Et,
si j'étais vous ?
S'il suffisait de vous murmurer une obscure formule dans le creux de l'oreille pour m'introduire dans votre corps, prendre mes quartiers dans votre esprit. Selon votre composition je m'y sentirais plus ou moins bien, je finirai peut-être même par m'oublier moi-même…
L'auteur fait de la tentation le thème de cet ouvrage. le surnaturel vient du religieux, de l'adjuvance du malin. La façon dont se manifeste l'occupation du corps d'autrui, à la fois pour l'hôte et son parasite est plutôt originale.
Le style est soigné et classique, sans toutefois être d'une déroutante originalité. Green laisse davantage son emprunte dans l'ambiance qu'il donne au roman. D'emblée nous comprenons que derrière le désir de soutane et la piété appuyée se dessinent mille sensualités dans l'esprit des personnages. Et parce qu'elles ne sont pas explicitées, celles-ci paraissent sans doute pour le lecteur probablement plus coupables qu'elles ne sont, à la manière des ombres chinoises sur le mur de la chambre.
Le thème de la lutte entre le désir et la chasteté chrétienne, souvent jusqu'à l‘hypocrisie, peut nous sembler dépassé tant la littérature s'est affranchie de l'étau censeur du catholicisme. le lecteur curieux d'aujourd'hui peut apprécier la façon dont on écrivait autrefois et la façon dont l'auteur, malgré la sacristie littéraire, sème des indices plus ou moins charnels.
Evidemment, le contexte récent de la parution du Journal intégral de l'académicien homosexuel éclaire davantage une oeuvre dont les tourments et les pensées érogènes éveillaient déjà quelques soupçons. Ainsi, désormais plus aucun doute sur le fait que la domination des passions n'est que l'apanage des avatars littéraires de Green, à l'instar de Fabien, Elise ou Fruges dans le roman.
L'auteur franco-américain, si l'on en croit les bonnes feuilles parues dans la presse (voir le long article de
Frédéric Martel sur le site de France Culture), apparaitrait désormais comme un hédoniste vorace et maudit, esclave impuissant des désirs égotiques, infinis et péremptoires de sa chair.
Mais, et c'est peut-être aussi lié à la biographie de l'auteur qui n'a pas seulement lutté contre l'acte mais aussi contre le principe de son homosexualité, “
Si j'étais vous” se lit aussi comme “si je n'étais pas moi”. Fabien ne voulait-il pas ne plus être lui avant que d'être véritablement quelqu'un d'autre ?
Mais revenons-en au livre, et jugeons le pour ce qu'il est, indépendamment de
Julien Green, qui signe un court roman fantastique où se mêlent désirs frustrés, piété sociale et envie d'échapper à soi. Seulement, tout pacte avec le diable a ses conséquences. Moralité : ne mieux vaut-il pas encore essayer de vivre avec soi-même ?
Qu'en pensez-vous ?