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EAN : 9782350960517
530 pages
Les Prairies Ordinaires (24/03/2012)
3/5   1 notes
Résumé :
Comment, au milieu du XIXe siècle, Paris a-t-elle pu devenir l’incarnation urbaine de la modernité ?

Pour répondre à cette question, David Harvey a exploré les mutations connues par la ville à cette époque : transformation physique, avec les grands projets d’Haussmann, qui remplace le plan médiéval par les grands boulevards ; transformation économique, avec une nouvelle forme de capitalisme dominée par les puissances financières et industrielles ; tr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Un essai et d'abord un récit où souffle le vent de la révolte du Paris populaire. Voici aussi une preuve que l'on peut écrire un essai, des analyses, une étude étendue, sans simplisme, avec un vocabulaire abordable. Richement illustré, papier et typographie choisis. Un bel ouvrage.

Dans son introduction, Matthieu Giroud indique, entre autres, que David Harvey « cherche les possibilités de ”donner une idée de la ville dans sa totalité” » et « Une telle approche n'a au fond qu'un objectif bien précis : analyser comment le capitalisme industriel naissant structure l'espace de la ville et par là affecte toutes les dimensions (matérielles ou idéelles) de la vie sociale, mais aussi en retour, comment le capitalisme industriel s'inspire de ces changements urbains pour se réaliser ».

Première illustration dans l'introduction : « L'émeute » d'Ernest Meissonier, le ton est donné !

« La modernité semble toujours affaire de ”destruction créatrice” ».

David Harvey nous présente le décor, la place fondatrice de 1848 « 1848 apparut comme un moment décisif où l'inédit se cristallisa à partir de l'ancien ». Sur ce sujet l'indispensable ouvrage de Maurizio Gribaudi et Michèle Riot-Sarcey : 1848 la révolution oubliée (Réédition La Découverte poche, Paris 2009), le règne d'un petit empereur « il a créé un mythe fondateur (essentiel à tout nouveau régime) et contribué à asseoir l'idée qu'il n'existait aucune alternative à l'autoritarisme bienveillant de l'Empire », en passant par les travaux de Haussmann et « un extraordinaire changement d'échelle », sans oublier Walter Benjamin, Daumier, Balzac, Flaubert ou Carl Schorske, Henri lefebvre et Karl Marx.

Je signale que David Harvey interroge étrangement Saint-Simon et Karl Marx « N'est-il pas étrange que deux penseurs qui occupent une place aussi éminente dans le panthéon de la pensée moderne aient explicitement rejeté la possibilité d'une rupture radicale, tout en mettant l'accent sur le changement révolutionnaire ? ». Je ne sais pour Saint-Simon, mais la critique porté à Marx me semble inadéquate, cet auteur s'est refusé à se projeter dans le futur émancipateur, et à juste titre, me semble-t-il, rejeté les utopie créatrices, en laissant justement ouvert la construction d'un futur. Sur ce sujet, voir le beau livre d'Isabelle Garo : Marx et l'invention historique (Editions Syllepse, Paris 2012)
La première partie du livre « Représentations 1830/1848 » est subdivisé en « le Paris de Balzac » et « le corps politique rêvé ».

