D'ordinaire, quand je suis confronté à un nouvel auteur, à un nouveau style littéraire, il me faut quelques pages pour m'adapter. Dans le pire des cas, 100 pages suffisent. J'arrive toujours à prendre la mesure du style de l'auteur.
Avec
Nadine Gordimer, cela n'a pas vraiment fonctionné. Au bout de 200 pages, j'ai cru avoir enfin pris la pleine mesure de ce style lent et imagé... et l'autruce me reperdait dans les méandres de son style complexe, touffu, fait de réflexions, d'événements passés, présents ou imaginés, de projections de la pensée des personnages, de licenses poétiques insaisissables pour moi...
Bref, il faut s'accrocher. Il faut une vigilance de tous les instants. Que n'ai-je recommencé de pleines pages après en avoir perdu le fil... ! Ma vigilance de tous les instants fur ptise en défaut bien des fois. Impossible, alors que je suis un lecteur tout à fait convenable, d'aligner plus de quelques pages à la fois.
Pourtant, le sujet, à la base, m'intéressait, me plaisait. L'apartheid vu à travers le quotidien de quelques personnes, dont Mehring, un riche homme d'affaires qui a eu la lubie de s'offrir un hobby en s'achetant une ferme où tout le personnel sera noir.
Nadine Gordimer met un B majuscule à "blanc". Signe des temps, fausse déférence...?
Mehring prend le système comme une donnée. Il ne remet pas en question l'apartheid. Il n'est pas foncièrement raciste. On pourrait considérer qu'il profite du système, mais il ne semble même pas se poser la question. Face à lui, son régisseur noir ne questionne pas plus le système. Il essaie de s'en accommoder. le fils de Mehring est plus critique, mais à peine. La maîtresse et l'ex-femme de Mehring sont plus critiques encore, arrivant parfois à blâmer Mehring pour sa passivité.
Le roman est fait d'une succession d'événéments déconnectés, comme une sécheresse, un incendie, une tempête suivie d'une inondation, des règlements de comptes entre employés, le commerce local tenu par un Indien... le tout avec un fil rouge: un corps découvert sur la propriété de Mehring, mais qui ne va intéresser personne.
Le roman est un portrait... celui d'un système, bien davantage que celui d'un homme. Et je répète: cet angle d'attaque, le sujet... j'y suis très réceptif.
Mais, mais, mais... je n'ai pas accroché au style. Je comprends la lenteur voulue et assumée de l'écriture de
Nadine Gordimer. On subit l'apartheid comme on subit la nature et ses aléas. Mehring est à l'image du système. Plein de contradictions, de paradoxes. Engoncé dans le passé, se mouvant mal, gêné aux entournures, pris au piège des fantômes du passé. le parallèle Mehring/Apartheid est assez évident dès le départ du roman. Et parfois c'est un peu lourd dans le cours du roman. Cette comparaison, ce parallèle est finalement le principal élément du roman. Et c'est le reproche que je ferais au roman. L'autrice, vu sa maîtrise, aurait pu développer un récit à part entière, dans lequel l'apartheid aurait été un des protagonistes. Cela aurait tonifié, densifié et canalisé le récit.
Je suis donc convaincu par le fond, pas par la forme. Je renouvellerai sans doute l'expérience avec un autre roman de
Nadine Gordimer. Mais pas tout de suite.