Wow. J'en ressors lessivé. J'avais déjà beaucoup aimé le film, mais le livre est, comme toujours, encore meilleur. Ça faisait très longtemps que je voulais tester
Lehane, comprendre les raisons de son succès en tant qu'auteur de romans policiers... J'avais eu un aperçu avec les films
Mystic River et
Shutter Island, mais évidemment, je voulais lire l'auteur. Et bien j'ai compris. Et le succès est amplement mérité tout comme la récompense obtenue par ce magnifique roman.
J'ai été assez dérouté au départ : le style est archi-accessible, sans doute un des ingrédients de sa grande popularité, et comme certains ici ont pu le souligner, il ressemble par moments à un simple scénario. Des auteurs comme
Ellroy jouent avec ce côté scripté, les jeux rythmiques, les claques qu'il peut distribuer. Mais
Lehane est plus simple, moins recherché, plus direct et spontané. On se rend compte bien vite qu'il est une sorte de
Thierry Jonquet américain, très porté sur le social, sur le regard de l'humain vers sa vie et la condition pitoyable de la cité.
Mystic River soulève du début à la fin de poignantes interrogations sur l'enfance, le fossé béant entre les générations, l'âge adulte, l'amitié, la famille, l'amour... Et nous laisse au bord des larmes. Ou comment posséder un style simple, au point de laisser croire qu'on en a pas, qu'on est qu'un faiseur de best-sellers, pour accumuler avec d'autant plus de naturel de superbes truismes sur la vie. Ce n'est pas pour rien que
Mystic River a 85 citations sur Babelio, quasiment chaque chapitre regorge de sentences que l'on parvient à appliquer à sa propre vie, l'émotion venant de l'efficacité du choix des mots, plus que dans les figures de style. Succès immense et talent ne sont pas incompatibles, j'aurais dû me rappeler de mon adolescence et de l'effet que
J.K. Rowling a eu sur moi.
Il y a certes quelques longueurs, notamment l'interminable (mais peut-être est-ce voulu?) matinée avant, pendant et après la découverte du corps de Kathy. Ah mais c'est vrai que je n'ai pas parlé de l'histoire... Tout le monde la connaît, ou presque. Sean, Jimmy, Dave, trois jeunes garçons, jouent dans la rue, Dave est kidnappé par des pédophiles déguisés en flics, puis revient plus tard après avoir échappé à ses ravisseurs. Cet évènement, comme au théâtre, et comme dans la vie, changera, à lui seul, le destin entier des trois personnages, de leur famille, de leur descendance, de leurs amours... Sean devient flic, Jimmy criminel à la Scorsese, Dave est paumé, et on se rend compte progressivement qu'il lutte en permanence pour ne pas céder au virus pédophile qui l'a malheureusement contaminé.
La fille de Jimmy est assassinée, et évidemment, petit à petit, le lecteur ainsi que tous les personnages, soupçonnent Dave, parce que la narration, comme dans le film, nous manipule, superpose ses tourments et ses délires au meurtre, de façon à en faire le seul suspect. Je ne dirai pas quelle est la véritable solution, mais personnellement, elle me satisfait parfaitement, j'aime bien ce genre de criminels, et ce genre de twist jouissif... Sans compter que l'identité du véritable coupable renforce à grands coups les thématiques du roman sur l'enfance, les générations...
Dave, du moment où il était revenu de son rapt, était devenu la bête à abattre, la chose hideuse, le monstre hugolien, le tragos, comme vous voulez... Et ce n'est qu'une fois Dave l'abomination mis à mort que les autres personnages reprennent le cours de leur vie.
Une thématique géniale, que j'adore toujours voir traitée dans la fiction, revient bien évidemment tout du long sous la forme de la question "Qu'est-ce qu'il se serait passé si...(j'étais monté dans cette voiture moi aussi? Si j'étais partie avec Kathy ce soir-là? etc)". Un seul évènement, un seul choix, une seule décision, bouleverse à jamais le cours d'une vie, et c'est le précepte qui régit tout
Mystic River, de 1975 à 2000. Et cela me rappelle encore une fois pourquoi j'ADORE le roman policier, qui agit comme une tragédie, où les erreurs des personnages leur coûtent leur place parmi les vivants.
Dennis Lehane, Jonquet américain avec un surcroît d'émotion, dont les personnages errent dans les banlieues de Boston en se remémorant leur enfance, leurs rêves, leurs idéaux, et contemplent l'âge adulte, la précarité, la sottise des jeunes et du monde, les responsabilités, la beauté et le réconfort de l'amour, n'a pas usurpé sa réputation. Je crois que c'est à partir de la deuxième moitié du roman, plus précisément de la visite de Sean et Whitey chez Brendan, que le roman a pris racine en moi. Puis le chapitre où Brendan évoque son amour pour Katie et l'idylle rêvée, fantasmée, d'adolescent, réduite à jamais à néant. Et tout ce qui s'ensuit, les délires de Dave puis sa mort, jusqu'à la toute fin. Un roman policier social, sentimental, dans le bon sens du terme, ça manquait, et on en a toujours besoin.
J'ajoute que les acteurs de l'adaptation cinématographique sont juste parfaits, c'est comme ça que j'imaginais les personnages, et surtout
Sean Penn en Jimmy Marcus.