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EAN : 9782070730612
1056 pages
Gallimard (04/03/1994)
4.5/5   4 notes
Résumé :
Dans un premier temps de cette biographie narrative, c'est à la lumière de l'œuvre à venir que Frederick Karl étudie le contexte culturel et historique, le milieu familial et la vie de William Faulkner. De l'écrivain qui rassemble encore son matériau, il dresse un portrait sans complaisance, en même temps qu'il relève, dans les premiers écrits, ce qui forme déjà l'esquisse des grands personnages et de la géographie romanesque, et les thèmes qui seront récurrents dan... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
William Faulkner : American Writer
Traduction : Marie-France de Paloméra

ISBN : 9782070730612


Bon, d'accord, pas question de se lancer dans cet immense pavé de plus de mille pages sans avoir lu un minimum des romans de Faulkner. D'autant que, comme toute biographie d'écrivain, celle-ci respecte la sortie chronologique des ouvrages afin, essentiellement, de démontrer la logique de l'oeuvre entreprise, aussi bien dans sa cohésion spatio-temporelle - le comté de Yoknapatawpha en général - que dans l'évolution du style.

A vrai dire d'ailleurs, Frederick R. Karl s'attache surtout à ces deux aspects. Non qu'il néglige la biographie en elle-même mais l'on sait que Faulkner, en dépit de son alcoolisme, était un personnage plutôt renfermé et certainement beaucoup plus timide qu'on ne pouvait le croire sur l'instant. Il avait horreur qu'on s'intéressât de trop près à sa vie privée même si, comme pour tant d'écrivains, celle-ci s'est étroitement amalgamée à son oeuvre.

C'est ainsi que la généalogie complexe des Sartoris s'inspire en partie de celle des Falkner - rappelons que Faulkner ne rajouta à son nom de famille le "u" originel que pour se démarquer des siens quand il entreprit d'écrire. En revanche, Faulkner n'eut que des frères et le lecteur peut donc se demander à bon droit où diable se tapit en lui cette obsession de la relation incestueuse frère-soeur qui éclate dans tant de ses textes, à commencer par l'incontournable "Bruit et la Fureur." Peut-être cela a-t-il un rapport avec les liens, très particuliers, qu'il entretint avec sa mère, Maud Falkner, née Butler, une femme résolue et volontaire qui semble n'avoir jamais réellement aimé son père, un homme de caractère bien moins affirmé et en qui on retrouve la mollesse de Mr Compson Sr. Quoi qu'il en soit, les rapports torturés de l'écrivain avec les différentes femmes de sa vie, à commencer par son épouse, Estelle, née Oldham, descendent en droite ligne de sa relation avec sa mère. Quant à l'alcoolisme ... Cela ne fait aucun doute : les "hommes de la Frontière" aussi bien que les Sudistes avaient, en général, ce que nous appelons familièrement "une bonne descente." Tradition autant que goût personnel et moyen certain de noyer ses angoisses tout en travaillant son écriture, l'alcool fut, pour l'écrivain américain, autant un fardeau qu'un remède.

Ce qui étonne beaucoup, c'est de découvrir les goûts littéraires de Faulkner enfant et adolescent. Ce chantre du modernisme américain, qui reprendra à son compte les flux de conscience européens de Woolf et de Joyce - il affirmait pourtant, à la parution du "Bruit ...", n'avoir jamais lu l'"Ulysse" de l'Irlandais - s'enthousiasmait pour Balzac, les poètes symbolistes français (dont Mallarmé et là, on voit bien la filiation, en filigrane, avec le style si caractéristique de Faulkner) et même pour ... Alexandre Dumas. Côté auteurs made in America, il aimait Walt Whitman et Sherwood Anderson, à qui, de même d'ailleurs qu'Hemingway, il doit énormément même si, à une certaine époque de sa jeunesse, il le renia de manière, à vrai dire, fort peu élégante, ce qu'il devait regretter par la suite.

Les poèmes du jeune Faulkner ne cassent pas des briques mais c'est avec la prose que son génie va se révéler. Ses deux premiers romans, "Monnaie de Singe" sur le retour d'un soldat américain de la Grande Guerre et "Moustiques" sur les relations tissées lors d'une croisière, restent à part dans sa production : il y tâtonne encore, il s'entraîne, il piaffe, il n'a pas encore trouvé sa voie ... "Etendards Dans La Poussière", première version (un peu plus longue) de "Sartoris", prouve en revanche qu'il n'est pas loin du but. Et pourtant, dira-t-on, le style n'y est pas encore vraiment, ce style fait de redites, d'ellipses, de boucles temporelles qui s'enroulent, se déroulent, s'enroulent à nouveau, de voix multiples qui racontent toutes la même histoire mais qui, chacune, en donne sa propre vision - ce style qui, dans "Absalon ! Absalon !" par exemple, revêt un souffle quasi incantatoire.

