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Marie-Brunette Spire (Autre)
EAN : 9782234015517
379 pages
Stock (30/11/-1)
4.34/5   61 notes
Résumé :
Vaste saga, Les Frères Ashkenazi se déroule sur une cinquantaine d'années, dans la ville de Lodz. Obéissant à la pression familiale, la tendre et fragile Dinclé a été contrainte d'épouser un des frères Ashkenazi, alors qu'elle était éprise de l'autre. Un imbroglio amoureux dont aucun ne sortira indemne.
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Je poursuis ma lecture de l'oeuvre du grand frere Singer.

Ce roman date de 1936 mais il avait ete deja publie, en partie ou en entier, en feuilleton dans le celebre journal Yiddish de New York, le Forverts.

C'est la saga d'une famille, les Ashkenazi. L'ascension et la chute d'une famille. La saga d'une ville, Lodz. Son expansion et son essor industriel jusqu'aux convulsions de crise, de recession, de declin. La saga d'une certaine judeite polonaise, en une epoque de bouleversements, de revolutions. Son agitation, sa fermentation, ses espoirs contradictoires, finissant par sa destabilisation, son detraquement, sa decomposition.

Ce qui precede peut etre percu comme un resume tout a fait acceptable. Mais moi je ne sais me satisfaire de deux phrases. J'avertis donc: elles vont se multiplier.


Premiere approximation: la ville. Apres les guerres napoleonniennes, apres les soulevements revolutionnaires du Printemps des peuples, la Pologne attire des tisserands allemands et leur permet de s'intaller dans la ville de Lodz. Les quelques juifs de la ville et de nombreux autres des alentours venus travailler pour eux apprennent le metier et les surpassent, developpant une petite industrie textile artisanale. Tres vite eclot tout un quartier d'artisans juifs, Balut. Tout aussi vite certains s'associent et grandissent, arrivant a accumuler affaires et capitaux qui leurs permettent vers la fin du 19e siecle de construire de grandes usines travaillant a la vapeur et employant des centaines d'ouvriers. le debut du capitalisme industriel a Lodz. Pour beaucoup un capitalisme juif. Singer met en scene deux grandes usines qui se concurrencent, une usine allemande et une usine juive. Mais passee une seule generation l'usine allemande sera aussi rachetee par un juif. Et je dois dire que Singer reflete assez fidelement la vraie histoire de celle qui fut appelee un moment “ la Manchester polonaise".
La premiere guerre mondiale commencera par une flambee de commandes (il faut habiller les armees) mais finira en un retrecissement qui deviendra grande crise sociale. Double crise pour les juifs qui seront depossedes de leurs biens par le nouvel etat polonais.


Mais le livre est titre Les freres Ashkenazi. Passons donc a la saga familiale. En fait l'histoire de deux freres, deux fils d'un riche marchand de draps. Jumeaux mais differents. Tres differents. L'un, Simha Meyer, petit et maigrichon, peu sociable, jaloux de tout et de tous et surtout de son frere, mais doue d'une grande intelligence et anime d'une puissante volonte de reussir, d'une ambition insatiable. L'autre, Yacov Bunem, grand, beau, rieur, charmant et charmeur, aimant la vie et sachant vivre, sans faire de grands efforts pour quoi que ce soit.
Simha semble promis a une carriere rabbinique mais a peine marie il prefere s'integrer dans les affaires de son beau-pere, qu'il fait rapidement fructifier. A force de magouilles il est promu directeur des ventes de la grande usine allemande, la Huntze, qu'il finit par s'approprier. Son enorme reussite pendant la guerre russo-japonaise fair de lui “le roi de Lodz", s'appelant desormais Max Ashkenazi. Mais de grandes greves et les aleas de la premiere guerre mondiale le forcent a fermer et transporter son usine a Petrograd ou tres vite la revolution lui enleve tout. Completement demuni, son frere devra venir le chercher pour le ramener a Lodz.
Quant a Yacov, sa beaute et son charme font que tout lui reussisse sans grands efforts. Il fait un mariage d'argent et mene la grande vie, changeant lui aussi son nom en Yakub, a la polonaise. Il arrive meme a diriger la deuxieme grande usine, la juive, la Flederbaum. Quand il comprend que son frere est perdu a Petrograd en pleine revolution il part le sauver. En chemin de retour des soldats polonais cherchent a les humilier, les avilir. Trop fier, il gifle un officier, qui en reponse vide un chargeur sur lui. Digne mort? Ou indigne?


