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EAN : 9782755509045
88 pages
1001 Nuits (14/02/2024)
4.04/5   118 notes
Résumé :
Le Terrier, l'une des dernières nouvelles écrites par Franz Kafka (1883-1924), est celle où se mêlent avec le plus de violence l'issue inexorable d'une destinée tragique et une extraordinaire distanciation comique. L'humour noir atteint ici un paroxysme. Un troglodyte nous fait partager l'extrême ingéniosité de sa vie enterrée, et ce lieu de sécurité maximale devient celui de tous les dangers ; lieu où la paix du « chez-soi » devient mortelle : un tombeau pour l'éte... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (15) Voir plus Ajouter une critique
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Nous sommes jeudi soir. Quatre jours se sont écoulés et je n'ai vu personne.


L'angoisse a commencé lundi. le Terrier était sur un coin de ma table. Robert me l'avait prêté. Il s'agissait d'une édition bilingue : der Bau. Robert essayait en effet de m'apprendre la prononciation des mots allemands mais mes progressions en la matière ne le satisfaisaient jamais suffisamment. le « u » ne ressemblait jamais assez à un « ou », le « ich » n'était jamais assez sifflé. Pourtant j'aimais cette langue, historiquement héroïque. Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, je reconnus que le texte en français me suffirait. Je n'en demande jamais trop aux choses. 130 pages divisé par deux. La lecture ne serait pas trop longue. Je pourrai ensuite lire autre chose car, après tout, je n'avais jamais demandé à lire der Bau, ni même le Terrier. Mais Robert avait jugé qu'il serait bon que je lise ce texte : aussi avais-je accepté d'obtempérer.


La préface semblait en savoir quelque chose de ma vie, à ce moment-là. Jean-Pierre Verdet y parlait en effet de la solitude de Kafka, de son sentiment de n'être jamais vraiment en lien avec l'autre même en sa présence, de n'être jamais autant en lien qu'il le souhaiterait. Il nous parle de son besoin d'isolement, dont il se justifiait par le prétexte bien commode des conditions idéales de l'exercice de l'écriture. Tout le monde sait pourtant que lorsque l'écriture devient plus pressante que la compagnie de l'autre, c'est du côté de l'un à l'autre qu'il faut regarder.


Mardi, je constatai qu'il me manquait des noix de cajou, des abricots secs et un citron. C'était un bon prétexte pour me rendre au Vival du village, qui fait aussi la Poste, et pour échanger quelques mots avec le vendeur. Sur les quelques centaines de mètres qui me séparaient du magasin, je ressassais quelques bons souvenirs. La dernière fois que j'avais vu le vendeur, c'était pour l'affranchissement d'une lettre pour la Nouvelle-Calédonie. Alors qu'il me demandait où se trouvait ce pays, je fus bien obligée de reconnaître que je n'en savais rien. Il n'en savait pas davantage. Par défaut, nous imaginâmes des plages de sable et de palmiers sous le soleil, et nous nous exclamâmes de joie. Si nous habitions là-bas, nous irions boire des liqueurs sucrées tous les soirs après le travail sur la plage, me disait-il. Nous étions si enthousiastes que nos voix résonnaient dans le petit magasin. Après avoir imaginé toutes sortes de breuvage que nous pourrions nous faire servir sur des transats, le vendeur finit cependant par avouer qu'il ne buvait pas d'alcool. Je convins pour ma part que nous finirions par nous lasser des plages et des palmiers. Nous en vînmes alors à parler du coût de la vie, le supposant très élevé. Nous nous tournâmes ensuite vers le square de la place du village, que nous apercevions à travers la vitre peinturlurée de banderoles à l'honneur de l'enseigne. Il valait le détour avec sa boîte à livres, son arbre, son banc et sa mairie aux murs roses. Les yeux brillants, nous admîmes qu'il valait mieux rester ici quand bien même nous ne savions pas pour quelle raison nous y étions, plutôt que d'aller là-bas en ne le sachant pas davantage.


