D'une écriture percutante et incisive, naviguant à merveille entre réalisme technique et horreur scientifique, un premier polar qui porte un fer vigoureux parmi les fantasmes d'extrême-droite et parmi quelques autres démons.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/05/26/note-de-lecture-
mycelium-fabrice-jambois/
Une nouvelle drogue dure circule à Paris par des canaux mystérieux, n'hésitant pas à emprunter subrepticement les circuits des salles de shoot médicalisées destinées normalement à éviter certaines des plus horribles conséquences médicales de l'héroïne et du crack… Stéphane Zenner, ancien professeur de biologie et théoricien suprémaciste blanc adepte des plus extrêmes développements des plus fumeux « grands remplacements », avec son groupuscule secret nommé « Les Vicaires », appelle publiquement, par métaphores pourtant très transparentes, à l'éradication des migrants en voie de submerger l'Europe en général et son pré carré parisien en particulier… Lorsque, brutalement, porte de la Chapelle, des dizaines de migrants et de bénévoles en train de les aider s'écroulent foudroyés par une maladie inconnue et presque inexplicable, la section anti-terroriste de la brigade criminelle, et plus particulièrement le groupe d'enquête du commandant Ravard, spécialisé dans le suivi de l'extrême-droite violente, est propulsée en urgence sur le devant de la scène, pour une enquête hautement médiatique, sur les tenants et aboutissants de cette catastrophe d'une part, sur la traque impérative d'un fuyard érythréen qui semble désormais semer la mort sur son passage d'autre part. Croisant presque par hasard la trace d'une jeune journaliste se trouvant bien malgré elle impliquée dans l'enquête, voici qu'il s'agit pour lui de penser l'impensable, et de plonger aussi bien dans les cercles privés les plus exclusifs que dans les arcanes de pseudo-sciences oubliées, ou presque.
Publié dans la collection Equinox des Arènes en avril 2022, le premier roman de
Fabrice Jambois, jeune docteur en philosophie (dont la thèse portait sur « L'idée de mort et la formation de la psychiatrie matérialiste dans la philosophie de
Gilles Deleuze »), offre un mélange subtil et réussi de polar technique et réaliste (pas si éloigné, dans cette tonalité principale, des labyrinthes contemporains conçus par
Dominique Manotti,
DOA ou
Jean-Hugues Oppel) et de course vertigineuse au bord d'un abîme volontiers situé aux lisières du fantastique ou de la science-fiction (comme dans certains des premiers romans de
Maurice G. Dantec, «
Les racines du mal » ou «
Babylon Babies » notamment, avant que tout cela ne soit largement gâché dans la logorrhée et l'excès de « Villa Vortex », et avant la belle résurgence presque miraculeuse de son ultime production, «
Les résidents », – ou comme dans les plus éclatantes réussites d'
Antoine Chainas, telles «
Empire des chimères »). Mêlant des motifs issus de la tradition canonique du merveilleux (ou de l'horreur scientifique) à ceux du techno-thriller épique, parcourant les recoins anciens et nouveaux de la fringe medicine et de sa fâcheuse tendance à considérer les faibles comme des cobayes pour les « avancées » des puissants, traquant comme le
Benjamin Fogel de «
La transparence selon Irina » ou de «
le silence selon Manon » les névroses sociales en quête forcenée de débouchés politiques éventuellement très violents, pesant avec soin la masse des réminiscences pseudo-scientifiques dans leur interaction avec les réalités complotistes – comme sait si bien le faire le collectif italien
Wu Ming, tout particulièrement dans leur « Armata dei Somnambuli » (non encore traduit en français), assemblant des trajectoires que l'on jurerait d'abord disparates voire étanches les unes aux autres avec un brio pas si éloigné de celui du
Stéphane Vanderhaeghe de «
P.R.O.T.O.C.O.L. », et analysant enfin, tout au long du roman, avec une féroce malice, à travers les pensées du commandant Ravard, la manière dont le vocabulaire même de l'extrême-droite contamine jusqu'aux monologues intérieurs de ses adversaires (ce qui a pu être observé depuis plusieurs années hélas dans les médias français et dans les propos de politiciens pourtant réputés de prime abord comme bien éloignés des tentations fascisantes et suprémacistes), «
Mycélium » est un roman intense, brutal, percutant et dérangeant.
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