William Faulkner : American Writer
Traduction :
Marie-France de Paloméra
ISBN : 9782070730612
Bon, d'accord, pas question de se lancer dans cet immense pavé de plus de mille pages sans avoir lu un minimum des romans de
Faulkner. D'autant que, comme toute biographie d'écrivain, celle-ci respecte la sortie chronologique des ouvrages afin, essentiellement, de démontrer la logique de l'oeuvre entreprise, aussi bien dans sa cohésion spatio-temporelle - le comté de Yoknapatawpha en général - que dans l'évolution du style.
A vrai dire d'ailleurs,
Frederick R. Karl s'attache surtout à ces deux aspects. Non qu'il néglige la biographie en elle-même mais l'on sait que
Faulkner, en dépit de son alcoolisme, était un personnage plutôt renfermé et certainement beaucoup plus timide qu'on ne pouvait le croire sur l'instant. Il avait horreur qu'on s'intéressât de trop près à sa vie privée même si, comme pour tant d'écrivains, celle-ci s'est étroitement amalgamée à son oeuvre.
C'est ainsi que la généalogie complexe des
Sartoris s'inspire en partie de celle des Falkner - rappelons que
Faulkner ne rajouta à son nom de famille le "u" originel que pour se démarquer des siens quand il entreprit d'écrire. En revanche,
Faulkner n'eut que des frères et le lecteur peut donc se demander à bon droit où diable se tapit en lui cette obsession de la relation incestueuse frère-soeur qui éclate dans tant de ses textes, à commencer par l'incontournable "Bruit et la Fureur." Peut-être cela a-t-il un rapport avec les liens, très particuliers, qu'il entretint avec sa mère, Maud Falkner, née Butler, une femme résolue et volontaire qui semble n'avoir jamais réellement aimé son père, un homme de caractère bien moins affirmé et en qui on retrouve la mollesse de Mr Compson Sr. Quoi qu'il en soit, les rapports torturés de l'écrivain avec les différentes femmes de sa vie, à commencer par son épouse, Estelle, née Oldham, descendent en droite ligne de sa relation avec sa mère. Quant à l'alcoolisme ... Cela ne fait aucun doute : les "hommes de la Frontière" aussi bien que les Sudistes avaient, en général, ce que nous appelons familièrement "une bonne descente." Tradition autant que goût personnel et moyen certain de noyer ses angoisses tout en travaillant son écriture, l'alcool fut, pour l'écrivain américain, autant un fardeau qu'un remède.
Ce qui étonne beaucoup, c'est de découvrir les goûts littéraires de
Faulkner enfant et adolescent. Ce chantre du modernisme américain, qui reprendra à son compte les flux de conscience européens de Woolf et de Joyce - il affirmait pourtant, à la parution du "Bruit ...", n'avoir jamais lu l'"Ulysse" de l'Irlandais - s'enthousiasmait pour
Balzac, les poètes symbolistes français (dont Mallarmé et là, on voit bien la filiation, en filigrane, avec le style si caractéristique de
Faulkner) et même pour ...
Alexandre Dumas. Côté auteurs made in America, il aimait
Walt Whitman et
Sherwood Anderson, à qui, de même d'ailleurs qu'
Hemingway, il doit énormément même si, à une certaine époque de sa jeunesse, il le renia de manière, à vrai dire, fort peu élégante, ce qu'il devait regretter par la suite.
Les poèmes du jeune
Faulkner ne cassent pas des briques mais c'est avec la prose que son génie va se révéler. Ses deux premiers romans, "
Monnaie de Singe" sur le retour d'un soldat américain de la Grande Guerre et "
Moustiques" sur les relations tissées lors d'une croisière, restent à part dans sa production : il y tâtonne encore, il s'entraîne, il piaffe, il n'a pas encore trouvé sa voie ... "Etendards Dans La Poussière", première version (un peu plus longue) de "
Sartoris", prouve en revanche qu'il n'est pas loin du but. Et pourtant, dira-t-on, le style n'y est pas encore vraiment, ce style fait de redites, d'ellipses, de boucles temporelles qui s'enroulent, se déroulent, s'enroulent à nouveau, de voix multiples qui racontent toutes la même histoire mais qui, chacune, en donne sa propre vision - ce style qui, dans "
Absalon ! Absalon !" par exemple, revêt un souffle quasi incantatoire.