Mais c'est "Le Bruit & La Fureur", second roman à se dérouler dans le comté de Yoknapatawpha, qui révèle définitivement le génie de son auteur, un auteur qui surprend, révulse ou charme mais que, le plus souvent, la critique américaine (nul n'est prophète en son pays) ne comprend absolument pas. On peut donc affirmer, sans trop s'avancer, que, pratiquement dès ses débuts, Faulkner est classé d'office parmi les écrivains "difficiles", ardus, complexes, voire totalement incompréhensibles ... Cette étiquette, il en est fier : elle récompense son travail et le mal qu'il y prend, il le sait bien. le problème est qu'elle ne fait pas vendre - ou alors confidentiellement. du coup, Faulkner rédige "Sanctuaire", un roman qui pourrait être un énième livre parlant de la Prohibition et de bootleggers mais qui, lui aussi, par son intégration dans le cycle de Yoknapatawpha, ce comté du Sud dont l'écrivain s'affirmait avec orgueil le seul et légitime propriétaire, va se démarquer dès ses premières ventes. Ouvertement déclaré "obscène" par nombre de critiques qui s'effarent de l'épi de maïs utilisé par Popeye l'Impuissant pour abuser de Temple Drake l'Amorale, "Sanctuaire" se vend bien et ouvre même les portes de Hollywood à son auteur. Mais "Sanctuaire", à l'instar de l'"Ulysse" de Joyce ou de la prose millerienne, "Sanctuaire" est mis aussi à l'index des bibliothèques, dans les Etats les plus conservateurs du pays.

Qu'importe dans le fond à Faulkner : il est lancé, il a plein de romans dans le crâne, et il va écrire, écrire, écrire ...

Seulement, il faut aussi nourrir la famille - car Faulkner, en bon Sudiste, a vraiment charge d'âmes : dans le Sud, on le sait, les chevaux de Sherman le Boucher et les exactions de ses troupes ne sont pas venus à bout de l'Antique Tradition d'Hospitalité - et l'écrivain se met à la nouvelle, un genre où, reconnaissons-le sans trop de regrets, comme la majeure partie des grands romanciers, il tombe dans la banalité (à quelques rares exceptions près). Il se perd aussi parmi les grands auteurs américains qui s'en vont à Hollywood pour se mettre au service des studios mais, malgré tout, il reste William Faulkner. Même s'il ne retrouvera jamais une inspiration telle que celle qui s'achève avec "Absalon ! Absalon !", et cela en dépit de la trilogie des Snopes, l'écrivain a acquis une telle stature qu'il finira Prix Nobel de Littérature en 1949. Paradoxe criant, à cette époque, c'est à peine s'il commence à devenir, en son propre pays, un écrivain dont on ose dire qu'on le lit. En revanche, la France, pour ne citer qu'elle, le vénère déjà depuis la parution du "Bruit et la Fureur" en ... 1929, non seulement les anglophones mais aussi ceux qui ne lisent pas la langue de Shakespeare, et ceci grâce à la mémorable traduction de Maurice-Edgar Coindreau.

Lorsque William Faulkner s'éteint, le 6 juillet 1962, dans son état bien-aimé du Mississippi, il est devenu une véritable institution et probablement le plus grand écrivain américain de son siècle.

Ce parcours véritablement atypique, avec ses excentricités, son alcoolisme et son incontestable génie - le mot "talent" ne suffisant pas ici pour qualifier l'écriture faulknerienne - Frederick R. Karl le retrace non sans quelques longueurs mais aussi avec beaucoup d'impartialité. En dépit de son admiration pour l'oeuvre, sa biographie n'est pas une hagiographie et Faulkner nous est présenté autant avec sa misogynie, son "machisme", ses faiblesses en tous genres et sa mauvaise foi qu'avec son panache, sa générosité, son intérêt réel pour la cause des Noirs et ses inquiétudes pour l'avenir de son pays si celui-ci ne parvient pas à régler ses problèmes raciaux (lesquels ne sont pas propres qu'au Sud, rappelons-le).

A lire, sans aucune discussion, si vous aimez l'oeuvre de William Faulkner et si vous voulez connaître un peu mieux celui qui l'écrivit. ;o)
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
[...] ... La publication de son premier roman (le 25 février 1926) survint donc au moment où Faulkner travaillait un matériau plutôt minable et morbide, peu fait pour faciliter ses rapports avec sa famille et ses concitoyens. Alors même qu'il se faisait une notoriété locale d'auteur de roman, de quelque chose de nettement plus substantiel que ce qu'il avait écrit jusque là, il vivait au milieu d'observateurs hostiles. Murry - le Murry de l'écurie de louage [appartenant au père de Faulkner] et de l'épicerie-quincaillerie - refusa de lire un livre qu'il jugeait pornographique. Comme Maud [= la mère de Faulkner] d'ailleurs, qui pourtant ne doutait pas du talent de son fils. Il y avait trop de sexe là-dedans, trop de sous-entendus et d'intrigues secondaires, pas assez de respect pour des sujets auxquels il valait mieux ne pas toucher.

