d’une façon dérisoire, en méchants oiseaux sans cœur qu’elles étaient, insensibles à la misère du pauvre monde.
Une bise aigre sifflait, collant leurs minces capes sur le corps des comédiens, et leur souffletant le visage de ses doigts rouges. Aux tourbillons du vent se mêlèrent bientôt des flocons de neige, montant, descendant, se croisant sans pouvoir toucher la terre ou s’accrocher quelque part, tant la rafale était forte. Ils devinrent si pressés, qu’ils formaient comme une obscurité blanche à quelques pas des piétons aveuglés. À travers ce fourmillement argenté, les objets les plus voisins perdaient leur apparence réelle et ne se distinguaient plus.
« Il paraît, dit le Pédant, qui marchait derrière le chariot pour s’abriter un peu, que la ménagère céleste plume des oies là-haut et secoue sur nous le duvet de son tablier. La chair m’en plairait davantage, et je serais bien homme à la manger sans citron ni épices.
— Voire même sans sel, répondit le Tyran ; car mon estomac ne se souvient plus de cette omelette dont les œufs piaillaient quand on les cassa sur le bord du poêlon et que j’ai avalée sous le titre fallacieux et sarcastique de déjeuner, malgré les becs qui la hérissaient. »
Sigognac s’était aussi réfugié derrière la voiture, et le Pédant lui dit : « Voilà un terrible temps, monsieur le Baron, et je regrette pour vous de vous voir partager notre mauvaise fortune, mais ce sont traverses passagères, et quoique nous n’allions guère vite, cependant nous nous rapprochons de Paris.
— Je n’ai point été élevé sur les genoux de la mollesse, répondit Sigognac, et je ne suis point homme à m’effrayer pour quelques flocons de neige. Ce sont ces pauvres femmes que je plains, obligées, malgré la débilité de leur sexe, à supporter des fatigues et des privations comme routiers en campagne.
— Elles y sont de longue main habituées, et ce qui serait dur à des femmes de qualité ou à des bourgeoises ne leur semble pas autrement pénible. »
La tempête augmentait. Chassée par le vent, la neige courait en blanches fumées rasant le sol, et ne s’arrêtant que lorsqu’elle était retenue par quelque obstacle, revers de tertre, mur de pierrailles, clôture de haie, talus de fossé. Là, elle s’entassait avec une prodigieuse vitesse, débordant en cascade de l’autre côté de la digue temporaire. D’autres fois elle s’engouffrait dans le tournant d’une trombe et remontait au ciel en tourbillons pour en retomber par masses, que l’orage dispersait aussitôt. Quelques minutes avaient suffi pour poudrer à blanc, sous la toile palpitante de la charrette, Isabelle, Sérafine et Léonarde, quoiqu’elles se fussent réfugiées tout au fond et abritées d’un rempart de paquets.
Ahuri par les flagellations de la neige et du vent, le cheval n’avançait plus qu’à grand’peine. Il soufflait, ses flancs battaient, et ses sabots glissaient à chaque pas. Le Tyran le prit par le bridon, et, marchant à côté de lui, le soutint un peu de sa main vigoureuse. Le Pédant, Sigognac et Scapin poussaient à la roue. Léandre faisait claquer le fouet pour exciter la pauvre bête : la frapper eût été cruauté pure. Quant au Matamore, il était resté quelque peu en arrière, car, il était si léger, vu sa maigreur phénoménale, que le vent l’empêchait d’avancer, quoiqu’il eût pris une pierre en chaque main et rempli ses poches de cailloux pour se lester.
En 1834, Balzac imagine et commande une canne somptueuse à l'orfèvre parisien le Cointe.
La « pomme » en or, finement ciselée des armoiries des Balzac d'Entraigues, qui n'ont aucun lien avec l'écrivain, est ornée d'une constellation de turquoises, offertes par sa bien-aimée Mme Hanska.
Cette canne est excessive en tout, et très vite, elle fait sensation parmi journalistes et caricaturistes. C'est la signature excentrique de l'écrivain, la preuve visible et provocante de son énergie et de sa liberté, imposant sa prestance au milieu de la société des écrivains. Pour Charlotte Constant et Delphine de Girardin, amies De Balzac, la canne est investie d'un pouvoir magique…
Pour en savoir plus, rdv sur le site Les Essentiels de la BnF : https://c.bnf.fr/TRC
Crédits de la vidéo :
Direction éditoriale
Armelle Pasco, cheffe du service des Éditions multimédias, BnF
Direction scientifique
Jean-Didier Wagneur
Scénario, recherche iconographique et suivi de production
Sophie Guindon, chargée d'édition multimédia, BnF
Réalisation
Vagabondir
Enregistrement, musique et sound design
Mathias Bourre et Andrea Perugini, Opixido
Voix
Geert van Herwijnen
Crédits iconographiques
Collections de la BnF
© Bibliothèque nationale de France
Images extérieures :
Projet d'éventail : l'apothéose De Balzac
Grandville, dessinateur, entre 1835 et 1836
Maison de Balzac, BAL 1990.1
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
La canne De Balzac
Orfèvre le Cointe, 1834
Maison de Balzac, BAL 186
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Sortie des ouvrières de la maison Paquin, rue de la Paix
Béraud Jean (1849-1936)
Localisation : Paris, musée Carnavalet, P1662
Photo © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz
La pâtisserie Gloppe, avenue des Champs-Elysées
Béraud Jean (1849-1936)
Localisation : Paris, musée Carnavalet, P1733
Photo © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz
Balzac à la canne
Illustration pour Courtine, Balzac à table, Paris, Robert Laffont, 1976
Maison de Balzac, B2290
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Balzac, croquis d'après nature
Théophile Gautier, 1830
Maison de Balzac, BAL 333
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Portrait-charge de Balzac
Jean Pierre Dantan, sculpteur, 1835
Maison de Balzac, BAL 972
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Honoré de Balzac
Jean-Théodore Maurisset, graveur, 1839
Maison de Balzac, BAL 252
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Balzac en canne
Jean-Théodore Maurisset, graveur, 1839
Maison de Balzac, BAL 253
CCØ Paris Musées / Maison de Balzac
Comtesse Charlotte von Hardenberg
Johann Heinrich Schroeder (Boris Wilnitsky)
Droits réservés
Delphine Gay (Portrait de Delphine de Girardin)
Louis Hersent, 1824
Musée de l'Histoire de France
© Palais de Versailles, RF 481
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