Tout cela nous donne deja une belle saga, mais pour moi la grande reussite du livre est la fresque haute en couleurs de la vie juive dans une grande ville polonaise au tournant du siecle, son effervescence, ses changements, ses combats interieurs et exterieurs. Il decrit l'arrivee de juifs venus de petits shtetls chercher du travail chez les tisserands allemands. Quand les plus degourdis se mettent a leur compte et que cette industrie grandit c'est l'afflux, creant une communaute majoritaire de proletaires juifs, et chez nombreux une nouvelle conscience proletaire. Les moeurs changent et meme s'ils ne delaissent pas les rites juifs beacoup ne jurent plus par la Bible mais par Marx ou Bakounine. Singer, ne se limitant pas a exposer l'ascension d'industriels juifs, consacre de longs chapitres a des agitateurs, qui s'opposeront a leurs congeneres riches industriels, provoqueront des greves dans leurs usines, seront pourchasses et certains feront la Siberie. J'ai senti a travers les pages l'empathie de Singer envers ces proletaires eveilles, mais il sait qu'eux aussi, et non seulement les capitalistes juifs, excitent un antisemitisme rudimentaire. Pour arreter une greve les autorites russes de la ville se servent d'un moyen sur: ils ebauchent un pogrom vers le quartier juif de Balut auquel se joignent tres vite les ouvriers chretiens. Les ouvriers juifs sont sideres: “Et dire que c'est nos frères, nos camarades de travail qui ont fait tout ça ! et pas la police, pas nos patrons exploiteurs !” Et les femmes de pleurer: “Vous n'aviez vraiment rien de mieux à faire que de cavaler comme des fous avec vos bouquins et vos tracts clandestins ? Vous ne saviez donc pas que dans ces occasions-là le sang juif finit toujours par couler ?”
Singer sait que pour toutes les autorites le pogrom est dans la region le plus sur moyen de calmer les masses, il faut donner un palliatif a leur colere. Ainsi quand il decrit le retour des troupes russes, battues par les japonais, qui se defoulent sur les juifs. Ainsi quand a la fin de la premiere guerre mondiale des polonais qui se battent pour leur independence, les legionnaires de Cracovie, les "Crocus", font un enorme pogrom a leur conquete de Lemberg (la Lviv d'aujourd'hui): “Tous les journaux polonais rapportèrent le récit de la libération de Lemberg comme une victoire spectaculaire sur les insurgés bolcheviks.” […] “Tous les Juifs de Lemberg assistèrent aux obsèques des victimes du pogrom. Parmi les quarante mille hommes et femmes en noir se détachait un uniforme bleu pâle : c'était Felix Feldblum, les épaules basses, les yeux tristes, la barbe en bataille. Officier de la Légion polonaise, socialiste, champion des opprimés, patriote polonais, il était venu conquérir la ville. Il avait eu beau intervenir auprès du commandement polonais, on ne l'écouta pas. « L'ordre est de livrer les Juifs aux soldats pour quarante-huit heures », lui avait-on répondu.” Tout lecteur rapprochera ce passage, et d'autres du meme genre, a la mort de Yacov Ashkenazi, qui ne peut etre consideree un detail anodin ou bizarre. Apres sa mort, apres la guerre, Singer trace succintement les nouvelles directions des juifs: les uns s'alignent pour aider la revolution bolchevique, d'autres s'entichent des nouvelles idees sionistes, nombreux essaient de partir pour l'Amerique, et les plus nombreux restent, essayant de reconstruire ce qui peut l'etre, de vivre dans la nouvelle Pologne independante.


Et Max Ashkenazi dans tout cela? Max ne sera plus Max. Il est redevenu Simha Meyer. Apres la mort de son frere il revient a un judaisme qu'il avait pratiquement abandonne. Lui mourra recitant des psaumes. Et je me demande si Singer ne lui a pas concede cela comme une ultime faveur, comme une sorte d'absolution.