Je me souvins de ma rencontre avec le vendeur. Dans les premiers temps, il portait un tissu en papier bleu sur la figure qui lui couvrait le nez et la bouche. Ce détail ne nous empêcha pas de devenir amis. Cependant, il finit par se faire remplacer. Un jour, j'entrai ainsi dans le magasin et j'eus la déconvenue de constater qu'un autre individu le remplaçait. Ce nouveau vendeur était moins amical. Il ne plaisantait pas et ne semblait pas disposé à faire la conversation. Je ne m'en formalisais pas. Il en faut pour tous les goûts. Un jour qu'il encaissait un lot de trois poivrons que je lui présentais, il m'adressa toutefois la parole :
- Comment va le barbu ? me demanda-t-il à propos de mon ancien bon ami, avec qui je n'étais plus, d'ailleurs.
Je me demandais comment il le connaissait. Peut-être celui-ci avait-il eu le temps de bavarder avec le nouveau vendeur, avant que nous nous séparions. Dans le doute, et pour ne pas entrer dans les détails, je répondis qu'il allait bien. Mon malaise devait cependant être visible car je ne sais pas cacher mes émotions. le vendeur me demanda alors :
- Vous m'avez reconnu au moins ?
La conversation me déstabilisait de plus en plus. Comme je n'étais plus à un mensonge près, je lui répondis par l'affirmative.
- Beaucoup ne me reconnaissent plus depuis que j'ai enlevé le tissu bleu, me dit-il sur le ton de l'aveu.
- Que voulez-vous, les gens sont obnubilés par leurs petites affaires, ils ne font jamais attention, avais-je répondu d'un air triste.
Pour témoigner de ma bonne foi, j'ajoutai qu'avec ou sans masque, je n'avais jamais douté de la continuité de son identité. Tout en riant des villageois stupides, je tremblais intérieurement de joie : j'avais retrouvé mon ancien vendeur. le nouveau vendeur n'était autre que l'ancien vendeur : l'ancien et le nouveau vendeur ne formaient qu'une seule chair. Il s'agissait, en somme, du même et unique homme.


Ce jour-là, cependant, alors que j'entrai dans le Vival à 13 heures 30, le vendeur n'était vraiment pas là. Un adolescent gominé le remplaçait à la caisse. Voyant cela, je voulus faire demi-tour. Cependant, l'adolescent m'avait vu et il me salua. Tout en faisant le tour des rayons, je me demandais comment me sortir de cette malencontreuse situation. Je ne pouvais pas ressortir les mains vides, mais je n'étais pas non plus obligée d'acheter les produits pour lesquels j'étais venue. J'aurais ainsi l'occasion de revenir plus tard dans la journée, à supposer que mon vendeur fût simplement en train de prendre sa pause déjeuner. Je m'arrêtai au rayon des eaux et prit une bouteille de deux litres à un euro. Cet achat, raisonnable, pouvait sembler de circonstance. Je payai et sortis du magasin. Je traversai la route et m'installai sur le banc du square, d'où je pouvais voir la porte d'entrée du Vival. J'attendis ainsi, tout l'après-midi, mais mon vendeur ne revint jamais de sa pause déjeuner. Je me résolus à admettre qu'il ne travaillait certainement pas ce jour. Ma bouteille d'eau était terminée et, de guerre lasse, je me résolus à faire les achats dont j'avais besoin auprès de l'adolescent gominé. Je calculai, sur le chemin du retour le nombre de jours qui devraient encore s'écouler avant que mes denrées soient épuisées et que j'aie une bonne raison de retourner au Vival.


Mercredi : il me fallait lire ce terrier. Je reçus un message mystérieux de Roberto qui me conseillait de profiter de ces quatre jours de solitude pour prendre soin de moi. Cette expression me glaça des pieds à la tête. Je m'imaginai avec des oignons cebette entre les orteils. Cette expression me mettait même franchement mal à l'aise. J'essayai de la transposer à un autre objet, pour la comprendre. Je sais prendre soin d'un ordinateur, même si le mien ne peut plus se connecter à internet. Je sais prendre soin d'un livre, et encore, quand je n'en laisse pas tomber un dans une flaque d'eau. Je sais prendre soin d'une plante, également, jusqu'à ce qu'elle meure de sa belle mort, séchée en plein soleil. Fière de cette réussite, je m'imaginai ensuite prendre soin de moi. Il me vint alors l'image d'une crème nourrissante épaisse, blanchâtre, dont certains s'enduisent les pieds et se recouvrent la corne, fissurée, que certains rabotent, mais enfin. Ensuite, il ne me vint plus rien d'autre.


