L'être humain aime frissonner. Frissonner de peur devant les histoires effrayantes de monstres, de démons, de tueurs et tout ce qui peut l'effrayer mais aussi frissonner de plaisir devant la beauté charnel, des caresses dans la nuit et de l'extase qu'on peut en tirer avec son partenaire, encore plus si celui-ci est doté de dons disons prodigieux et qui parfois dépassent l'entendement. Eh bien le recueil suivant propose de combiner ces deux frissons, nous rappelant bien que le genre horrifique est aussi un genre exploitant les désirs de l 'homme et ses
fantasmes. Après tout, comme le souligne l'introduction, la culture fantastique baigne du mythe du démon lover, de l'amant démoniaque inhumain mais dont l'étreinte souhaité consciencieusement où non attire et terrorise aussi tant l'union peut s'avérer fatal pour l'autre. 22 contes noirs et érotiques dont certains grands noms y sont présent comme
Clive Barker et
Stephen King, qui d'ailleurs est le premier dans l'ordre.
Les révélations de Becky Paulson de
Stephen King est pour une entrée de l'anthologie percutante et fracassante. Becky est une femme heureuse jusqu'à ce qu'elle se tire accidentellement dans la tête d'un pistolet à clou, lui suscitant comme dommage des voix. Voix prétendument venant de Jésus lui disant que son mari la trompe et que dévoilant tous les secrets de ses proches... une nouvelle bien glaçante autour d'une femme dont les valeurs sont bouleversées et cherchant la rédemption d'elle-même et de son époux volage, harcelée par les élocutions psychiques qu'elle subit et dont on ne sait jamais s'ils sont vrais où non, des non-dits qui broient insidieusement la confiance des autres mais aussi de soi-même et qui finissent dans l'horreur. Diablement bien menée, on baigne dans l'angoisse et dans le doute tout comme cette Becky dont la fin ne sera pas un happy end...
Les Amants de la mer de
Valerie Martin est d'un registre radicalement différent de
Stephen King mais tout aussi passionnante et une des rares de la collection à vraiment déborder de sensualité. Une sirène observe le monde humain quand elle échoue sur la place et qu'un homme se précipite à son secours. Mais la rencontre tournera au cauchemar... d'un ton élégant, frôlant parfois la poésie mais une poésie macabre, à la plume délicate nous est réecrit la légende des sirènes et qui exploite le lien fort et dangereux de l'amour avec la mer, des hommes avec les femmes de l'eau, et comment la féminité triomphe jusqu'à l'abject du rustre masculin. Une des meilleurs de l'ouvrage !
Le psychopompe d'
Haydn Middleton m'a fait déchanter tant elle l'histoire malgré ses prémices intéressantes ne m'a pas accrochée. Red un type quadragénaire est dépressif et se morfond d'une nostalgie du passé. Son voeu sera exaucé... mais à quel prix ? Les thèmes de la dépression et du voyage dans le temps semblaient partant mais le rythme languissant, l'écriture peu exceptionnelle et parfois médiocre et le cheminement absurde se concluant par une fin amoral m'a irritée au possible. du ratage pour moi donc.
Un avenir resplendissant de
Ruth Rendell réhausse un peu le niveau mais sans être une perle de qualité. Une femme trompée projette de se venger de son infidèle époux et de sa
maîtresse et sa jalousie mortifère va l'entraîner trop loin. La jalousie légitime mais qui déborde au point de commettre l'irréparable est le coeur de l'oeuvre et si on sympathise avec la pauvre épouse bafouée, on est horrifié par son geste infâme qu'elle inflige au châtiment au couple interdit. Néanmoins l'histoire n'est cependant pas plus exaltante que cela et est morne même, avec un style classique.
Le Tigre retourne dans la montagne de T.L Parkinson réinterprète la Belle et la Bête, autour d'une mère célibataire abandonnée par un compagnon lâche et tentant de se reconstruire. Une nuit un criminel recherché par la police se réfugie chez elle... entre eux se noue un drôle de lien... j'avoue avoir rien compris à ce qui s'avère être un enchaînement de récits dans des récits, pas plus qu'avoir été confuse sur l'identité du Tigre et de la langueur de la nouvelle. Donc une nouvelle que je n'ai pas apprécié malgré l'écriture bien bonne de l'auteur.
Consanguinité de
Ronald Duncan m'a revanche bien transportée et donnée des sueurs froides. Deux officiers en permission se rendent chez la soeur d'un des deux. Une nuit, elle se livre à l'un des deux.. or les jours suivants, elle se rend bien compte qu'elle n'a aucune idée lequel des deux elle a fait l'amour. A t-elle couchée avec son propre frère ? Pire encore apparemment un des deux soldats devrait être mort... l'inceste et les troubles qu'il suscite sont démoniquement abordé dans cette nouvelle effrayante où l'ambiguïté prime jusqu'aux derniers mots, avec suspicion de fantôme rôdant dans les parages, l'angoisse sourde y domine sans jamais retomber et servi avec brio par
Ronald Duncan, bravo pour la nouvelle !