Concluons: J'ai beaucoup aime, bien que j'ai senti des fois quelques longueurs peut-etre dues a la premiere publication en feuilleton. Et elles ne sont peut-etre pas superflues. Et ce sont peut-etre elles qui m 'ont le plus emu. Il en faut surement pour ecrire une belle saga.
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La complémentarité des frères Singer est aussi enrichissante que leur ténacité à témoigner fut admirable : chacun à sa manière, tous deux en langue yiddish, ils ont creusé leur sillon livre après livre pour garder vivante la mémoire de la culture juive polonaise aujourd'hui disparue. Les deux frères sont de formidables conteurs, mais il me semble d'après ce que j'ai lu que là où Isaac Bashevis Singer s'attarde à hauteur d'homme pour incarner son sujet, le grand frère Israel Joshua Singer inscrit ses histoires dans une perspective historique plus large, sur trois générations au 20ème siècle dans La famille Karnovski ou ici au tournant du siècle avec Les frères Ashkenazi.

Ces deux frères-là, bien que brillants chacun à leur manière, tout les oppose : là où le sémillant Yakhov traverse la vie avec panache et facilité, Simha le besogneux austère, tourne le dos à sa communauté et construit son empire industriel pas à pas par le travail et la rouerie, dans la ville de Lodz où se développe une industrie textile florissante en pleine mutation.
Entre eux, une femme, Dinélé, à l'origine d'un trio amoureux perdant.
Autour d'eux, le grand vent des idées nouvelles et la marche de l'histoire dans une Pologne peinant à affirmer son indépendance entre empires russe et allemand, rejetant à chaque déconvenue la faute sur la communauté juive.

Un formidable page turner qui restitue cette communauté dans toute sa singularité et sa diversité, entre traditionalisme et volonté d'émancipation, pauvreté et fortunes, plombée et magnifiée par un déterminisme qui fait d'elle l'éternelle victime des ressentiments de ses pays hôtes.

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Evidemment, « La maison du péché » et Les frères Ashkenazy », à première vue, n'ont rien à faire ensemble. Marcelle Tinayre (1870-1948), femme de lettres française, de nos jours on dirait intellectuelle, introduite dans les milieux culturels parisiens, et Israël Joshua Singer(1893-1944), écrivain yiddish d'origine polonaise ayant fini sa vie aux Etats-Unis, ne se sont sans doute croisés que dans mes piles hétéroclites.

C'est pourtant assez étonnant de lire les deux livres en parallèle et de trouver dans les premières pages, des paragraphes qui se font écho : la mère de « La maison du péché » et le père des frères Ashkenazy ont la même exigence d'éducation religieuse et de respect par leurs enfants des principes de cet enseignement. Un respect qui frôle l'intégrisme, dans les deux cas. Les pratiques religieuses sont aussi sombres et contraignantes dans les deux familles. Mme de Chanteprie est chrétienne et Avrom Hersh Ashkenazi est juif.
La conviction de chacun les conduit pourtant à la même intolérance à l'égard de qui ne croit pas selon les mêmes écritures.
La déraison multipliée par deux livres !

D'un côté, les discours doloristes que l'on entendait encore dans les leçons de catéchisme du siècle dernier ; de l'autre, la vie rythmée par le calendrier juif, ses fêtes, ses obligations, ses interdictions multiples et surprenantes pour le goy ignare (ce principe, par exemple, qui impose que la viande et les produits laitiers soient impérativement être séparés ; s'ils ont été en contact, il reviendra au rabbin de définir dans quelle proportion il faut éliminer le produit contaminé).
Le même rigorisme impitoyable.

Mais là où Madame de Chanteprie (ce nom !) a réussi, avec l'aide d'un précepteur, de deux curés et trois amis aussi confits qu'elle en dévotion, à faire d'Augustin, son fils, un croyant convaincu, quasiment forcené, Avrom Hersh peine à écarter de ses enfants, les mouvements de rébellion, d'aspirations à la modernité, que la mixité sociale de la ville de Lodz introduit dans les milieux juifs traditionnels.