Jeudi : j'ai fini de lire le Terrier. le titre est assez explicite. le narrateur vit sous terre, dans un terrier construit par ses soins. Il passe son temps à se demander si ce terrier est assez protégé et il sort de temps en temps pour chercher de la nourriture qu'il entrepose dans une grande salle. Quand il ne mange pas, il regarde et range les aliments. Il ne trouve son bonheur que lorsqu'il peut rester longtemps seul dans son terrier sans être inquiété par les intrus qui pourraient s'immiscer en sa demeure ou s'en rapprocher par d'autres galeries. Je lisais tout cela le plus simplement du monde, dans une sérénité d'esprit la plus totale, voire dans le vide de l'inconscience, lorsque je tombai sur cette phrase, page 99 : « [...] je me suis assez souvent endormi un instant, dans n'importe quel trou, en plein travail, une patte enfoncée en haut dans la terre, dont je voulais, dans un demi-sommeil, arracher un morceau ». le mot de « patte » me sortit de ma torpeur. Je compris soudainement que le narrateur était, non pas un homme, comme je me le figurais, mais un animal, et peut-être même une taupe. Rétrospectivement, je me demandais comment je n'avais pas pu comprendre plus tôt que cet homme était une taupe. Un esprit sain, ainsi que je me targue de l'être, peut-il admettre raisonnablement qu'un narrateur vivant dans un terrier sous terre puisse être un homme ? Quelques indices auraient certes pu m'indiquer, bien avant la page 99, que nous n'avions pas affaire à un homme mais à une taupe. Page 41 : « mon front qui est un marteau-pilon particulièrement opportun ». Cette phrase aurait pu m'aiguiller mais, métaphoriquement, de nombreux hommes possèdent un front dont ils se servent comme d'un marteau-pilon. le caractère lapidaire du mot « patte » ne laissait cependant aucun doute.


Hier, profitant d'un rayon de soleil, j'ai ouvert la fenêtre. En fin d'après-midi, dans mon bureau, j'ai entendu un insecte marcher par terre de ses petits pas précipités. Ma table étant trop grande, je ne pouvais cependant pas distinguer la forme de l'animal. Je l'ai seulement entendu entrer dans la pièce, puis faire demi-tour, jugeant sans doute que l'ambiance n'était pas à la fête. Je ne l'ai plus entendu.


Le soir, en sortant de la douche, je faillis mettre le pied sur l'insecte. Il s'agissait d'une guêpe hivernale. Elle s'était arrêtée sur mon tapis de douche qui était aussi jaune que son corps. La bête ne bougea pas une seconde entre mes pieds, tandis que je me séchais et que j'enfilais mon pull et mes chaussettes. le lendemain, en me levant, je la trouvais dans le couloir, étalée de sa belle mort.


Jusqu'ici, j'ai eu de la chance, mais j'aurais pu poser le pied sur cet insecte et ma mort aurait été atroce. le prochain ennemi pourrait être autrement redoutable. Je dois me préparer.
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Quelque part, on ne sait où dans la forêt, un être ni vraiment homme ni vraiment animal vit dans un terrier. Pas un vulgaire trou de renard. Un immense réseau souterrain qu'il a creusé de ses mains, dont il a durci les parois en tapant dessus avec son front. Il l'appelle avec orgueil « sa forteresse ». Il se nourrit de la vermine qui, en creusant ses propres tunnels, atterrit dans le sien. Parfois, pris d'une folle frénésie, il se risque à l'extérieur, tuant et dévorant tous les animaux qui croisent son chemin.

Cet être vit dans une étrange et perpétuel paranoïa. Il craint de mystérieux « ennemis » ; c'est pour se cacher d'eux qu'il a réalisé ce refuge. Qui sont-ils ? Existent-ils ailleurs que dans son imagination ? Lui-même n'a pas l'air de le savoir. Un jour, il entend un bruit étrange...

Voici un texte très inattendu pour Kafka. Contrairement au Procès ou à la Métamorphose, le héros est maître de son destin, il ne subit pas passivement des événements inéluctables - même si la fin va peut-être en ce sens. Contrairement à la Métamorphose, la monstruosité est cette fois un atout. Il n'y a qu'un seul et unique personnage. Personne pour l'écraser ou le torturer – à part les être sortis de son imagination, et un son bizarre.