Domesticité de
Michael Blumlein n'est pas glorieux. Une femme venant d'emménager se persuade cependant que la nouvelle demeure est hantée. Et les événements suivant vont démontrer qu'elle n'a pas tout à fait tort. Si le début est magistral autour de la paranoïa diffuse ressentie par la nouvelle locataire, le reste tombe à plat, finissant en bouillie avec une fin incompréhensible. Encore une fois raté !
La Villa Désirée de
May Sinclair se déroule dans la Cote d'Azur des années 20 ou la fiancée d'un bellâtre s'installe dans la riche maison. Mais elle apprend que vivait là aussi la précédente amante du galant qui est mort dans d'étranges circonstances... la nouvelle est intéressante dans un sens où elle semble reprendre la trame de Rebecca tournant autour du spectre (vrai où faux ?) d'une aimée dont l'esprit tourmente la nouvelle venue alors qu'elle a été écrite dans les années 20 et que l'atmosphère suranné du luxe décadent s'y lit aisément mais encore une fois la sauce n'y prend pas, je n'ai pas davantage été captivée par la nouvelle. Au suivant !
Cleave le vampire de
Patrick McGrath détonne des autres par son ambiance gothique et utilisant le mythe du vampire. Une bourgeoise qui se préoccupe avant tout de ses enfants organise une réception chez elle. Un des invités l'épouvante cependant, par sa pâleur, ses yeux pourpres et ses dents longues... elle craint pour sa vie et sa fille, pensant que l'invité est un vampire. Mais est-ce le cas ? Une nouvelle ténébreuse et brillante qui réutilise les poncifs du récit vampirique pour les détourner et qui surtout mise sur l'imagination angoissée d'une matrone en proie à ses
fantasmes obscurs et qui voulant prouver à tout le monde sur la nature supposée de l'invité va commettre le pire. Au final, le vampire s'il existe réellement, apparait en fait plus ordinaire que la mère extraordinaire et gagnée par son hystérie rampante.
les Epées de
Robert Aickman raconte les errements d'un dandy qui se rend un jour dans une fête foraine pour y assister à un curieux spectacle où une belle modèle survit aux poignards... Une courte histoire bien étrange avec la métaphore tordue de la pénétration sexuelle et d'une femme moins humaine qu'elle n'y parait. le style est rafraichissant mais l'histoire en dépit de son originalité n'est pas toujours palpitant. Donc bien mitigé pour le coup.
Le Salon Satin de Carolyn Banks est fringant mais d'une lumière sordide. Joyce veut perdre du poids pour regagner l'attention amoureuse de son mari qui la délaisse. Sous les conseils d'une amie elle entre dans un institut esthétique, le Salon Satin. Elle rencontre un un noir bien énigmatique et lui faisant penser à un reptile. En même temps qu'elle perd progressivement ses kilos, elle songe de plus en plus à cet être d'ébène dont elle s'unit à lui dans des rêves torrides... partant sur la problématique bien contemporaine de la perte du poids, Carolyn Banks nous entraîne avec une délicieuse perversité dans l'engrenage diabolique d'une mal-aimée qui veut maigrir pour les hommes qu'elle aime et surtout pour ressentir un plaisir longtemps perdu, un plaisir qui se mue peu à peu en débauche... des scènes dérangeantes apparaissent en crescendo pour notre (dé)plaisir et se concluant par une fin bien noire où l'immoralité triomphe. Malgré la nausée qu'il suscite, j'ai aimé cette nouvelle servi par la plume franche de l'autrice.
Comment l'amour s'imposa au professeur Guildea nous dévoile l'érosion processif de la santé mental d'un érudit qui semble s'éprendre d'une entité paranormale... quand l'irrationnel se confronte au rationnel dans un duel sournois qu'on suit avec gageure, aux mots raffinés d'un auteur victorien, avec ce fantastique mystérieux qui ne livre jamais le fin mot.
Les Ailes de Harriet Zinnes est la plus courte du recueil et n'est pas une des plus meilleures. Et si en rentrant chez vous vous découvrez une parfaite inconnue ? Tout est décousu, le rythme est brouillon et on n'y ressent aucun frisson, c'est pathétique.
Le Basilic de R. Murray Gilchrist est d'une gracieuse mélancolie, où deux amants tentent de se quitter mais par une étrange façon n'arrivent pas à se détacher l'un à l'autre... une nouvelle suggestive sur la puissance de l'amour et de la nature, où la plume est éthérée et l'ambiance troublante à loisir.
Le jeu de l'autre de Jonathan Caroll m'a déçu malgré là encore une idée de base pas mauvaise. Une femme confie à son amant son
fantasme sexuel de coucher avec un autre. Curieusement le dit amant commence à ressembler à l'inconnu rêvé... hélas là encore je n'ai guère palpitée, trouvant le tout abscons et insipide, désolé Gilchrist je n'y adhère pas !