Pourtant, à ma gauche, le trouble d'amour s'insinuera dans l'âme d'Augustin. Et à ma droite, l'ambition démesurée et sans scrupules de Simha Meyer, l'un des deux fils Ashkenazi, enverra aux oubliettes à peu près tous les préceptes hassidiques qui lui ont été inculqués.

A ce stade des deux romans, leurs chemins divergent pour de bon.

L'histoire des frères Ashkenazi, c'est celle de leur ville, Lodz, en Pologne, et de toute cette région du centre de l'Europe des années 1860 jusqu'aux années 1930. Histoire accidentée de ce qui n'est pas encore la Pologne indépendante, mais un territoire soumis aux dominations successives, méprisantes et souvent violentes, des Russes puis des Allemands jusqu'en 1918. C'est aussi la chronique de l'apparition de mouvements ouvriers et révolutionnaires qui aboutissent, en Russie, aux évènements d'octobre 1917.

Le père des frères Ashkenazy est arrivé à Lodz avant leur naissance, avec son métier à tisser. L'expansion de la ville, dans la deuxième moitié du 19ème siècle, grâce à celle de son industrie textile, est exceptionnelle. Pour le plus grand bénéfice de quelques entrepreneurs particulièrement adroits et impitoyables, qui font fortune en pressurant les ouvriers de leurs usines.

Simha Meyer Ashkenazy devient l'un de ces entrepreneurs, dont la soif d'argent et de réussite balaie tout sur son passage. Y compris le respect pour son père, l'honnêteté à l'égard de son frère jumeau, la compassion pour ses compatriotes, souvent juifs comme lui, qui s'échinent dans son usine. Simha Meyer est sans loi et a oublié sa foi.

Avec Simha Meyer, fil conducteur de cette histoire longue, on suit au cours des années, la vie de sa famille, mais aussi de quelques personnages qu'il a connus ou croisés et dont le parcours est à l'opposé du sien : gens de peu mais de grande conscience politique et sociale, qui affirment leurs convictions révolutionnaires en assumant tous les risques qu'elles entraînent.

Avec Simha Meyer, on assiste plus tard à l'arrivée à Petrograd du « petit homme râblé au crâne nu et aux traits tatars », jamais nommé dans le roman, qui va dissoudre l'Assemblée et prendre le pouvoir, en octobre 1917.

Les frères Ashkenazy et leur famille vivent ces années au cours desquelles l'antisémitisme ne cesse de s'exacerber, donnant lieu à des pogroms, des emprisonnements, des déportations, des massacres, par lesquels les populations qu'il ne faut pas beaucoup manipuler pour les y pousser, pensent se libérer des fauteurs de troubles et des responsables de leurs conditions de vie désespérantes.

Un demi-siècle de l'histoire de ces régions d'Europe centrale, compliquée, véhémente, féroce, apportant à tour de rôle le malheur et l'expansion, la révolution industrielle et l'oppression de la classe ouvrière, la guerre et des accalmies provisoires, mais quelles que soient les conditions politiques et économiques, la persécution des Juifs, latente ou violente.

Le point final du livre a été posé en 1935. le pire restait à venir.

PS : Trois jours après avoir fini cette lecture, je me demande pourquoi j'ai, sans vraiment y réfléchir, lésiné sur la « 5ème étoile » qu'on accorde aux grands, grands livres.
Pour deux raisons sans doute. La première c'est que j'ai dû, tout le long du roman, me recaler au point de vue historique. Si l'auteur finit par donner quelques repères, ce n'est jamais avec une date. Pour qui ignore l'histoire de ce territoire polonais et de cette région de l'Europe, il faut découvrir par soi-même la période de l'expansion de Lodz, les mouvements et les grèves de 1905, la guerre russo-japonaise et son impact sur la Pologne, en ne sachant pas de quand on part exactement. Sans google sous la main, la lecture est un peu à l'aveuglette.
La deuxième raison, intrinsèque au livre et non plus à l'ignorance de la lectrice que je suis, c'est la psychologie presque caricaturale des personnages du roman. le père rigoriste, le beau-père falot, Simha Meyer ambitieux sans coeur, sa femme qui se décide à l'aimer (pour quelle raison ?) après l'avoir méprisé sans pitié pendant vingt ans, son frère bon vivant chanceux, etc…
Il fallait sans doute cette galerie pour servir la démonstration de Singer, mais il m'a manqué un peu de nuances dans ces caractères pour que je les considère comme des personnages attachants, et non comme des archétypes.
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Simha et Yakhov sont deux frères aussi différents qu'il est possible de l'être: Simha est petit, industrieux, ambitieux, conservateur, débordant d'envie de faire sa place dans une Pologne encore sous la coupe des Russes et des Allemands, prêt à tous les reniements pour réussir. Yakhov est une sorte de géant, séducteur et sensuel, gagné aux idées progressistes voire socialistes- la Russie remue beaucoup...- entier, plein de fougue et de courage. Dinelé aime Yakhov d'amour, mais c'est pourtant Simha qu'elle épousera...