Il est couramment admit qu'il s'agit d'une métaphore. Cette forteresse dont parle Kafka serait donc intérieure. Une carapace où il se retire pour se protéger du monde extérieur, qu'il perçoit comme une agression. Ses mystérieux ennemis sont la grossièreté, la rudesse, la vulgarité. Et dans ceux qu'il évoque, les rares ennemis suffisamment puissants pour détruire sa forteresse en un jour, peut-être compte-t-il son père...
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La narration à la première personne nous fait entrer non seulement dans le terrier mais aussi dans l'esprit d'un animal hypersensible et paranoïaque, dont la pensée semble connaître encore moins de repos que le corps sans cesse sollicité pour creuser et améliorer son antre souterrain. S'ils prêtent parfois à sourire, ses raisonnements amphigouriques aux embranchements incessants finissent par induire une certaine sensation d'oppression, comme si nous étions nous aussi sous terre dans des galeries étroites, à entendre un étrange « chuintement » trahissant l'approche d'un Autre menaçant.

Le texte reste inachevé, ce qui rend ambiguë la provenance du bruit entendu par le narrateur. Cela pourrait tout aussi bien être une sorte d'acouphène. Rien ne prouve que quoi que ce soit aille mal en dehors de sa tête. Mais sa tête, on n'en sort pas.

Du fait de sa possible existence objective hors de cette tête, l'Autre incarne un remède hypothétique. Mais ce remède, est-ce la grâce ou la mort, voire les deux ?

Comme souvent avec Kafka, la portée allégorique s'avère très ample, puisque l'on peut d'un côté lire ce texte comme une satire du matérialisme (l'homme épris de ses possessions et voulant toujours plus enrichir son confort mais en se laissant paradoxalement emprisonner dans une tâche pénible et vide de sens) et, du côté opposé, comme une métaphore du travail d'écrivain, qui creuse à travers les pages le sillon de sa propre vie, et (c'est particulièrement vrai pour Kafka) laisse souvent ses projets non terminés, se laisse aller à creuser dans d'autres directions, selon l'envie et l'inspiration du moment. L'écriture aménage des voies respiratoires pour l'esprit, et c'est cette même respiration que Kafka a quêtée, jusqu'au bout de sa vie, pour créer du sens.
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Terrible nouvelle non achevée par Kafka. Et pourtant, la fin est paradoxalement (malgré la volonté de l'auteur) la meilleure des fins que cette histoire pouvait avoir.

Sur l'histoire:

Plongée dans l'esprit torturé d'une bestiole anthropomorphe ou du moins qui a une pensée humaine. La bête est terrorisée par l'idée qu'on pénètre dans son terrier qui la rassure, la protège. Elle n'en sort quasiment jamais sauf pour chasser et ces sorties la traumatisent.

Cet être aux traits à la fois humains et bestiaux semble craindre des ennemis qui lui veulent un mal terrible. La question est de savoir s'il s'agit de réels méchants ou s'ils sont l'objet de son esprit complètement parano. On comprend petit à petit que la bestiole est profondément asociale et qu'elle craint tout simplement "l'autre". Elle se terre dans son trou.
Elle passe d'ailleurs la majorité de son temps et de sa vie à améliorer ses défenses par de nombreux pièges, constructions et tunnels.

Un jour, la bête perçoit un bruit inconnu qu'elle pense provenir de l'extérieur avant de comprendre qu'il vient de l'intérieur du terrier et la panique s'empare d'elle.

Cette nouvelle est d'une intensité remarquable. Paranoia, schizophrénie, terreur, soulagement, obsession, la pauvre bestiole est dans un état psychologique sous tension et on la sent défaillir peu à peu. Kafka explore parfaitement la palette de l'effroi dans toute son étendue.

Point fort:

L'écriture qui évolue au fil de la nouvelle, qui sursaute avec les émois de la bestiole. On se sent concerné par cette créature en souffrance, lié à son sort, on partage ses craintes... et pourtant elle est répugnante, égocentrique, faible. Mais elle nous renvoie à notre propre terreur de l'inconnu que ce soit l'autre (personne ou culture) ou les phénomènes irrationnels (la mort). Et face à l'inconnu, notre panique est similaire à celle de cette bête.
Kafka a le don de nous faire aimer les antihéros pathétiques.
Cette fois-ci c'est amplement réussi.
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le terrier nous plonge dans les pensées d'un petit animal, une sorte de petit carnivore fouisseur, une taupe sans doute ou un animal approchant, doté d'une paranoïa démesurée, qui l'a conduit à construire un terrier immense, une sorte de royaume souterrain composé de dizaines de galeries, long de plusieurs centaines de mètres, et protégé comme une place forte.