L'Entrepreneur de
Christopher Fowler est une des plus réussies à la construction machiavélique et exploitant les peurs féminines.
Laurie emménage dans un appartement et engage un entrepreneur pour le décorer et l'aménager. Ce dernier la séduit et ils vivent d'émoustillantes aventures sensuelles. Mais elle finit par le quitter, lassé de lui. Elle mène alors une existence solitaire mais paisible... mais elle ignore qu'elle n'est pas seule dans le bâtiment... une nouvelle effroyable sur le voyeurisme, la folie et d'une assiduité malsaine à faire claquer les dents tant l'épreuve que subit
Laurie a l'air moins fictive car de tels incidents se sont déjà produit et illustre l'horreur de l'intrusion à domicile et d'être poursuivie par un pervers. Une histoire à lire absolument pour son sujet terrifiant et des angoisses atrocement réalistes.
Le Festival d'
Eric McCormack retombe à plat. Un couple se rend à un festival sibyllin. Les choses vont rapidement dégénérer... encore une histoire où je n'ai guère été enchantée, rien ne m'a fait transcendée dans la peur, ni l'écriture, ni les thèmes, ni les scènes. Raté une fois de plus.
Celles qui attendent de hugh B. Cave exploite une fois de plus le thème de la maison hantée et des voyageurs devant s'installer improprement dedans. Encore une nouvelle où j'ai été indifférente malgré une fin surprenante et graphique, mais voilà rien d'exceptionnel à dire là encore;
Mort et la jeune fille solitaire de
Thomas M. Disch me ranime l'intérêt avec le rendez-vous d'une femme voulant en finir la vie avec ce qui semble être la Grande Faucheuse... le trope de la mort rencontrant la belle vie est revisité dans une nouvelle crue et mordante autour d'une damoiselle tellement désabusée que même l'entrevue bien loin de ce qu'on s'attend avec l'incarnation du trépas ne trésaille guère.
Maître d'
Angela Carter est une des pépites du recueil, et une des plus tortueuses. Dans la jungle amazonienne, un chasseur violent et psychopathe se procure une indigène qu'il nomme Vendredi, dont il en fait son esclave qu'il soumet à tous ses déviances. Mais la proie pourrait bien se retourner contre son prédateur... perturbante est cette nouvelle explorant les tréfonds de l'âme humaine, où se reflète la violence de l'homme blanc sur les autochtones, de la passion sanglante d'une chasse démésurée sur des animaux sauvages mais nobles qu'on tue pour le simple plaisir de tuer, et du lien brutal entre le maître abusif et exécrable et du serviteur soumis et brisé dans sa chair, mais aussi récit d'une lente mais efficace vengeance et de la punition d'un profanateur de la morale et de la décence en générale, le tout dans la plume évocatrice et marquante de l'auteure qui nous emporte dans cette terrible histoire, absolument une des plus géniales de l'anthologie.
Le ver conquérant de
Stephen R. Donaldson fait d'un petit animal proche de
la terre le symbole d'une désunion générale d'un couple et du coté organique et peu ragoutant de la sexualité. Encore une fois je n'ai pas accrochée et même dégoutée tant les scènes écoeurants s'enchainent sans justification. A éviter;
Le Testament de Jacqueline Ess du talentueux
Clive Barker conclut avec majesté le recueil où une jeune femme au foyer acquiert le pouvoir de modeler à sa volonté les corps humains. Fuyant son existence devant les conséquences plus que dramatiques de son pouvoir, elle est poursuivie par un homme obsédé par elle... une nouvelle éclatante sur le pouvoir de la femme et de sa sexualité et du désir en général, désir qu'effraie une femme et qu'affolent des hommes avec tout l'art de
Clive Barker qui s'y connait bien dans le sujet, à lire aussi.
Que dire de ce recueil ? Il est très inégal dans l'ensemble, sur la vingtaine des historiettes seuls quelques-unes sont soignées, mêlant la puissance du frisson, horrifique et érotique. L'amour et ses peines, le désir, la tromperie, la frustration, le regret et l'interdit dont se joignent les figures de l'horreur qu'ils soient surnaturels où réels. La vision de la sexualité est souvent inquiétante et dangereuse. On peut constater que dans une bonne partie des saynètes, c'est la femme qui est l'héroïne de ces contes modernes, victime des ardeurs et malfaisances d'incarnations masculines dont parfois elle se révolte en guise de revanche. A lire cependant pour l'intérêt non sans quelque gratuité, de la sensualité et de l'effroi, pour l'apport de féminité dans un domaine considéré comme dévolu aux mâles et de l'union éternelle de l'attraction et de la répulsion en dualité qui se matérialise dans les craintes et désirs intérieurs de l'humain.