Des fleurs pour Algernon ? Hélas ! Elles risquent d'être plutôt fanées.
Pourtant je me faisais une joie d'aller vers ce grand classique de la littérature de
Science-Fiction, écrit pas un certain
Daniel Keyes, auteur d'un livre devenu iconique dans la culture littéraire américaine contemporaine, au-delà même de la simple sphère de la SF.
Le récit est écrit à la hauteur d'un jeune homme de trente-deux ans, Charlie Gordon, qui nous partage son histoire à travers des comptes-rendus qui deviennent peu à peu son journal intime. Charlie Gordon nous parle de lui, de sa vie, employé dans une boulangerie, il apparaît heureux, épanoui, entouré d'amis, fier de son travail qui apporte satisfaction et reconnaissance. Il se sent vraiment aimé.
Charlie Gordon a juste une particularité, il a une déficience mentale qui l'a doté d'un QI très bas et lui donne toujours le comportement d'un jeune enfant de six ans.
Charlie Gordon voudrait devenir intelligent. C'est là que la SF va s'en mêler, faisant apparaître deux savants fous, sortes d'apprentis sorciers pour lesquels on sent que l'auteur s'est inspiré du mythe de Méphistophélès et de celui de Frankenstein associé pour construire ces deux personnages qui vont trouver dans la rencontre avec Charlie Gordon l'occasion d'asseoir leur prestige à partir de l'expérience concluante réalisée sur une souris, Algernon.
Les deux scientifiques, assistés d'une jeune psychologue Alice Kinnian, l'intègrent dans leur programme pour tenter une expérimentation qui permettra peut-être à Charlie Gordon de réaliser enfin son rêve, la possibilité d'augmenter artificiellement son intelligence, le jeune homme accepte sans hésitation de participer à cette expérience scientifique.
Un voyage étonnant commence alors... Un voyage aller-retour aux conséquences irrémédiables...
Le sujet avait tout pour me plaire, d'autant plus que l'incipit démarre sur la célèbre allégorie de la caverne, de
Platon.
Le traitement du thème de l'intelligence et le fossé qu'elle creuse pouvaient aussi être des thèmes inspirants.
Nous sommes dès le départ du récit plongés directement dans l'esprit limité de Charlie Gordon et nous allons suivre à travers son journal intime, à travers la métamorphose de son écriture, la transformation de ses affects et de son rapport au monde.
Mais hélas pour moi la rencontre ne se fait pas faite, l'empathie avec ce personnage n'a pas été au rendez-vous et j'en suis presque gêné vis-à-vis d'amis qui m'ont pris par la main pour aller vers ce roman en étant persuadé que je l'aimerais, que je serais d'émotion, que des larmes m'emporterais proportionnellement au sablier qui s'inverse brusquement irrémédiablement.
Pas de fleurs, ni de larmes pour Algernon, ni pour Charlie Gordon...
Ce que j'ai aimé, c'est l'effet « compte à rebours » du récit, c'est sans nulle doute le premier ressort narratif qui tient le roman, ce qui le rend palpitant et nous tient en haleine.
Des sujets intéressants sont posés ici qui touchent notamment le discernement du patient, son consentement lorsqu'il « accepte » de devenir cobaye d'une expérience scientifique censée tenter d'améliorer son état mental, la question du libre-arbitre...
Les dissonances mentales voire comportementales de Charlie Gordon, se découvrant un autre que lui-même, sont forcément des endroits qui rendent à la fois cocasse et pathétique son parcours.
En revanche, je n'ai pas adhéré à la relation entre les personnages que j'ai trouvée cousue de fils blancs. Vous me direz qu'il s'agit d'un récit de SF, certes mais un récit de SF se doit d'être crédible en imaginant un futur possible ou probable et ici c'est justement bien rendu sur le plan scientifique. Non, j'ai trouvé que les personnages manquaient de nuances dans leurs interactions, notamment dans la relation entre Charlie Gordon et Alice Kinnian où j'en entendais beaucoup.
Et puis surtout, ce qui m'a dérangé c'est cette approche manichéenne qui consisterait à affirmer que gagner en intelligence c'est forcément perdre en bonté.
L'évolution du personnage de Charlie Gordon est construite sur cette croyance et en fait même l'autre ressort narratif du roman.
Certes, gagner en intelligence c'est gagner en lucidité, c'est voir la vérité du monde dans sa douleur, ses maux, c'est forcément perdre en candeur d'une certaine manière. Mais peut-on dire qu'il y a une corrélation inversement proportionnelle au bonheur et à la faculté d'en apporter aux autres ?
Gagner en intelligence, c'est la possibilité d'élévation sociale, est-ce pour autant un risque de sacrifier ses valeurs humaines ?
Le narratif lié au parcours de Charlie Gordon tend à démontrer cette croyance à laquelle je ne peux pas souscrire, d'une part manquant de nuances et d'autre part ce serait renoncer aux exemples multiples qui démontrent le contraire. J'en veux pour preuve par exemple l'itinéraire et les travaux de
Matthieu Ricard sur l'élasticité du cerveau pour mieux comprendre les comportements de l'altruisme et de la coopération, décrypter les mécanismes permettant d'expliquer leurs imapcts.
Bien sûr me direz-vous, le personnage de Charlie Gordon n'a d'attrait sur le plan romanesque que sur la base de cet itinéraire, passant « d'arriéré à génie » et découvrant par ce cheminement l'autre versant de son histoire, sa propre histoire...
Cependant, ce livre est riche, très riche dans ses intentions humaines initiales même si pour moi je ne parvins pas au rendez-vous attendu. Beaucoup de questions sont posées en si peu de pages, dépassant le registre de la SF, mais n'est-ce pas la force de la SF ? Dans l'évocation de notre rapport à la différence, au handicap, ce récit n'a certainement pas pris une ride et je lui suis reconnaissant de pouvoir continuer à demeurer une référence littéraire à ce sujet.
C'est un livre empli d'humanité et de cette lecture j'emporte avec moi ce ressenti qui perdurera.
Et pourtant...
Des fleurs pour Algernon ? Hélas ! Déjà pour moi un peu fanées...