Il erre dans les galeries qu'il a construite à la force de son front ; se love dans les petites places qu'il a institué ; interdit à tous l'entrée, sous peine de mort ; surveille ses réserves, les réorganise, les désorganise pour avoir le plaisir de les ranger après. Sort parfois, et observe son terrier de l'extérieur.

Mais au fond de lui règne une crainte, une menace. Son terrier est en danger, il en est sûr. Un jour, ces galeries si douillettes seront le théâtre d'une lutte à mort contre ceux qui veulent le tuer. Comment arriveront-ils ? Combien seront-ils ? Pourra-t-il s'entendre avec eux ?
Au sein de cette paix sereine, le drame se joue déjà dans la tête du narrateur, et détruit tout ce qu'il peut y avoir de paisible dans cette vie.
J'ai vraiment adoré ce court récit, d'un bout à l'autre. Je découvre Kafka - qui me faisait peur, j'avoue - mais je suis sidérée par son talent ! Son style est d'une beauté extraordinaire, qui nous conduit de manière fluide dans les pensées du narrateur : tout s'enchaine naturellement, et nous permet de découvrir l'ampleur de la folie de notre hôte.

La description de la paranoïa est elle aussi splendide. A-t-il raison, a-t-il tort d'avoir peur ? Nous voudrions croire qu'il se trompe, que sa folie est sans objet, mais parfois, nous aussi sommes touchés par ses angoisses : peut-être que ce bruit qu'on entend existe réellement ... Peut-être qu'un de ces monstres terrifiants va s'extraire de la terre sous ses pas ... Peut-être qu'il sentira un jour les crocs d'un prédateur se refermer sur sa patte arrière.

Et alors, on revoit l'ensemble du livre d'une autre manière, on comprend notre petite boule de poil, on partage ses angoisses. Puis la raison revient : que risque-t-il ? Qui voudrait de lui ? Et on plaint à nouveau sa folie.
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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Je me cherche une bonne cachette et je surveille d’un œil l’entrée de ma maison — cette fois de l’extérieur — pendant des jours et des nuits. On peut dire que c’est un peu fou, mais cela me procure une joie indicible, plus encore, ça me rassure. J’ai l’impression d’être non pas planté devant ma maison mais devant moi-même, en train de dormir, et que j’aurais cette chance à la fois de dormir profondément et de pouvoir en même temps me surveiller scrupuleusement. Dans une certaine mesure, j’ai été désigné non seulement pour voir les fantômes de la nuit dans le désarroi et la félicité confiante du sommeil, mais aussi pour les rencontrer simultanément et réellement dans toute la force de l’état de veille et en possession d’une tranquille faculté de jugement.
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Au reste, je reste à déchiffrer les intentions de la bête. Voyage-t-elle ou travaille-t-elle à son propre terrier? Si elle voyage, il serait peut-être possible de s'entendre avec elle. Si elle se fraye vraiment un chemin jusqu'à moi, je lui donnerais quelques unes de mes provision, et elle continuera sa route. Dans mon tas de terre, je peux naturellement faire tous les rêves possibles et imaginables, je peux même rêver d'une entente bien que je sache parfaitement que cela n'existe pas et qu'au moment où nous nous verrons, et même où nous sentirons la proximité l'un de l'autre, en proie à la même folie et à une faim nouvelle, même si nous sommes complètement repus, nous ferons exactement au même instant usage de nos griffes et de nos dents l'un contre l'autre. Et comme toujours, à bon droit, car quel est le voyageur qui ne modifierait pas ses projets de voyage et d'avenir en voyant mon terrier, il est alors inutile de rêver d'une entente. Même si c'était une bête tellement bizarre que son terrier puisse supporter un voisinage, mon terrier à moi n'en tolère aucun, tout au moins aucun voisinage bruyant. A vari dire, la bête semble maintenant être très loin, si elle s'éloignait encore un peu plus, le bruit disparaîtrait sans doute, et peut-être qu'alors tout pourrait s'arranger comme dans l'ancien temps, ce ne serait qu'une expérience désagréable mais bienfaisante qui m'inciterait à faire toutes sortes d'améliorations, quand je suis tranquille et non tourmenté par un danger immédiat, je suis encore capable d'accomplir de grandes choses; peut-être la bête, vu les énormes possibilités que semble lui offrir sa puissance de travail, renoncera-t-elle à étendre son terrier dans la direction du mien et trouvera-t-elle ailleurs un dédomagement. Cela non plus ne peut être obtenu par des négociations mais par le bon sens de la bête pour par une contrainte que je pourrais exercer. Dans les deux cas, il sera décisif de savoir si la bête connaît mon existence, et ce qu'elle en connaît. Plus j'y réfléchis, moins il me semble vraisemblable qu'elle m'ait entendu; il est possible, même si je n'arrive pas à l'imaginer, qu'elle ait eu des information sur moi, mais elle ne m'a sans doute pas entendu. Tant que je ne savais rien d'elle, elle ne peut absolument pas m'avoir entendu car je restais silencieux; il n'y a rien de plus silencieux que les retrouvailles avec le terrier; ensuite, quand j'ai fait mes sondages, elle aurait pu m'entendre bien que ma façon de creuser fasse très peu de bruit; mais si elle m'avait entendu, je m'en serais forcément aperçu car elle aurait dû s'arrêter souvent dans son travail pour tendre l'oreille,*

