Mon avis :
N'ayant pas lu de roman de science-fiction (hormis le Meilleur des Mondes) depuis longtemps, j'étais vraiment impatiente de me lancer dans la lecture d'
Eternity Incorporated, qui me faisait méchamment de l'oeil. J'attendais beaucoup de ce roman. Peut-être un peu trop.
La terre a été victime d'un virus mortel, faisant vivre à tous les contaminés une agonie abominable, décimant la population en quelques jours. Heureusement, une partie de l'humanité pu se réfugier dans une grande bulle, crée dans ce but. On tenta de s'adapter, de survivre sous ce dôme dirigé par un ordinateur surpuissant et omniscient, le Processeur, et des siècles passèrent ainsi, tandis qu'à l'extérieur ne restait plus que des terres revenues à l'état sauvage et parcourues par quelques "mutants", espèces animales s'étant adaptés au virus. Seuls quelques brigadiers en scaphandre pouvaient sortir pour quelques missions, scrupuleusement contrôlés à leur retour pour éviter que le virus ne soit ramené dans la bulle par l'un d'eux.
Tout se passait sans encombre dans la Bulle, jusqu'au jour où le Processeur cessa brutalement de fonctionner, sans que personne ne sache pourquoi. Une panne? Un sabotage des partisans de la "déconnexion"?
Trois habitants de la Bulle se retrouvent, pour des raisons différentes, impliqués dans une quête de vérité où se mêlent politique, histoire et rêve de liberté. Il faut réapprendre à vivre sans le Processeur pour tout contrôler, tout sécuriser.
Le résumé avait tout pour me séduire, et le contexte reste d'après moi la grande force de ce livre. L'univers, l'histoire, la trame narrative, tout est bien ficelé, intrigant, bien que l'on fouille peut-être des idées déjà vues ailleurs, sans immense surprise, bien que certaines pistes soient intéressantes et originales. On progresse dans un univers prenant, mais malgré tout, on voit assez vite venir certaines révélations, ratant l'effet de surprise.
Mais le grand problème d'
Eternity Incorporated pour moi, c'est les personnages, je n'ai absolument pas réussi à m'attacher à eux, ni à me projeter. L'utilisation de la première personne peut être une très grande force pour un roman de ce genre, et le fait de passer des points de vues d'un personnage à un autre permet d'obtenir un rythme, un suspens et une immersion souvent bien plus prenants que dans un récit à la troisième personne. C'est un style que j'adore, mais pour le coup, je trouve que l'auteur n'a absolument pas réussi à se servir de cet outil, passant à côté de tout l'intérêt du point de vue interne.
Si je n'ai eu aucune difficulté à passer d'un point de vue à un autre et à reconnaître rapidement quel narrateur nous parlait, j'ai très vite été fatiguée d'une certaine fadeur dans l'exploitation des personnages, les points de vue se recoupent, le style reste très similaire d'un personnage à un autre, alors que l'utilisation de registres, de "tics" de langage, d'expressions et d'emportements auraient pu permettre de faire ressortir le caractère de chaque personnage, qui, je pense, auraient pu être intéressants mais sont simplement mal exploités, mal développés. Moi qui suis particulièrement attachée à la psychologie des personnages, à leur développement, c'est clairement le point noir de ce roman pour moi. Il y a bien des bribes intéressantes, mais que l'on devine plus que l'on ne lit (Gina qui manipule ses supérieurs et le conseil pour parvenir à ses fins mais que j'aurais voulu sentir plus orgueilleuse peut-être, plus fière d'elle aussi d'avoir été une interlocutrice privilégiée du Processeur, Ange qui accepte trop facilement son sort sans passer par aucune phase de déni ou de colère, tout comme ses collègues brigadiers qui ne s'insurgent pas plus que ça vers la fin du roman quand on leur impose un choix [Ou comment essayer d'exprimer des idées sans spoiler]), au final, des personnages qui se laissent peut-être trop porter par l'histoire, qui subissent beaucoup, qui réagissent plus qu'ils n'agissent (surtout pour Ange et Sean, Gina prenant peut-être un peu plus les choses en mains.).
