À la question posée par l'Académie de Berlin,
Kant ne se contente pas de répondre par les faits historiques, ce qui n'aurait d'ailleurs pas beaucoup de sens pour l'histoire de la philosophie elle-même. On ne s'étonnera donc pas d'y voir une réponse de nature systématique qui, par ailleurs, offre un condensé des thèses développées dans les trois Critiques. La réponse systématique que donne
Kant à la question introduit une loi des trois stades. La métaphysique, qui est « tout ou rien », qui passe de la vacuité à la plénitude sans passer par un état intermédiaire, passe en effet pourtant les stades suivants : le stade théorico-dogmatique, c'est-à-dire l'ontologie leibnizo-wolffienne, le stade sceptique, qui constitue un arrêt, et le stade pratico-dogmatique, qui correspond à la phase criticiste de la philosophie. À bien y regarder, il ne s'agit pas du tout d'une loi dialectique, dans laquelle la négation sceptique se retrouverait à son tour niée sans pour autant nous enjoindre à rejoindre le premier stade : le scepticisme ne constitue ici qu'un arrêt. Il s'agit plutôt de montrer comment l'ontologie leibnizo-wolffienne, malgré tous les mérites qui lui sont propres en matière de clarté, a confondu deux champs de l'a priori, comment elle a cru pouvoir étendre le pouvoir spéculatif de la raison théorique jusqu'aux choses ne relevant pas de la possibilité apriorique d'une expérience.
Kant accédera plutôt au suprasensible par l'intermédiaire de
la raison pratique (stade pratico-dogmatique) et fera du Souverain Bien la fin morale de la métaphysique, sans pour autant confondre la métaphysique des moeurs et la métaphysique de la nature.
Kant pointera par exemple, dans la philosophie leibnizo-wolffienne, l'absurdité théorique de l'absence de conditionnement de la possibilité, l'inefficacité de la preuve cosmologique à l'aide de la critique catégorique (on ne peut concevoir le concept d'une chose absolument nécessaire comme telle puisque la nécessité est un jugement de modalité) ou encore l'impossibilité de décrire le noumène au sein de l'espace et du temps (il n'y a alors que des phénomènes). Au final, pour
Kant, il est impossible de décrire de suprasensible dans le monde, et encore moins d'un point de vue théorique. Il ne peut il y avoir de suprasensible transcendant que d'un point de vue pratico-dogmatique. C'est pourquoi il s'agit, une fois le stade pratico-dogmatique atteint, de considérer la fin ultime de la métaphysique en tant que fin morale. Dans cette perspective, l'ontologie leibnizo-wolffienne restera une propédeutique.