Cette grande saga familiale et romanesque qui s'étale sur des dizaines d'années, se déroule sur fond d'agitation pré-révolutionnaire russe, de montée du nationalisme polonais, de pression de l'occupation prussienne. Prise en étau entre ces trois puissances qui n'ont que le plus total mépris pour elle, la communauté juive du shtetl, misérable mais débordante de vitalité, traversée par les violences récurrentes des pogroms, des vexations et des ségrégations diverses, tente à toutes forces de vivre ou plutôt de survivre - et de se rendre indispensable dans le processus d'industrialisation qui marque la fin du XIXème siècle..

Joshua Israël Singer était le grand frère de Itzakh Bashevis Singer, prix Nobel. Il a été, avant d'émigrer aux USA avec son jeune frère, lui sauvant ainsi la vie, un des plus grands écrivains juifs de langue yiddish.
C'était, comme Yakhov Ahkénazi qui lui ressemble beaucoup, un esprit libre, dégagé de toute religion dans une famille très pieuse de rabbins, gagné aux idées socialistes, mais très vite alerté par la folie stalinienne, résistant de la première heure au nazisme. Quand il apprit , aux USA, en 1944, l'existence avérée de la solution finale, il n'y résista pas, et ce colosse au coeur d'or mourut dit-on de chagrin.

J'ai découvert" Les frères Ashkénazi" avec ravissement: des personnages hauts en couleur, une période de l'histoire complexe et grouillante d'événements, une trame romanesque intéressante -rivalité et solidarité des deux frères pas si ennemis que cela- bref, un monde!

Joshua Israël Singer est une sorte de Zola juif, écrivant en yiddish, plein de verve et d'imagination mais respectueux de la véracité historique et du contexte politique et économique de son roman. Il raconte, derrière l'histoire exemplaire des deux frères, l'essor et la désintégration d'un monde: celui des juifs de Pologne, celui du ghetto polonais des grandes villes, (tel celui de Lodz, ici), celui de l'humble shtetl des campagnes qui vivaient leurs dernières années.