David Harvey montre que Paris est au centre d'une grande partie de l'oeuvre De Balzac. Il souligne que « En démythifiant la ville et les mythes de la modernité, il a ouvert de nouvelles perspectives, non seulement sur ce qu'était la ville, mais sur ce qu'elle pourrait devenir. D'une façon toute aussi cruciale et particulièrement difficile à extraire des archives sans âme de la ville, il dévoile les fondements psychologiques de ses propres représentations et avance des hypothèses quant aux jeux troubles du désir (notamment chez les bourgeois). La dialectique de la ville et de la construction de la subjectivité moderne se trouve ainsi mis à nu » L'auteur confronte les constructions De Balzac, son utilisation de la ville, l'ancrage de ses personnages avec ses propres analyses. Certaines pages, ou sous-chapitres me semblent particulièrement éclairants : « le fétichisme inhérent à la perception que la bourgeoisie avait d'elle-même », le mythe d'un Paris sans origine provinciales, les fictions du crédit et de l'intérêt, « L'enfer et l'ordre moral », « Configuration spatiale et ordre moral », « Rues, boulevards et espaces publics du spectacle », l'opposition entre intérieur et extérieur ; bref une ville selon des perspectives multiples. Je ne voudrais pas m'éloigner de cette partie, sans souligner « le fétiche et le flâneur », en en citant deux phrases : « Les rues, les quartiers, les appartements, les cages d'escaliers, les entrées sont empreints d'une signification sociale » et « Concevoir la ville comme être sensible revient à reconnaître son potentiel en tant que corps politique ». N'étant que peu sensible à la littérature française du XIXème, à l'exception notable de Baudelaire et Flaubert, pour les auteurs cités, je laisse les connaisseuses et connaisseurs y regarder de plus près.

« La belle utopie de la veille sera l'aimable vérité du lendemain », mis en exergue, donne une clé, comme dans une partition musicale, du traitement du chapitre « le corps politique rêvé »

David Harvey nous parle de projets utopiques, révolutionnaires, des saint-simoniens, de Fourier, de Blanqui, de « remettre le monde à l'endroit », de 1840, de Flora Tristan, de Proudhon, d'égalité, d'autonomie des femmes, d'association, de communauté, de communisme, d'organisation du travail, de cette possible modernité avant Haussmann. Il termine par « Qu'est-ce qui a disparu en 1848 ? » : « Après 1848, la contre-révolution brisa beaucoup d'espoirs et de désirs et referma l'univers des possibles qui s'était ouvert au cours des années 1830 et 1840 ». Une conception moderne et émancipatrice d'une république sociale, certes ambiguë sur la question de la propriété, confuse sur les notions d'égalité, de liberté et de communauté, n'en imaginais pas moins « profondément que l'association des travailleurs et l'activité collective permettrait de faire naître une société meilleure ». Ce fut une autre modernité qui advint. « On pourrait dire que c'est l'idée de la ville comme corps politique qui fut détruite en 1848 avant d'être ensevelie dans l'univers commercial de la marchandisation et du spectacle du Second Empire. »

Au coeur du livre, sa partie la plus substantielle : « Matérialisations : Paris 1848 – 1870 »

En prologue, David Harvey revient sur la caractérisation du régime « un État autoritaire et policier s'appuyant sur une base populiste », avant de présenter le résultat de la « mise de Paris entre les mains d'Haussmann » en juin 1853. L'auteur s'interroge « Toutefois comment construire un tel récit sans réellement comprendre le fonctionnement interne et les relations mutuelles de l'économie, de la politique, de la société et de la culture ? » et argumente son choix « J'ai choisi d'emprunter une voie médiane, consistant à saisir les transformations historico-géographiques du Paris du second Empire à partir d'une série de thèmes qui s'entremêlent et ne peuvent être pris isolément les uns des autres » en insistant particulièrement sur « C'est cet ensemble de relations qui constitue le véritable moteur du changement social ».

Sommaire :

L'organisation des relations spatiales

L'argent, le crédit et la finance

La rente et la propriété

L'État

Travail abstrait et travail concret

L'achat et la vente de la force de travailleur

La condition des femmes

La reproduction de la force de travail

Consommation, spectacles, loisirs

Communautés et classes

Relations naturelles

Science et sentiment, modernité et tradition

Rhétorique et représentations

Géopolitique de la transformation urbaine

Il ne saurait être question, ici, de faire une présentation exhaustive, juste certains éléments choisis subjectivement parmi les nombreux points analysés.

