Si l'on veut bien faire cet effort, il faut s'imaginer l'Allemagne de la fin des années 20, date de la parution de ce roman qui n'en est pas vraiment un, tant ses multiples facettes le tirent du côté de la philosophie, du fantastique, de la poésie, de la sociologie ou comme on l'a tant écrit du récit initiatique.
Quel courage a t-il fallut à
Hermann Hesse, ou quel désespoir, pour se laisser aller à ce flot ininterrompu d'expressions de son désenchantement, flot qu'il commue en un espoir illimité en la sagesse humaine. Il me vient à l'esprit des phrases musicales de Brückner ou de Schönberg qui viendraient à merveille illustrer le propos, tout comme ces portraits "décadents" d'
Otto Dix ou
George Grosz.
Certains ont écrit que ce roman était en fait le roman d'une crise existentielle. Celui du reste qu'à du traverser Hesse, tant les évocations autobiographiques sont fréquentes et les allusions nombreuses comme, juste pour taquiner et dérouter le lecteur, ces jeux de mots sur les noms propres (Harry Haller, Hermine, Hermann)
Nous y voilà, dans cette atmosphère germanique, hautement intellectuelle par certains aspects, mais que H.Hesse sent s'étouffer par la montée de courants politiques étranges. Il choisit pour s'exprimer de raconter le chemin d'un cinquantenaire, Harry Haller (
Hermann Hesse???), en pension dans une ville charmante, errant au comble du désespoir de l'intellectuel qui a su "lire" le monde, les arts, les vanités humaines, désabusé de ses relations avec les femmes, avec les autres et ne voit comme issue à sa pauvre vie de solitaire, de "loup solitaire", que la mort par la lame d'un rasoir. le fantastique s'invite dans le roman une première fois, sous la forme de visions étranges qui lui font découvrir que le monde peut être différent. Il rencontre d'autres personnes, une femme Hermine (ou Hermann?) qui l'hypnotise, un joueur de saxophone sud américain (Pablo), sorte de sorcier vaudou manipulant allègrement toutes sortes de substances permettant de quitter le réel pour mieux le retrouver. Il y a aussi la figure du Bal masqué, celle du Théâtre (des Insensés où seuls sont admis les "fous") et les nombreuses images oniriques des couloirs, des portes, des lumières, des musiques de l'au delà, etc....
On l'a compris, ce roman métaphore est une ondulation vertigineuse autour de la question essentielle du sens de la vie. Cette interrogation existentielle trouve sous la plume de Hesse, une solution éblouissante de génie. le montage du roman parfait, les variations de style, le choix des personnages, la fin du roman, tout fait référence et modèle. On retrouvera dans ce roman de la maturité de Hesse, ses thèmes fétiches : le voyage initiatique et la spiritualité, le tout influencé très fortement par l'éclosion de la compréhension du psyché par la psychanalyse.
Il n'est pas surprenant, tant il dérange et réveille, que cet ouvrage fût classé par les nazis dans une catégorie tout proche de "l'entartete Kunst", l'art dégénéré, et interdit.
Pour finir la traduction est de très haute volée et offre une lecture en français en tous points fidèle à la lettre et à l'esprit.
Pour les séduits par cet ouvrage, le reste de l'oeuvre de
Hermann Hesse est de la même qualité...