Les antisémitismes locaux -russe, allemand et polonais sur ce seul point accordés - allaient bientôt se charger,chacun à leur façon, de les rayer de la carte.. Encore "un monde d'hier"...restitué avec tendresse, humour, cruauté et réalisme par un très grand écrivain...à redécouvir!
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En 1936 aux États-Unis, deux best-sellers se sont disputés la première place au classement des meilleures ventes: « Autant en emporte le vent » de Margaret Mitchell et « Les Frères Ashkénazi » d'Israël Joshua Singer.
Ils ont un point commun : le roman de l'aîné de la fratrie Singer (dont je viens de découvrir qu'elle comprend également une soeur écrivaine, Esther Kreitman) est également un roman historique de grande envergure, couvrant plusieurs générations de la vie d'une famille.
Singer a écrit sur la vie de la communauté juive d'Europe de l'Est de la moitié/fin du XIXème siècle à 1920 et sur la transformation de la civilisation juive ashkénaze, conséquence des idéologies nouvelles et des affrontements entre tradition et modernité mais aussi du traitement qui lui a été réservé (discriminations, antisémitisme systémique, pogroms d'une barbarie absolument effroyable…) qui aura pour conséquence une forte émigration. Roman épique, « Les Frères Ashkénazi » est l'histoire représentative de la vie des Juifs ashkénazes, le nom de la famille qui est au centre du récit n'est évidemment pas un hasard. Il est plus largement un roman historique sur la révolution industrielle et les débuts du communisme.
La majeure partie du roman se déroule dans la ville de Lodz, principalement au sein de l'importante communauté juive qui y vivait avant la Seconde Guerre mondiale. Lodz, petit village polonais, va devenir une capitale internationale de l'industrie textile.
Nous allons suivre le destin des frères Ashkénazi, de leur naissance à leur mort, des jumeaux diamétralement opposés dont les caractères dissemblables détermineront le destin. Simha Meyer, l'aîné de quelques minutes, frêle, de petite taille, est un garçon solitaire, extrêmement brillant, ambitieux et manipulateur. Yakov Bunem est son opposé: grand, vigoureux, athlétique, charismatique, généreux, bon vivant et peu doué pour les études.
Simha Meyer, le véritable personnage principal du roman, s'éloignera de son éducation juive hassidique et deviendra un homme d'affaires prospère, impitoyable, obsédé par la seule réussite. Il jalousera son frère et son destin.
Entre eux, une femme, Dinelé, dont tous deux sont épris et que l'un d'eux épousera.
« Les Frères Ashkénazi » est aussi un roman aux personnages foisonnants. Nous suivons également le destin de personnages secondaires notamment deux juifs d'origine différente séduits par le marxisme.
Ce roman dense est un une vaste fresque sociale d'une richesse exceptionnelle, un véritable chef-d'oeuvre et un formidable, passionnant témoignage d'un lieu et d'une époque révolue permettant de mieux appréhender et comprendre tout un pan de l'histoire de l'Europe de l'Est, de la révolution industrielle, à la Grande Guerre, à la Révolution russe et la Seconde République polonaise.
« Tout ce que nous avons bâti ici, (…) nous l'avons bâti sur du sable… ».
Un roman avec lequel j'ai très envie d'enchaîner : « La Terre promise » de Wladyslaw Reymont (prix Nobel de littérature), considéré comme un chef-d'oeuvre, se déroule aussi à Lodz à la fin du XIXe siècle et met en scène 3 hommes qui s'associent pour fonder une des plus puissantes fabrique de textile.
« une fresque urbaine, morale, sociale et économique d'un des grands centres industriels de la Mitteleuropa ».
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Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
Les boutiques juives rouvrirent l'une après l'autre. Les vitriers remplacèrent les vitres cassées, les Confréries du Dernier Devoir enterrèrent les cadavres, les médecins pansèrent les blessés, le Grand Rabbin proclamera un jour de jeûne et, dans les oratoires, des juifs très pâles récitèrent les prières des jours de jeûne.
Les ouvriers non juifs, domptés et abattus, se pressaient aux portes des usines et imploraient, tête basse, qu'on les réembauchât à n'importe quel prix. Les directeurs les reprirent, non sans réduire les salaire comme ils l'entendaient. A nouveau les cheminées crachèrent leurs colonnes de fumée vers le ciel, polluant l’atmosphère comme avant, les sirènes déchirèrent le matin, les machines se remirent à gronder.
Une chanson nouvelle monta du côté de la rue Feiffer, chantée par les mendiants en commémoration du massacre :
Écoutez, bonnes gens, écoutez
Ce qui à Lodz s'est passé.
Au premier jour du mois d'Iyar
Les juifs furent victimes des pillards.
Des ouvriers déchaînés
Ont dépecé, brûlé, tué
Tous ceux qu'ils ont rencontrés
Et tous les juifs se sont sauvés
Seigneur à la miséricorde infinie,
Tes agneaux n'ont jamais de répit.
Étends sur nous Ta puissante main,
Ramène-nous sur notre terre, enfin.
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Les trains étaient bondés de soldats démobilisés et de réfugiés civils de tous les pays. Hirsutes, affamés, hagards après toutes ces années de détention, dépenaillés, des ballots sur l’épaule et aux pieds des sabots de bois et de vieux bouts de tissu pour jambières maintenus en place avec de la ficelle ou du fil téléphonique, des milliers de soldats étaient en route vers leurs foyers en Russie, en Ukraine, en Sibérie, dans le Caucase ou en Crimée. Ils couraient à travers les pays, les régions, les frontières, abandonnés par leurs généraux qui les avaient entraînés au combat, seuls, perdus en terre étrangère, sans le sou, la faim au ventre, désespérés, malades, nus.
(p 643)
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Et il y avait les Juifs, des milliers, des dizaines de milliers de Juifs, des villes entières arrachées à leurs foyers par l’édit du Grand-Duc Nikolai Nikolaievitch qui avait eu recours à cette manœuvre de diversion pour couvrir sa désastreuse direction des armées. Jeunes et vieux, valides et impotents, femmes enceintes et vieillards séniles cahotaient dans des wagons de marchandises faits pour quarante hommes ou huit chevaux où ils s’entassaient à plus de cent. Coupés de toute aide, affamés, sales, ces fragments de communautés juives étaient chassés d’un bout de la Russie à l’autre sous surveillance militaire armée.
(p 522)
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Mais il était déjà trop âgé pour les femmes et se contentait de petites filles qui acceptaient d’embrasser un grand-père ou de jouer avec lui pour un morceau de sucre.Toutes les mères n’étaient pas d’accord pour laisser jouer leurs filles chez Jostel au lieu de lui payer leurs dettes, mais bon nombre le faisaient sans en parler à leurs maris. Elles pensaient à leur propre enfance, quand elles aussi s’étaient laissé caresser par un « oncle » du même style, l’instituteur de village ou l’épicier. Mais cela ne leur avait pas causé de tort puisque, depuis cette époque, elles s’étaient mariées, étaient devenues de bonnes épouses et avaient eu des enfants. Elles envoyaient donc leurs petites filles chez l’oncle Jostel en leur recommandant de bien faire comme on leur disait et de ne le répéter à personne.
(p 280)