Mais c'est "Le Bruit & La Fureur", second roman à se dérouler dans le comté de Yoknapatawpha, qui révèle définitivement le génie de son auteur, un auteur qui surprend, révulse ou charme mais que, le plus souvent, la critique américaine (nul n'est prophète en son pays) ne comprend absolument pas. On peut donc affirmer, sans trop s'avancer, que, pratiquement dès ses débuts,
Faulkner est classé d'office parmi les écrivains "difficiles", ardus, complexes, voire totalement incompréhensibles ... Cette étiquette, il en est fier : elle récompense son travail et le mal qu'il y prend, il le sait bien. le problème est qu'elle ne fait pas vendre - ou alors confidentiellement. du coup,
Faulkner rédige "
Sanctuaire", un roman qui pourrait être un énième livre parlant de la Prohibition et de bootleggers mais qui, lui aussi, par son intégration dans le cycle de Yoknapatawpha, ce comté du Sud dont l'écrivain s'affirmait avec orgueil le seul et légitime propriétaire, va se démarquer dès ses premières ventes. Ouvertement déclaré "obscène" par nombre de critiques qui s'effarent de l'épi de maïs utilisé par Popeye l'Impuissant pour abuser de Temple Drake l'Amorale, "
Sanctuaire" se vend bien et ouvre même les portes de Hollywood à son auteur. Mais "
Sanctuaire", à l'instar de l'"Ulysse" de Joyce ou de la prose millerienne, "
Sanctuaire" est mis aussi à l'index des bibliothèques, dans les Etats les plus conservateurs du pays.
Qu'importe dans le fond à
Faulkner : il est lancé, il a plein de romans dans le crâne, et il va écrire, écrire, écrire ...
Seulement, il faut aussi nourrir la famille - car
Faulkner, en bon Sudiste, a vraiment charge d'âmes : dans le Sud, on le sait, les chevaux de Sherman le Boucher et les exactions de ses troupes ne sont pas venus à bout de l'Antique Tradition d'Hospitalité - et l'écrivain se met à la nouvelle, un genre où, reconnaissons-le sans trop de regrets, comme la majeure partie des grands romanciers, il tombe dans la banalité (à quelques rares exceptions près). Il se perd aussi parmi les grands auteurs américains qui s'en vont à Hollywood pour se mettre au service des studios mais, malgré tout, il reste
William Faulkner. Même s'il ne retrouvera jamais une inspiration telle que celle qui s'achève avec "
Absalon ! Absalon !", et cela en dépit de la trilogie des Snopes, l'écrivain a acquis une telle stature qu'il finira
Prix Nobel de Littérature en 1949. Paradoxe criant, à cette époque, c'est à peine s'il commence à devenir, en son propre pays, un écrivain dont on ose dire qu'on le lit. En revanche, la France, pour ne citer qu'elle, le vénère déjà depuis la parution du "Bruit et la Fureur" en ... 1929, non seulement les anglophones mais aussi ceux qui ne lisent pas la langue de
Shakespeare, et ceci grâce à la mémorable traduction de
Maurice-Edgar Coindreau.
Lorsque
William Faulkner s'éteint, le 6 juillet 1962, dans son état bien-aimé du Mississippi, il est devenu une véritable institution et probablement le plus grand écrivain américain de son siècle.
Ce parcours véritablement atypique, avec ses excentricités, son alcoolisme et son incontestable génie - le mot "talent" ne suffisant pas ici pour qualifier l'écriture faulknerienne -
Frederick R. Karl le retrace non sans quelques longueurs mais aussi avec beaucoup d'impartialité. En dépit de son admiration pour l'oeuvre, sa biographie n'est pas une hagiographie et
Faulkner nous est présenté autant avec sa misogynie, son "machisme", ses faiblesses en tous genres et sa mauvaise foi qu'avec son panache, sa générosité, son intérêt réel pour la cause des Noirs et ses inquiétudes pour l'avenir de son pays si celui-ci ne parvient pas à régler ses problèmes raciaux (lesquels ne sont pas propres qu'au Sud, rappelons-le).
A lire, sans aucune discussion, si vous aimez l'oeuvre de
William Faulkner et si vous voulez connaître un peu mieux celui qui l'écrivit. ;o)