J'ai pris
Giono de plein fouet.
Le bouquin traînait là, dans mes étagères, jauni, froissé, poussiéreux, et je ne l'avais jamais lu, jamais acheté, jamais désiré.
Il était seulement là, parmi des centaines d'autres livres qui m'ont réconforté, quand j'étais malade de ce monde suicidaire et sadomasochiste, tendres compagnons de mes heures solitaires.
Et puis il y a eu un jour où ç'a été son tour.
Je n'avais plus rien à lire, et il attendait sagement son heure.
Sans enthousiasme, j'ai donc saisi le vieux volume rassis d'indifférence, et j'ai laissé tomber mes yeux sur les premières lignes.
Ils ne s'en sont pas relevés.
Une langue charnelle née des terres arides du sud-est de la France, rencontre de la lavande sirupeuse, du thym acidulé et des pierres coupantes des chemins exposés au mistral.
Des personnages rabotés, usés, cornés par un climat excessif et une nature aussi rude qu'entière — des personnages vivants, mais de cette vie puissante et primitive débarrassée des affectations de la civilisation cupide et vaniteuse.
Une nature, surtout, qui irrigue le langage, la narration, les êtres, qui gronde dans le ciel et tremble dans la terre, qui frémit dans la feuille et chante sous la langue, qui virevolte dans le ciel bleu et cascade dans les torrents. Une nature qui est vivante, puissante, omniprésente, et dont les humains ne sont au final que d'humbles puces cherchant un peu de sens et d'amour sur son dos large et sûr, bien qu'impitoyable.
La première fois que j'ai pris
Giono de plein fouet, c'était par son roman «
Regain », dans lequel mon écriture à moi, studieuse, audacieuse mais terriblement scolaire, s'est heurtée à celle de cet auteur méconnu pour ressortir de ce corps-à-corps cabossée mais libérée.
Lire
Giono, pour moi, ç'a été une sorte de métamorphose. Je croyais tutoyer les cieux mais rampais dans la boue. Les torrents rocailleux dont les orages impétueux du Sud-Est ravagent parfois cieux et paysages dans les livres de
Giono m'ont défait de ma gangue de prétention chenillesque pour m'arracher à ma chrysalide de certitudes.
Avec «
Regain », j'ai déployé mes ailes dans le vent.
Avec «
Que ma joie demeure », elles ont pris des couleurs.
Avec « Un de Baumugne », elles ont battu et attrapé les courants ascendants pour butiner le soleil et les étoiles.
Certains se sentiront brutalisés par le style âpre de cette langue tout encroûtée de bonne terre fertile. Mais, pour ceux qui y planteront les semis de leur sensibilité, nul doute qu'ils y moissonneront des trésors d'émotions et d'images poétiques qui réchaufferont longtemps leurs âmes endeuillées par la modernité et son obsession pour le néant froid et glacé de l'autodestruction frénétique.
Giono, c'est régressif, c'est émancipateur, c'est réenchanteur, c'est vivifiant.
Bref, je kiffe.