Ce roman est un projet qui remonte à 2001. A l`époque j`avais 18 ans, j`étais en fac de cinéma, et j`étais décidé à écrire un scénario de long-métrage. Sans m`en rendre compte, j`ai essayé de recracher sur papier toutes les influences qui me hantaient depuis quelques années, que ce soit des romans comme Le Dahlia noir ou des films comme Heat, Taxi Driver ou La Horde Sauvage. Je me suis retrouvé avec le plan d`un scénario qui était parti pour faire au moins le double des fameuses 120 pages qu`on doit s`interdire de dépasser en scénario. En plus de ça, je me suis complètement perdu dans l`intrigue que j`essayais de ficeler. Et la goutte d`eau a été une simple prise de conscience, celle qui m`a fait comprendre que dans tous les cas personne n`en aurait rien à faire d`un scénario de long-métrage d`un gamin de 18 ans ! Alors j`ai naturellement abandonné mes personnages sur des dizaines et des dizaines de pages de brouillon, même si sur le coup ça m`a fait mal au cœur.
Et puis il y a trois ans, j`ai remis le nez dans toutes ces vieilles chemises remplies de tentatives d`écritures, et je me suis dit qu`il fallait que j`en fasse quelque chose. J`ai donc décidé d`en faire un roman, et j`ai bien sûr radicalement transformé mon brouillon, en changeant la plupart des personnages, le décor, et en construisant plusieurs intrigues parallèles. Mais les éléments dramatiques qui font la base du livre étaient déjà là, à savoir ce duel entre deux hommes pourchassant un fantôme qui réveille des obsessions profondes chez chacun d`eux.
Pour tout ce qui est de l`ordre du décor, je m`inspire énormément de la réalité. de policiers que j`ai pu croiser quand je travaillais la nuit à Paris, et bien sûr de dizaines de bouquins, de documentaires, d`articles que j`ai pu parcourir au cours de mes recherches. Ca me semble primordial, dans le sens où ça permet de donner un cadre hyper réaliste à l`action. Pour tout ce qui est de l`ordre du drame par contre, c`est tout le contraire ! Je vais chercher mes inspirations dans des faits divers hors normes, mais aussi et surtout dans l`histoire de la fiction. Les livres et les films m`ont énormément nourri, et continuent de le faire.
La Sirène qui fume part d`un cadre très précis, à savoir la PJ à Paris en 2011, mais le roman s`affranchit très vite de ce décor pour rendre hommage à une sorte de diégèse mondiale, au sein de laquelle vivent plein de personnages prototypés auxquels j`ai voulu faire des petits clins d`oeil. Pour moi, on est ici dans le cliché « positif », c`est-à-dire celui qui offre une nouvelle vie aux archétypes, en leur donnant une nouvelle forme, et donc à l`inverse des poncifs formatés qui n`apportent rien de nouveau.
J`ai voulu placer ce roman dans une période forte, à savoir la fin des années Nicolas Sarkozy. Cet homme a entraîné dans sa chute la DCRI de Bernard Squarcini, Claude Guéant et sa domination absolue sur les fonctionnaires de police, mais aussi des intermédiaires comme Ziad Takieddine et Alexandre Djouhri, des politiciens pas très clairs comme Jean-François Copé et Brice Hortefeux, et bien sûr des industriels et des dizaines d`hommes de l`ombre. Il y avait un vrai système Sarkozy, qui a tout dominé pendant quelques années, et qui a explosé en plein vol. Je pense qu`on n`a pas encore vu toutes les conséquences de ça, les têtes vont continuer de tomber. Et puis cette période est aussi la fin d`un certain banditisme corse, en tout cas dans la forme qu`il revêtait depuis plusieurs dizaines d`années : fermeture des cercles de jeu, guerre des clans et explosion du gang de la Brise de Mer...
Pour moi, le travail du style est primordial dans l`écriture. C`est la forme qui doit révéler le drame. La forme n`est pas un outil transparent au service du fond : au contraire, elle l`incarne. Tous mes modèles sont des grands formalistes, que ce soit Hubert Selby Jr, William S. Burroughs, William Faulkner, Cormac McCarthy, James Ellroy ou David Peace. Je ne prétends bien sûr pas leur arriver ne serait-ce qu`à la cheville, mais en tout cas leur vision de l`écriture m`a guidé. Elle m`a libéré des carcans formatés, et quand j`ai repris mon manuscrit pour en faire un roman, il était primordial pour moi de donner à mes personnages une voix particulière, que ce soit en utilisant le « tu » ou en bannissant la ponctuation dans certains passages. Quand il s`agit de caractères torturés, ce travail sur le style permet clairement de pénétrer plus facilement dans la tête du personnage : à protagoniste un peu fou, écriture un peu folle aussi ! Une fois passée la barrière expérimentale, n`importe quel lecteur peut à mon avis s`y identifier sans aucun problème.
Les deux prochains romans seront construits de la même façon, avec deux personnages principaux à chaque fois. Le deuxième prendra place entre octobre 2011 et le soir des résultats le 6 mai 2012, et le troisième s`ouvrira sur la gueule de bois de la droite après les élections. On suivra dans ces romans une grande partie de ceux déjà croisés dans La Sirène qui fume, et notamment la capitaine Laurence Verhaeghen qui va prendre une place de premier plan. Quant aux intrigues, je n`en dirais pas plus, sinon que dans le deuxième on parlera beaucoup d`une affaire qui agitait déjà énormément à l`époque, à savoir le financement de la campagne de 2007 par Mouammar Khadafi...
Tous ! Mais Encore un jour au Paradis d`Eddie Little m`a particulièrement inspiré quand je l`ai lu vers mes quinze ans. A peine fini, je me suis mis à écrire un petit roman d`une centaine de pages avec des personnages beaucoup trop influencés par Little. Sinon, 1977 de David Peace est le roman qui m`a redonné l`envie il y a trois ans.
Le Festin nu de William S. Burroughs.
Le premier choc avec le polar a été Lune sanglante de James Ellroy. Le deuxième choc, celui avec la littérature blanche, a été Last Exit to Brooklyn d`Hubert Selby Jr.
Le Dahlia noir de James Ellroy.
Guerre et Paix de Léon Tolstoï. Il est sur ma pile depuis trois ans, mais ce coup-ci c`est sûr je m`y mets !
Fasciste de Thierry Marignac. Ca reste un livre culte, mais qui a complètement disparu de la circulation à cause de sa réputation sulfureuse. Marignac a été victime de son ouverture d`esprit, la même avec laquelle Jerôme Leroy a écrit le génial Le Bloc vingt ans plus tard.
Je vais me faire des ennemis, mais je dirais Sur la route de Jack Kerouac. C`est un choix clairement subjectif, je sais que Kerouac a apporté énormément, mais quand je le lis je m`emmerde !
Non, je n`aime pas les grandes phrases qui essayent de tout résumer avec grandiloquence. Mais je peux vous donner une citation que j`adore à défaut d`un énoncé pompeux : "C`est ça le problème avec la gnôle. S`il se passe un truc moche, on boit pour essayer d`oublier ; s`il se passe un truc chouette, on boit pour le fêter, et s`il ne se passe rien, on boit pour qu`il se passe quelque chose." Charles Bukowski, bien sûr...
La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole.
Découvrez La Sirène qui fume de Benjamin Dierstein aux éditions Nouveau Monde :
Entretien réalisé par Nicolas Hecht.
Qui est l'héroïne de l'histoire ?