"En y regardant bien, ce n'est pas 1830 qui crée le Pied-Noir, mais 1962.Le rapatriment massif et tragique de l'été devient l'élément fondateur de la communauté en exil. Le déracinement et l'éparpillement sur le sol métropolitain, où Marseille joue le rôle le plus important, contribuent à la constitution d'une conscience commune qui n'avait pas cours en Algérie. Enfin, c'est à Marseille plus qu'ailleurs que l'on se confronte avec l'autre, ce Français de métropole, alors qu'on se découvre, et se définit, "Français de là-bas""
Enjeu à venir, et à tenir, d'une mémoire qui n'est pas une mémoire ordinaire. Elle est, par le traumatisme de 1962, un fait psychologique et elle rend, par la capacité de décrire les objets présents et les situations réelles d'un été tragique.
Ces souvenirs sont vifs, tranchants, spontanés et se trouvent tout de suite marqués de "perfection". Le temps ne pourra dénaturer des images figés une fois pour toutes. Place et date serons ainsi conservées dans les mémoires.
Marseille reste donc la ville de la brisure quand bien même les Pieds-Noirs s'y sont intégrés et y ont connu joies et peines, échecs et réussites.
"A Marseille, si vous n'êtes pas corse ou pied-noir..." est un sous-entendu communément admis de même s'il n'a pas de fondements sérieux. Il exprime déjà une page de l'histoire de la ville face aux solidarités de l'exil.
Les Français d'Algérie avait, la plupart du temps, perdu le contact avec sa province d'origine et ne disposait d'autres attache "provinciale" que son lien avec la terre algérienne.
Cette réalité est encore plus fortement affirmée pour les autres Européens, Espagnols majoritairement, mais aussi Italiens, Maltais, Allemands, définitivement coupés de leurs racines, devenus authentiquement français par l'Algérie au quotidien et leur engagements en métropole lors des deux guerres mondiales. Aussi ressentent-ils comme une blessure, et s'indignent-ils, quand cette France répond avec retard ou légèreté à leurs besoins matériels et moraux les plus urgents.
A la mémoire d'un exode quasi unimorphe succède une mémoire d'exil qui accompagne la fin d'un deuil. De l'exil destructeur où le sentiment d'être "étranger parmi les Français" reste fort et où le deuil de l'Algérie est inlassablement porté, à l'exil cultivé comme pilier d'une communauté en devenir, en passant par l'exil de la page tournée qui ne l'est jamais totalement, la communauté pied-noir revendique une légitimité dans l'histoire de France et veut négocier sa part dans l'histoire de la Méditerranée contemporaine.
"Quand ma mère est arrivée avec sa petite fille ( la fille de ma sœur) dans les bras, la Croix Rouge s'est précipitée sur elle, car elle n'en pouvait plus. Elle a donné notre adresse et on l'a mise dans une voiture. Ma mère leur a dit qu'elle n'aurait pas assez d'argent pour régler la course et un jeune homme lui a dit que c'était sa voiture, qu'il ne lui demandait rien du tout et qu'il était là pour nous aider."
"On est là, présents, de sept-huit heures du matin jusqu'au soir, confie une jeune assistante sociale, à aider, à apporter un peu de chaleur, un renseignement, aller voir les uns, les autres pour trouver un hébergement pour la nuit.... Et il y avait vraiment une solidarité importante parmi nous. C'est vrai que c'était impressionnant, presque insupportable, très dur, mais le sort était partagé de tous".