L'anti feel good…
Donc les amateurs de feel good, passez votre chemin,
Sous les bombes n'est pas pour vous et même risquerait de vous traumatiser profondément.
Oui, car
Gert Ledig raconte en quelques pages, une heure et neuf minutes, un bombardement sur une ville. Sans aucune concession. Brut. Direct.
Il s'agit d'une ville allemande en 1944, et de bombardements américains (mais ils auraient pu être anglais ou canadiens).
Le roman, car il s'agit bien d'un roman, avec des personnages de fiction, et nous ne saurons jamais de quelle ville il s'agit (Dresde ? Cologne ?... on a le choix et cela importe vraiment peu, de même peu de personnages ont un prénom ou un nom), est construit en alternant les lieux (immeuble, cimetière, abri souterrain, cave), des civils et des militaires, mais également au milieu des Allemands, des Russes et un Américain, et l'auteur glisse de temps en temps, une page constituée de la notice biographique d'un de ses personnages (écrite à la première personne).
Les victimes sont partout, là-haut, quelques bombardiers sont touchés, s'enflamment, et
Gert Ledig ne nous épargne rien de ces atrocités, et en bas, surtout, et là non plus l'auteur ne nous voile pas les yeux, ni les oreilles, ni l'odorat.
Cette oeuvre est magistrale à plusieurs titres :
D'abord parce que, l'auteur réussit à confondre des coupables (certains personnages sont odieux) et les victimes.
Bien souvent, lecteur, je ne savais plus où j'en étais, victime ou coupable ? Agresseur ou agressé ? Puisque les blessés, les sacrifiés, les morts sont partout.
Ensuite, car l'auteur ne met pas beaucoup de sentiment apparent. On passe ainsi du vivant au mort en quelques secondes. Parce que c'est ainsi que cela se passe. Tu es vivant. Tu te reçois une bombe ou un fragment sur la tête, et tu es mort.
Et c'est ainsi du début à la fin. Aucune échappatoire dans ce bombardement qui aura duré une heure et neuf minutes. Aucune respiration.
Ce livre est magistral car il est écrit et publié en 1955. Alors, l'Allemagne, et surtout de jeunes allemands réfléchissent sur la culpabilité. Sont-ils coupables, eux, cette génération qui est née dans la terreur (déjà installée), la terreur puis la guerre et encore la terreur de la fin de la guerre (bombardements, bombes incendiaires, bombes à phosphore, destructions des villes entières), cette génération qui a, en 1955, une vingtaine d'années ou guère plus ? Devront-ils porter cette culpabilité toute leur vie ? Une problématique très intéressante.
L'auteur écrit, témoigne, des bombes, des vies déchirées, des corps déchiquetés, du sang, des chairs pulvérisées, il témoigne pour sans doute crier aussi son horreur et son inutilité. Avec une écriture nerveuse, agacée, saccadée, sans repos.
Pour en conclure… j'ai passé un moment abominable, partageant la souffrance, la terreur ainsi imposée, une lecture sous tension. Lorsque la lecture est finie, à la fois un grand silence s'installe mais pour ma part, j'entendais encore le bruit des bombes, le cri des victimes. Et cela ne s'est pas calmé immédiatement.
Et,
Sous les Bombes est tragiquement, épouvantablement, horriblement, devenu a-temporel et a-spatial.
Une lecture lourde, pénible, mais je ne la regrette pas.