Prenons, par exemple, l'amélioration des transports et des communications qui n'eurent pas tant « pour effet de décongestionner le trafic que de le recréer sur une toute autre échelle et à une vitesse différente ». Ce double effet d'échelle et de vitesse modifie qualitativement les relations. « L'accélération entraîna aussi l'élargissement des espaces dans lesquels les individus, les biens et les idées pouvaient se déplacer ».

L'auteur analyse les intérêts et les enjeux economico-sociaux, politiques, autour de l'argent du crédit et de la finance, « la création d'un nouveau système financier exigeait que l'on fasse tomber un certain nombre de barrières morales politiques techniques et philosophiques », les différences entre les frères Pereire et James de Rothschild. Les projets et les réalisations de Haussmann sont incompréhensibles sans prendre en compte la place des sociétés financières, la spéculation boursière, la propriété, « intégration particulièrement forte du capital financier et de la propriété foncière », le patrimoine immobilier, la rente, le capital fictif, les méthodes déjà inventives de financement de la dette, l'intérêt, le pouvoir d'expropriation des organismes publics et plus généralement l'intervention de l'État, y compris dans la gestion de la force de travail, sa surveillance ou son contrôle.

L'auteur étudie les déplacements de populations, la refonte de la périphérie et du centre, l'intégration de villes et la création de « nouvelles banlieues », les ségrégations spatiales, « l'absorption des excédents de travail et de capital dans la reconstruction de Paris eut toutes sortes d'effets négatifs – accentuation des déplacements de la population et de la ségrégation spatiale, trajets plus longs pour aller au travail, augmentation des loyers, surpeuplement, etc. – que beaucoup considéraient comme de véritables pathologies ».

Les transformations se concrétisent aussi par un (re)façonnage des espaces de reproduction social. Sans oublier la modification de l'industrie parisienne que l'auteur traite dans un remarquable chapitre « Travail abstrait et travail concret ». Je ne souligne que « la subsomption progressive d'artisans et de propriétaires auparavant indépendants sous la domination formelle d'une organisation commerciale et industrielle strictement contrôlée ».

Il ne faut pas oublier la répression intense du mouvement ouvrier après 1852, privé du droit d'association, de coalition, de syndicalisation, etc.

L'auteur développe sur la modification des emplois, en traitant notamment de « La condition des femmes », domesticité, prostitution, espace public et espace privé, « contrôle grandissant des femmes sur l'espace intérieur du foyer, associé à la marchandisation croissante des femmes dans la vie publique », sans reconnaissance de l'égalité des droits.

J'ai aussi été sensible aux passages sur la consommation, la création des grands magasins, les spectacles, les loisirs, « le café ou cabaret devint ainsi un cadre institutionnel et joua un rôle politique et social dans la vie de la classe ouvrière », la foule, les boulevards.

Comment ne pas citer cette phrase « La prostituée, le chiffonnier, le pauvre clown obsolète, un vieillard digne en haillons, la belle femme mystérieuse, tous devinrent des personnages indispensables à la pièce urbaine » entre Baudelaire, Walter Benjamin et l'auteur.

Les destructions, les plans de restructuration de l'habitat et des lieux de circulation ne furent pas seulement économico-sociaux, ils eurent des dimensions esthétiques, « Haussmann introduisit des dissymétries locales dans le but de produire des effets de symétrie à plus grande échelle ».

Paris, c'était aussi « Deux villes, deux peuples », la recherche pour les travailleuses/travailleurs d'un espace autonome pour organiser/consolider leur mouvement.

Pour terminer ces « Matérialisations », trois citations, la première de Karl Marx, les deux autres de l'auteur :

« La tradition de toutes les générations mortes pèse comme un cauchemar sur le cerveau des vivants »

« Dans ce livre, j'ai tenté de mettre à nu les complexes modalités de transformation de l'économie et de l'organisation sociale, de la politique et de la culture qui ont irrémédiablement changé le visage de Paris »

« Mais la Commune est née du désir de transformer les relations sociales et les rapports de pouvoir au sein d'une configuration de classes particulière, constituée dans un espace particulier, au sein d'un monde capitaliste lui-même en pleine transition. Ces luttes qui forcent l'admiration ont encore bien des enseignements à nous livrer. »

Le livre se termine sur une belle Coda : « La construction de la basilique du Sacré-Coeur ».

