Le Dingue au bistouri ne serait qu'un polar parmi tant d'autres sans sa dernière page, qui lui donne tout son sens : si cet homme est devenu fou et criminel, c'est à force d'endurer brimades, souffrance, injustice, mépris.
Yasmina Khadra montre du doigt la société algérienne et ses tares, mais aussi, à travers elle, tout le monde occidental, toute la grande machine sociale qui broie l'être humain puis lui reproche de n'être qu'un tas de « matière fécale »!
"J'ai grandi dans le mépris des autres, à l'ombre de mon ressentiment, hanté par mon insignifiance infime, portant mon mal en patience comme une concubine son avorton, sachant qu'un jour maudit j'accoucherai un monstre que je nommerai Vengeance et qui éclaboussera le monde d'horreur et de sang." (...) "Qu'est-ce qu'un criminel sinon le crime parfait, toujours impuni, de la société elle-même…"
J'aime aussi le style très percutant de cet auteur, son immense richesse de vocabulaire, ses formules à l'emporte-pièce, qui ne manquent pas d'humour («… agents armés jusqu'aux dents de sagesse… »), sa façon incomparable de brosser la caricature impayable d'un personnage (« le patron, c'est un énergumène extrêmement infatué. Il dispose d'une autonomie de zèle de quoi ravitailler dix révolutions. Il a une gueule de phoque empiffré, des oreilles lourdes de cérumen et des mains de cul-terreux capables de soulever les bottes d'un géant. (…) Hypocrite, lèche-bottes, prétentieux, le patron a le mérite de représenter à lui tout seul, toute la nation des faux jetons. »).
Nul autre que
Yasmina Khadra ne pourrait dénoncer de manière aussi virulente les tares de l'Algérie contemporaine : son pays d'origine.
Le Dingue au bistouri n'est sans doute pas la meilleure oeuvre de
Yasmina Khadra, elle est moins forte que
L'Attentat,
Les Sirènes de Bagdad, ou
Les Hirondelles de Kaboul. Mais ce roman policier révèle déjà les qualités de ce grand écrivain.