Si l'on était raisonnable, on s'enfermerait dans l'heure présente comme dans une pièce à deux issues, dont on se garderait d'ouvrir les portes, celle qui mène au passé comme celle qui regarde vers l'avenir. On essaierait de se tenir à l'aise dans cette demeure tout à la fois transitoire et permanente, puisque le passé n'existe plus et que l'avenir est essentiellement ce qui n'existe pas encore, en sorte qu'il n'y a jamais qu'un éternel présent d'où nous ne pourrons jamais nous enfuir. Jeter les yeux en avant ou en arrière ne sert à rien qu'à troubler des natures comme la mienne. Oh! si j'étais plus forte!Si l'on pouvait m'arracher le coeur pour m'en donner un nouveau! Mais non, je suis de celles qui ne se consolent pas, que le souvenir ne lâche jamais, je suis de celles que la vue d'une simple adresse sur une enveloppe peut faire souffrir immodérément.
Je crois que ce qui me frappait jadis et me trouble encore, c'est qu'une vie humaine paraît presque toujours incomplète. Elle est comme un fragment isolé dans un long message dont elle ne nous livre qu'une faible partie, souvent indéchiffrable. Il m'a plus de tenter le rétablissement du plus mystérieux de tous les textes et d'imaginer le sort de deux êtres dont les actes présents s'éclairent à la lumière d'un passé lointain. S'agit-il des mêmes personnes renées à des siècles de distance ou simplement d'un homme et d'une femme qui redécouvrent au fond d'eux-mêmes, comme les parcelles d'un héritage oublié, les gestes, les paroles et les cris de générations disparues ?
Pour répondre à cette question, il faudrait d'abord se demander dans quelle mesure un être peut affirmer qu'il existe indépendamment du vaste groupe humain. Des milliers d'ancêtres le poussent à agir; il est à lui seul l'humanité entière qui renaît perpétuellement et marche à tâtons vers un but mal déterminé. Dans le clair-obscur de sa conscience, pourquoi l'individu ne retrouverait-il pas quelque souvenir d'une existence primitive qui est l'existence de la race ?
I HOËL, 1
Hoël trouva la chaîne sur la grève. Il courait dans le sable avec sa lanterne, un soir d'hiver, quand une vague pareille à une grande main noire jeta ces anneaux de métal aux pieds de l'enfant. Jamais Hoël n'avait vu d'objet plus étrange que cette chaîne qui semblait frétiller sur le sol, mais il ne perdit pas de temps à la considérer, et la saisissant dans ses doigts, il la cacha au fond d'une poche que formait son sarrau de toile autour de sa taille.
Les parents de Hoël qui le suivaient à quelque distance crurent que leur fils trébuchait et lui crièrent de prendre garde. Ce n'était pas qu'il leur fût cher, mais ces gens se figuraient qu'il leur portait chance et qu'il attirerait quelque jour la fortune de leur côté. Par les nuits de gros temps, quand l'orage engloutissait la lune et les étoiles, ils l'envoyaient courir avec sa lanterne sur le sable et dans les rochers, en lui disant qu'il aidait ainsi aux pauvres voyageurs en péril de mer…
Sous prétexte de nous éclairer, notre éducation nous prive d'une foi qu'elle ne remplace par rien. En sommes-nous plus heureux ? En sommes-nous seulement plus intelligents ? Il y a trois ou quatre siècles, je serais entrée ici et j'y aurais trouvé le meilleur ami possible à qui confier ma peine. Il m'aurait dit, comme il disait à ses amis sur la terre : "Prends courage, petite Jeanne, j'ai vaincu le monde". Mais aujourd'hui je ne trouve personne. Je me figure avec une envieuse tristesse l'exaltation d'une âme qui viendrait là où je suis et sentirait la présence dont parlent les écrivains mystiques.
Nous mettons presque tous nos soins à veiller sur le bien-être et la conservation de notre corps, pareils à des fous qui s'imagineraient que tout leur bonheur dépend du bon état du costume. Notre civilisation semble édifiée tout entière autour de cette idée prodigieuse que si le corps est heureux, tout va bien. De là vient l'intolérable souffrance d'un monde fasciné par l'erreur. Il vit un cauchemar sans se rendre compte que le vrai bonheur est à la fois en lui-même et au-delà de lui-même.
"[…] les auteurs d'aphorismes, surtout lorsqu'ils sont cyniques, irritent ; on leur reproche leur légèreté, leur désinvolture, leur laconisme ; on les accuse de sacrifier la vérité à l'élégance du style, de cultiver le paradoxe, de ne reculer devant aucune contradiction, de chercher à surprendre plutôt qu'à convaincre, à désillusionner plutôt qu'à édifier. Bref, on tient rigueur à ces moralistes d'être si peu moraux.
[…] le moraliste est le plus souvent un homme d'action ; il méprise le professeur, ce docte, ce roturier. Mondain, il analyse l'homme tel qu'il l'a connu. […] le concept « homme » l'intéresse moins que les hommes réels avec leurs qualités, leurs vices, leurs arrière-mondes.
[…] le moraliste joue avec son lecteur ; il le provoque ; il l'incite à rentrer en lui-même, à poursuivre sa réflexion. […]
On peut toutefois se demander […] s'il n'y a pas au fond du cynisme un relent de nostalgie humaniste. Si le cynique n'est pas un idéaliste déçu qui n'en finit pas de tordre le cou à ses illusions.
[…]" (Roland Jaccard.)
0:14 - Bernard Shaw
0:28 - Julien Green
0:45 - Heinrich von Kleist
1:04 - Georges Henein
1:13 - Ladislav Klima
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1:44 - Hector Berlioz
1:55 - Henry de Montherlant
2:12 - Friedrich Nietzsche
2:23 - Roland Jaccard
2:37 - Alphonse Allais
2:48 - Samuel Johnson
3:02 - Henrik Ibsen
3:17 - Gilbert Keith Chesterton
3:35 - Gustave Flaubert
3:45 - Maurice Maeterlinck
3:57 - Fiodor Dostoïevski
4:08 - Aristippe de Cyrène
4:21 - Générique
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Référence bibliographique :
Roland Jaccard, Dictionnaire du parfait cynique, Paris, Hachette, 1982.
Images d'illustration :
Marquise de Lambert : https://de.wikipedia.org/wiki/Anne-Thérèse_de_Marguenat_de_Courcelles#/media/Datei:Anne-Thérèse_de_Marguenat_de_Courcelles.jpg
George Bernard Shaw : https://fr.wikipedia.org/wiki/George_Bernard_Shaw#/media/Fichier:G.B._Shaw_LCCN2014683900.jpg
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