L'auteur revient sur l'histoire de la Commune, sa sauvage répression et sur la construction de « ce détestable symbole » qui défigure Paris au nom d'un « Gallia poenitens » (« France repens-toi ! »), symbole de l'alliance peureuse et revancharde du goupillon et du sabre, et amnésique des massacres des communard-e-s.

Je reproduis un extrait de ma note sur Maxime Vuillaume : Mes cahiers rouges (souvenirs de la Commune) (Editions La Découverte, Paris 2011), « L'horrible Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre, dont la construction fut décrétée par une loi votée par l'Assemblée nationale en juillet 1873 dans la cadre d'un nouvel « ordre moral » et pour « expier les crimes des communards » défigure toujours Paris et la mémoire des fusillé-e-s, des exilé-e-s, du peuple parisien. »
Une « modernité » après 1848, qui peut être mise en rapport avec la nouvelle « modernité » actuelle, beaucoup de similitudes, et en particulier les effets d'échelle (mondialisation), de vitesse (nouvelles technologies), de construction/modelage des espaces urbains (Voir par exemple Mike Davis : City of Quartz, Los Angeles, capitale du future, réédité en 2009 chez La découverte poche ; Régine Robin : Mégapolis. Les derniers pas du flâneur (Un ordre d'idées chez Stock, Paris 2009), ou l'inventivité financière, etc… Gardons en mémoire que « La Commune fut en effet très différente de 1848, en partie en raison de la réorganisation radicale des espaces de vie entraînée par l'haussmannisation, des transformations tout aussi radicales des procès de travail, de l'organisation de l'accumulation du capital et du déploiement de la puissance étatique », pour réfléchir aux soulèvements de demain.

Se lit comme un grand roman habité d'espérance et d'aventure, notre aventure collective, les espoirs de celles et ceux qui se révoltèrent, ces espérances qui sont toujours les nôtres.
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critiques presse (1)
NonFiction
03 avril 2013
Paris, Capitale de la modernité peut être caractérisé par sa diversité et son foisonnement. L’ouvrage est en effet composé de dix-huit articles plus ou moins indépendants, qui abordent chacun un des aspects de la ville moderne.
Lire la critique sur le site : NonFiction
Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
En démythifiant la ville et les mythes de la modernité, il a ouvert de nouvelles perspectives, non seulement sur ce qu’était la ville, mais sur ce qu’elle pourrait devenir. D’une façon toute aussi cruciale et particulièrement difficile à extraire des archives sans âme de la ville, il dévoile les fondements psychologiques de ses propres représentations et avance des hypothèses quant aux jeux troubles du désir (notamment chez les bourgeois). La dialectique de la ville et de la construction de la subjectivité moderne se trouve ainsi mis à nu
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Mais la Commune est née du désir de transformer les relations sociales et les rapports de pouvoir au sein d’une configuration de classes particulière, constituée dans un espace particulier, au sein d’un monde capitaliste lui-même en pleine transition. Ces luttes qui forcent l’admiration ont encore bien des enseignements à nous livrer.
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J’ai choisi d’emprunter une voie médiane, consistant à saisir les transformations historico-géographiques du Paris du second Empire à partir d’une série de thèmes qui s’entremêlent et ne peuvent être pris isolément les uns des autres
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On pourrait dire que c’est l’idée de la ville comme corps politique qui fut détruite en 1848 avant d’être ensevelie dans l’univers commercial de la marchandisation et du spectacle du Second Empire.
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Dans ce livre, j’ai tenté de mettre à nu les complexes modalités de transformation de l’économie et de l’organisation sociale, de la politique et de la culture qui ont irrémédiablement changé le visage de Paris
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