Les ouvrières affluaient, lui procurant, à lui et à son directeur, un admirable choix. Elles revenaient invariablement de chez Albrecht avec des bleus sur le cou et les bras et une robe ou un rouble en cadeau. Melchior était grassement payé pour son goût et l’infinie variété des filles qu’il lui envoyait. Tout le monde était content, sauf peut-être les filles.
(p 281)
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« Vous êtes jeune, dit l’autre d’un air compatissant, autrefois je pensais comme vous. Mais ils nous rosseront toujours. Quand on a installé des machines nouvelles à Lodz, ils nous ont rossés ; quand des étudiants russes ont assassiné le tsar, ils nous ont rossés ; maintenant c’est au tour des ouvriers. Plus tard ce sera les révolutionnaires. Et jamais rien ne changera tant que nous serons juifs et eux chrétiens. »
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Erri de Luca --La Fabrique de l'ombre -- Où Erri de Luca, après la projection du film de Robert Bober : "A Mi-Mots : Erri de Luca", parle de son histoire avec Naples -"je dois t'apprendre, après je dois te perdre"-, des arbres qui fabriquent de l'ombre, de la surface, de la profondeur et de Hofmannsthal, de la compagnie des livres, de l'écriture et de la lecture, des langues, le Grec et le Latin, le Français, de l'Anglais et de Harry de Luca, de l'Hébreu ancien et du Yiddish, de Israël Joshua Singer et du Russe, à l'occasion de "Paris en Toutes lettres", au Centquatre à Paris - 7 mai 2011 - Erri de Luca -La Fabbrica dell'ombra - Dove Erri de Luca, dopo la proiezione del film di Robert Bober: "A Mi-Mots : Erri de Luca", parla della sua storia con Napoli, degli alberi che fabbricano dell'ombra, della superficie, della profondità e di Hofmannsthal, della compagnia dei libri, della scrittura e della lettura, delle lingue, del Greco e del Latino, del Francese, del Inglese e di Harry de Luca, del Ebraico antico e del Yiddish, di Israele Joshua Singe e del Russo, in occasione di "Paris en Toutes Lettres", al Centquatre a Parigi - 7 maggio 2011
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