"Monnaie de Singe" [= titre du premier roman de Faulkner] mettait au jour l'hypocrisie ou les hésitations des personnes les plus proches de Faulkner. Mais la fraîcheur des réactions se manifestait ailleurs aussi : la bibliothèque de l'université du Mississippi refusa le roman lorsqu'il lui fut offert par Phil Stone [= ami et "découvreur" de Faulkner]. Faulkner s'y attendait sûrement car il était déjà reparti pour La Nouvelle-Orléans, où il s'installa avec Spratling [= peintre et ami de l'écrivain] au 632 St Peter Street. Même si Maud devait nuancer par la suite son attitude parce qu'elle voulait continuer à croire en son fils, cet accueil constituait un avertissement : Faulkner savait à présent qu'il lui faudrait naviguer en des mers hostiles, même s'il commençait à se poser en rival de Stark Young [= célèbre auteur sudiste de l'époque] pour le titre de plus célèbre rejeton d'Oxford. Les premières études sur Faulkner, qui le montraient en parfaite osmose avec Oxford et le comté de Lafayette, ou les analyses qui voulaient faire de lui une partie intégrante du monde qu'il décrivait, se fourvoyaient.

Faulkner devenait Sisyphe - il pouvait poursuivre son ascension mais Oxford lui préparait une sérieuse dégringolade. Sa transcription de la ville et du comté dans son Jefferson et son Yoknapatawpha ne lui vaudrait ni le respect, ni l'admiration, mais la haine et même les insultes. Stark Young était l'enfant prodige - on pouvait l'honorer de loin. Faulkner, lui, vivait sur place, appartenait à une famille très connue - et beaucoup voyaient en lui de la mauvaise graine, l'héritier d'une branche opportuniste, violente, fruste. Comme Thomas Wolfe avec son portrait trop fidèle de la famille et de la ville, Faulkner se trouvait pris entre deux feux : s'il idéalisait la ville, il trichait avec sa manière de voir et de sentir les choses et les gens ; s'il était fidèle à lui-même, il s'attirait obligatoirement la rancune de la ville et du comté. S'il écrivait des romans que sa famille et ses concitoyens étaient capables d'accepter, il se trahissait lui-même et reniait tout le milieu artistique qui lui avait donné sa force. Mais en restant loyal aux idées du milieu dans lequel il avait vécu à La Nouvelle-Orléans et qu'il avait pressenties à Paris, il ne pouvait qu'accentuer sa marginalité d'Oxfordien. ... [...]
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[...] ... Quand Faulkner était né, les batailles avaient été livrées, mais la guerre continuait ; les récits qui lui avaient été transmis faisaient de lui un élément vivant de la saga familiale. [Le général] Grant avait décidé de gagner la guerre en exerçant une pression inexorable sur l'armée de Lee du nord de la Virginie et l'avait finalement obligé à capituler. Mais les années qui avaient suivi ressemblaient à ces ultimes combats - des années où les escarmouches avaient remplacé les victoires décisives, des décennies où les offensives menées sur le flanc ne cessaient de mettre à mal les lois et la constitution du pays. Le Sud sortit vainqueur de ces lendemains, en particulier avec le compromis de 1877 qui mit fin à la Reconstruction militaire et retirait du Sud les dernières troupes fédérales ; mais le Sud perdit beaucoup dans cet effort pour restaurer le statu quo. Faulkner vécut soixante-quatre ans, assez longtemps, en fait, pour voir un siècle entier de conflit. Les luttes pour les droits civiques des années 1950 se situaient dans le prolongement des luttes de l'avant et de l'après-guerre de Sécession des années 1860 et 1870.

Sa réaction alimenta sa fiction. "Descends Moïse" fut sa dernière grande réponse à l'Amérique des cent dernières années, le territoire que couvrait sa vie de romancier. Lorsque nous parlons de l'"imagination" de Faulkner, nous faisons allusion à quelque chose de plus compliqué que chez n'importe quel autre romancier. Son imagination - ce qui lui appartenait en propre et pas à ses premiers emprunts - baignait dans l'histoire et le processus historique, d'une manière très différente de ce qu'on observe chez Hemingway ou d'autres contemporains. Malgré leur ancrage socio-politique, l'histoire ne représentait pas la couleur longue de leur jeu. Faulkner, lui, était né dans l'histoire - pas uniquement dans une communauté possédant des valeurs qu'il avait assimilées, mais dans un processus historique qu'il pouvait à la fois refuser et absorber. Il est le plus historique des grands écrivains américains : par ses techniques, il rompait avec le passé, alors même que ce passé revêtait pour lui une importance capitale. ... [...]
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