*Le manuscrit s'achève au milieu d'une phrase (N.d.E.).
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[...] Il me semble parfois dangereux de baser toute la défense dans la forteresse, car la diversité du terrier m'offre un très large éventail de possibilités, et il me paraît plus conforme à la prudence de disperser un peu les provisions et d'en pourvoir un certain nombre de petits ronds-points; je décide alors par exemple qu'un rond-point sur trois deviendra une réserve ou qu'un rond-point sur quatre sera une réserve principale et un sur deux une annexe, et autres calculs du même genre. Ou bien, en guise de manoeuvre de diversion, j'exclus totalement que certaines galeries puissent être garnies de provisions, ou bien je choisis au hasard un petit nombre de ronds-points, en fonction de leur position par rapport à la sortie principale. [...] Il me semble parfois - habituellement lors d'un réveil en sursaut - que la répartition actuelle est tout fait mauvaise, qu'elle peut être source de graves dangers et doit être sur l'heure rectifiée au plus vite.
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J’ai organisé le terrier et il semble que ce soit une réussite. De l’extérieur on ne voit à vrai dire qu’un grand trou, mais en réalité celui-ci ne conduit nulle part, après seulement quelques pas on se cogne contre une paroi de roche naturelle, je ne veux pas me vanter d’avoir conçu intentionnellement cette ruse, c’était plutôt le vestige d’une de ces nombreuses et vaines tentatives de construction, mais finalement il me parut avantageux de ne pas boucher ce trou. C’est vrai qu’il y a des ruses qui sont si subtiles qu’elles se tuent elles-mêmes, je le sais mieux que personne et il est certainement bien téméraire d’attirer l’attention sur ce trou et ainsi de signaler la possibilité qu’il y ait ici quelque chose qui vaille la peine qu’on fasse des recherches. Mais il me connaît mal, celui qui croit que je suis lâche et que je ne creuse mon terrier que par lâcheté. C’est à quelque mille pas de ce trou que se trouve la véritable entrée du terrier, cachée sous une couche de mousse que l’on peut soulever, elle est aussi sécurisée que peut l’être quelque chose en ce monde, certes, quelqu’un peut marcher sur la mousse ou bien la percer, alors mon terrier est ouvert et qui a envie – à condition, bien entendu, de posséder certaines facultés qui ne sont guère répandues – peut y pénétrer et tout détruire à jamais.
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Au reste, je cherche à déchiffrer les intentions de la bête. Voyage-t-elle ou travaille-t-elle à son propre terrier? Si elle voyage, il serait peut-être possible de s’entendre avec elle. Si elle se fraye vraiment un chemin jusqu’à moi, je lui donnerai quelques-unes de mes provisions, et elle continuera sa route. Oui, elle continuera sa route. Dans mon tas de terre, je peux naturellement faire tous les rêves possibles et imaginables, je peux même rêver d’une entente bien que je sache parfaitement que cela n’existe pas et qu’au moment où nous nous verrons, et même où nous sentirons la proximité de l’autre, en proie à la même folie et à une faim nouvelle, même si nous sommes complètement repus, nous ferons tous les deux exactement au même instant usage de nos griffes et de nos dents l’un contre l’autre. Et comme toujours, à bon droit, car quel est le voyageur qui ne modifierait pas ses projets de voyage et d’avenir en voyant mon terrier? Mais peut-être la bête creuse-t-elle dans son propre terrier, il est alors inutile de rêver d’une entente. Même si c’était une bête tellement bizarre que son terrier puisse supporter un voisinage, mon terrier à moi n’en tolère aucun, tout au moins aucun voisinage bruyant.
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