Amis de la bande dessinée d'antan, je ne saurais que trop vous conseiller cette petite comédie grinçante (certains diraient cette farce) de
Nicolaï Gogol, qui est probablement, j'assume cette assertion sans honte et sans remords, l'un des premiers maillons de la longue chaîne qui conduira aux retentissants succès de la BD franco-belge, du style Tintin ou Lucky Luke.
Vous voulez un argument tangible ? Ok, je m'exécute. Dupont & Dupond, ça vous dit quelque chose ? Et si dans
le Révizor c'était Bobtchinski & Dobtchinski (les deux ayant par ailleurs les mêmes prénoms) ? Bien évidemment, ces deux lurons symétriques sont des couillons de base à peu près aussi adroits que les Men In Black de Tintin.
Autre argument, à la lecture, oubliez qu'il s'agit de
Gogol et remplacez-le dans votre esprit par Goscinny. Vous verrez, c'est saisissant, on se croirait dans les blagues et les situations rocambolesques de Lucky Luke dans des albums comme le Juge ou Billy-The-Kid, avec son cortège de villageois, de shérifs, de marchands, de soldats ou de fonctionnaires poltrons, hypocrites, intéressés, pusillanimes, traîtres, faux-jetons, et surtout, bêtes à manger du foin.
Bon, je sens qu'il est grand temps que je vous parle de la pièce elle-même. Quelques éclaircissements sur son titre : dans une bourgade de province, où tout fonctionne à la va-comme-je-te-pousse, où tout le monde abuse de son pouvoir, aussi infime soit-il, détourne (et sans complexe aucun) plus ou moins d'argent public et privé selon ses attributions et son statut, tout aurait dû rester paisible s'il n'était cette détestable nouvelle.
On annonce au Gouverneur qu'un Révizor, c'est-à-dire une sorte de super contrôleur envoyé par le gouvernement impérial, va arriver de Pétersbourg pour examiner dans le détail tous les aspects du fonctionnement (et ce faisant épingler les dysfonctionnements) de cette ville, quitte à faire sauter au besoin quelques têtes et à redonner quelques tours de vis.
Vous imaginez le branle-bas de combat dans les chaumières vu que tout le monde, sans exception, à des exactions sur la conscience et des petites magouilles à se faire pardonner. Peut-être est-il bon de ne point trop vous en dire et de vous laisser découvrir comment nos braves fonctionnaires vont s'y prendre pour tenter de soudoyer
le révizor et d'acheter sa clémence.
Gogol bombarde à qui mieux-mieux et tous azimuts. Tout le monde en prend pour son grade, gouverneur, juge, inspecteurs scolaire et d'établissement de bienfaisance, directeur des postes, commissaire de police, fonctionnaire, marchands, hommes, femmes, bref, tout le monde est incompétent, corrompu et corrupteur, poltron, stupide, cancanier et, en un mot, a tout pour plaire.
C'est drôle et grinçant de bout en bout, même si l'on peut éventuellement faire un petit reproche à l'auteur, sur l'aspect parfois redondant du burlesque qui alourdit inutilement une pièce en cinq actes, par ailleurs, très réussie et rafraîchissante.
À chaque fois que je lis des oeuvres de
Nicolaï Gogol, j'ai pleinement conscience de passer à côté de bon nombre des effets comiques distillés en langue russe. J'en veux pour preuve la simple évocation des noms de famille des protagonistes où par exemple le nom du juge Liapkine-Tiapkine fait penser à la chair à saucisse, le directeur des postes Chpékine à une tache, le commissaire de police Oukhovertov à une oreille espionne, le surveillant des établissements de bienfaisance Zemlianika (qui est un ivrogne) à une fraise, l'inspecteur scolaire Khlopov à du coton ou du kapok, les agents de police Svistounov, Pougovitsyne et Dierjimorda respectivement siffler, boutonneux et intimidateurs, etc., etc.
J'hésite entre 4 et 5 étoiles car certes certains passages sont moins bons, mais d'autres sont tellement tordants qu'ils méritent d'emporter ma délibération finale. Je vous le conseille sincèrement, ce Révizor, si vous voulez vous marrez à moindre coût, comme vous empoigneriez une bonne vieille BD de Goscinny pour vous changer les idées, du moins c'est mon avis non révisé, c'est-à-dire, pas grand-chose.