DANS LA VIE FAUT PAS S'EN FAIRE...
Peu d'auteurs dans le monde peuvent s'enorgueillir d'avoir donné vie et nom à une créature de papier universellement connue. Il y eu Gulliver, Oliver Twist et Peter Pan, le Petit Prince ou encore Alice. Plus près de nous, impossible de passer à côté de Harry Potter. Il en est un, cependant, qui évoque inaltérablement la nature sauvage, la violence de la jungle, mais ses moments de rire, de tendresse et d'affection aussi ; qui évoque aussi un lointain méconnu empli de mystères et de beautés dangereuses. Ce nom, c'est à un anglais, que nous le devons, et pas n'importe quel, qui fut prix Nobel de Littérature en 1907 (ce fut même le tout premier de langue anglaise), c'est à dire Joseph Rudyard Kipling, et ce personnage de papier, qui fit aussi les délices de plusieurs générations d'enfants par la grâce des films Disney (en une époque révolue où les "dessins animés" étaient véritablement composés de dessins...), et même si l'image du personnage que nous allons évoquer en fût probablement déformée. Ce personnage connu du monde entier, des plus petits comme des plus grands n'est autre que le célèbre enfant sauvage, qui s'en est bien mieux sorti, il faut l'admettre, que celui (véridique) du Professeur Izard :
Mowgli !
Mais si l'on se souvient tous plus ou moins du classique "Le Livre de la Jungle", on ignore aussi, «généralement, que sa première apparition, à la fois mystérieuse et naturelle, est antérieure aux deux livres qui l'ont immortalisé. C'est, en effet, sous la forme d'une divinité sylvestre raphaélienne, d'une sorte d'avatar brahmanique de Pan, qu'il surgit littéralement devant Gisborne, l'officier anglais chargé des bois et forêts» nous confie ainsi son préfacier et traducteur, Thierry Gillyboeuf. C'est ainsi dans un recueil de nouvelles d'une année antérieur au Livre de la Jungle, intitulé "Many Inventions", que le lecteur va pour la première fois croiser ce fameux personnage. Cepedant, Kipling ne va pas nous présenter ce Mowgli enfant que nous connaissons tous, mais le jeune homme déjà en âge de se marier qu'il est supposé pouvoir devenir plus tard.
C'est ainsi un jeune homme sûr de lui, connaissant étonnamment bien la faune et la flore dans laquelle il évolue quotidiennement que nous découvrons ici. Et même si "la civilisation" pourrait avoir entamé son long travail d'éducation et, pour une large part, son chemin vers le conformisme social, c'est un jeune homme obéissant encore presque entièrement aux lois puissantes et pleines de sagesse qu'il a tiré de sa connaissance intime avec la nature de cette Inde sublimée par son auteur que nous découvrons ici. Les lois de l'Inde et de son évocation la plus forte : la jungle. Car si l'on apprend que le jeune Mowgli a passé plusieurs années dans un village, après avoir été sauvé de son ensauvagement, ainsi que cela se trouvait assez régulièrement en Inde à cette époque, l'auteur ne nous dit rien, cependant, du temps que dura cette imprégnation de la civilisation et l'on ne peut que constater combien l'homme sauvage est encore puissant derrière le jeune homme sachant s'exprimer en anglais, connaissant castes indigènes et hiérarchies britanniques.
Dans cette nouvelle, nous retrouvons ainsi l'anglais - Gisborne - très attaché à cette terre de légende, sans doute, mais très britannique aussi et pleinement lié à ses obligations envers la Couronne. Nous croiserons aussi son chef, un étrange personnage d'origine allemande, impressionnant et débonnaire, un vieux supplétif local et musulman, ensuite, se méfiant ostensiblement de l'enfant de la forêt, père d'une jeune femme en tout point ravissante et attirante pour notre sauvageon, Mowgli bien entendu, et enfin la nature dans toute sa virginité, dans toute sa bestialité nue mais pure, comme ultime personnage à part entière de ce trop bref ouvrage pour autant très enthousiasmant.
Il a souvent été reproché à Kipling - et pas toujours sans raison - qu'il ait pu se faire le parangon, même involontaire, de l'impérialisme britannique, de la "civilisation coloniale", de la supériorité de la culture occidentale sur les cultures indigènes. Cette nouvelle semble démontrer que c'est loin d'être aussi simple, tant le futur Nobel s'amuse ici à dérouter, à démonter les vieilles conventions, brouillant ainsi les cartes entre colons et colonisés, entre homme et animal, entre nature vierge et civilisation, imposant alors, comme le conclu le préfacier «la possibilité d'un paradis humaniste» qui, à défaut d'avoir été parfaitement exploré ni vécu par son auteur, fut, à n'en point douté, rêvé, envisagé par lui, après que ses parents l'eurent arraché, encore jeune, à ce jardin d'Eden qu'il mit tout une vie à rechercher.
Cette nouvelle pourrait-elle alors s'avérer être un genre de portrait de l'auteur en jeune Mowgli ? L'hypothèse est séduisante... Au lecteur d'en décider !
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J'ai beaucoup aimé cette nouvelle mettant en scène Mowgli à l'âge adulte. Il règne dans le récit un univers un peu magique, hors du commun, lui donnant des allures de conte. Mowgli nous montre une vie simple, faite de petits riens et en harmonie avec la nature. Il n'a aucune attente pécuniaire, et se contente de ce que lui offre la nature. Mowgli est un personnage très attachant, n'ayant aucune mauvaise arrière-pensée.
Il vit dans la jungle, une jungle qui peut être cruelle puisque les animaux doivent tuer pour se nourrir, c'est donc ici la loi du plus fort, mais où il n'y a pas tous ses soucis d'argents, de castes régentant la société.
J'ai trouvé qu'il y avait une certaine douceur dans la narration, c'est une lecture agréable et qui fait du bien.
La préface de Thierry Gillyboeuf est très intéressante, notamment sur les métaphores utilisées par Rudyard Kipling. Par exemple celle selon laquelle la forêt serait l'Inde et le village l'Angleterre. Deux pays totalement différents, avec des façons de vivre on ne peut plus opposées et ayant leurs propres règles.
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Gisborne ne s'embarrassait pas de faux principes sportifs quand il s'agissait d'un mangeur d'homme. C'était une vermine, qu'il fallait éradiquer aussi vite que possible.
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Quel roman d'apprentissage, devenu un classique, mêle à la fois la critique du colonialisme et l'éloge de l'éducation ? Par l'auteur du « Livre de la jungle » ?...
« Kim », De Rudyard Kipling, c'est à lire en poche chez Folio.