Il y a aussi beaucoup de choses trop vite expédiées à mes yeux, certains événements qui sont évoqués puis totalement zappés par la suite, ainsi que des personnages secondaires vite oubliés, comme si on les jetait après s'en être servi (que devient Kyra? Reinhardt?). Certaines briques de l'intrigue sont posées puis simplement laissées dans un coin sans que l'en n'y repense.
J'ai beaucoup aimé l'organisation politique du roman par contre, l'enjeu des élections finales apportant plus de rythme au roman je trouve, même s'il aurait été interessant de passer plus de temps sur chaque candidat, peut-être même de les suivre sur un chapitre ou deux.
D'autres idées, intéressantes au premier abord, me paraissent également peu crédibles finalement. La position des déconnectés dans le roman est très pertinente, et le fait que l'auteur n'en fasse pas non plus des opposants farouches au système, simplement des marginaux avec une façon de penser différente, est une bonne chose, tout comme la première "Openground", démonstration publique de leur état d'esprit pour convaincre le reste de la population. Mais ce mouvement perd en crédibilité lors de la fête "naturiste" diffusée en direct lorsque le candidat déconnecté Picasso atteint les mille voix de soutien nécessaires pour se présenter aux élections. J'ai du mal à comprendre, même en imagination les habitants de la Bulle comme particulièrement ouverts d'esprit, qu'une bonne partie de la population soutiendrait un candidat développant une image aussi controversée, assez libertine (du moins visuellement) et qui prônent la jouissance des plaisirs présents, sans se soucier de l'avenir, alors que la population vit justement une grande crise, inquiet de son devenir.
Au dela de ses défauts, le roman à su m'apporter plus de satisfaction vers sa fin (malgré quelques "facilités", comme les brigadiers qui acceptent leur sort, ce qui arrange bien la piste ouverte par Ange, ou des scènes un peu écoeurantes à mon goût, comme les retrouvailles Ange-Gail).
J'ai trouvé que la fin se suffit vraiment à elle-même, et pour moi une suite ne pourrait que s'enliser, car on a enfin accès à la vérité, on sait tout ce qui se cache derrière l'histoire de la Bulle et du Processeur. Alors certes, on aimerait savoir ce que deviennent les personnages, mais sans le suspens et le mystère du contexte, je pense que ça ne tiendrait pas la route pour une suite.
Pour ce qui est du style de l'auteur, je n'ai pas grand chose à en dire, ça se lit bien, mais c'est sans éclat en fait, l'auteur nous raconte son histoire sans jamais chercher à vraiment jouer avec l'écriture en elle-même, on revient un peu sur ma deception de l'utilisation de la première personne.
Une belle déception pour moi donc, même si ce n'est absolument pas un mauvais roman, je le trouve simplement dispensable, pas assez bien mené pour devenir un grand titre de science-fiction.
Pour résumer mon point de vue...
Les Points Forts:
-Un contexte intéressant, avec des idées fortes, quoi que pas toujours bien menées, par manque d'exploitation ou de crédibilité.
-Une fin originale, un peu cruelle par certains aspects, qui laissent en suspens un tas d'événements, laissant le lecteur libre d'imaginer la suite, un lecteur qui est finalement le seul détenteur de la vérité entière, contrairement aux habitants de la ville.
-Un bon rythme, ni trop rapide, ni trop lent, un suspens favorisé par l'utilisation de la première personne et des trois points de vue différents.
Les Points Faibles:
-Des personnages pas suffisamment approfondis, manquant de réactions, de traits forts, de défaut. Au final on a trois personnages reprenant un statut de héros-banal en quelque sorte, ils sont tous intrinsèquement bons, courageux, fidèles à leurs convictions, ce qui finit par être lassant. Ca manque de lâcheté, de doute, d'égoïsme...
-Une mauvaise utilisation de la première personne, qui n'a pas du tout été exploitée pour faire ressortir les tempéraments des personnages justement, aucun jeu de style, une écriture égale de bout en bout.
-Une fin qui est donc une bonne surprise, mais que j'ai quand même trouvée un peu "mal" écrite, brouillonne, pas forcement bien expliquée, comme si l'auteur avait ses idées bien en tête mais avait du mal à trouver les bons mots pour nous faire comprendre les notions qu'il veut développer.