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EAN : 9782213015538
426 pages
Fayard (06/03/1985)
4.1/5   10 notes
Résumé :

L'histoire de l'homosexualité s'est presque toujours confondue avec celle de sa répression. Dès le IIIe siècle de notre ère, la liberté qu'avaient connue la Grèce et Rome n'est plus qu'un souvenir, le christianisme ayant repris à son compte la terrible malédiction de Yahvé contre Sodome... Le Moyen Age assimile hérétique et sodomite, les désignant tous deux sous le même nom de bougres. ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
C'est au milieu des années quatre-vingt que parait cet ouvrage de l'historien spécialiste de l'Ancien Régime Maurice Lever, dont les férus de « Secrets d'Histoire » ou « L'ombre d'un doute » connaissent bien l'épouse, Evelyne Lever, historienne elle aussi, spécialiste du dix-huitième siècle.

“Est-il possible d'être assez barbare pour oser condamner à mort un individu dont tout le crime est de ne pas avoir les mêmes goûts que vous ?”

Hélas, faire l'Histoire de l'homosexualité (bien que le terme soit rigoureusement impropre car recouvrant dans le livre des réalités diverses, allant de l'amour entre hommes adultes, à la pédophilie, en passant par la prostitution et la bisexualité) c'est aussi et d'abord faire celle des délits et des peines. Les sources sur lesquelles peut se reposer un historien sont très largement celles des rapports de police, des minutes de procès, des archives de la justice ecclésiastique ou celle des Parlements. C'est plus erratique moins animé par les passions intuitu personae que les chroniques de Saint Simon !

***

Cela commence dès l'Antiquité, il est dit dans l'Ancien Testament (livre commun aux trois monothéismes) que Loth héberge deux anges à Sodome et que le peuple de la ville lui demande de lui livrer les anges pour qu'il les « connaissent ». Loth préfère livrer à la foule violeuse et tueuse sa fille et sa femme plutôt que les deux anges. Cela en dit long au passage sur la misogynie, cousine de l'homophobie jusque dans les révoltes concomitantes des années 1970.

Chez les grecs également, ce qu'on appelle la « pédérastie » est institué comme rituel de passage de l'adolescent « éromène » à l'âge adulte avec l'accompagnement philosophique et sensuel d'un ainé, « l'éraste ». L'idée était d'avoir une relation raffinée avec un adolescent et ensuite l'abandonner aux femmes. Cela ne signifiait pas nécessairement que l'un ou l'autre était ou devenait homosexuel par la suite – entendons l'amour entre adultes consentants. On peut citer les « érastes » Platon et Socrate notamment. Mais également d'autres personnages de l'antiquité gréco-romaine comme Alexandre le Grand, Jules César dont on écrivait qu'il était le « mari de toutes les femmes » en oubliant, par idéologie, la suite de la citation « et amant de tous les maris », ou encore Caligula, Néron, Othon, Heliogabale, l'empereur Hadrien, Sénèque, Ovide, Ciceron, Horace, Tibulle, Pétrone, Virgile et même Clovis.

Dans la Rome Antique les choses sont un peu différentes, le 25 avril un des très nombreux jours de fête de l'année (c'était plus festif que notre calendrier actuel…) la débauche et les prostitués masculins étaient partout, même si certaines interdictions formelles existaient sans être appliquées.
Il faut véritablement attendre le début de la chrétienté à Rome pour voir les lois et les sanctions se durcir.

Le Moyen-âge connait néanmoins des amours entre personnes de même sexes, hommes ou femmes. On peut citer Edouard II d'Angleterre, Gilles de Raie délinquant sexuel notoire, et les amours de Richard Coeur de Lion. Mais l'homosexualité n'est pas stigmatisée. L'acte en lui-même et avec la masturbation, la zoophilie dans les crimes de « bestialité », d'ailleurs à cette époque les animaux eux-mêmes sont des justiciables et il existe des traces de procès de cochons, de perroquets, de hannetons etc. Parfois le châtiment est l'exil, comme nombre de poètes de la Cour, on pense au plus célèbre François Villon. La peine la plus lourde, le bûcher, est très peu appliquée. D'ailleurs, en réalité les condamnés au bûcher sont d'abord étranglés la plupart du temps, avant d'être publiquement brulés, si bien que les spectateurs « n'y voient que du feu ».

« Michael Angelo per bacco ! Comment veux-tu que mes fidèles prient devant ces nudités ? ». La Renaissance italienne amène avec elle jusqu'en France le « vice italien ». Léonard de Vinci, le Caravage ou Michel-Ange ont eu parfois maille à partir avec les autorités tant pour leur représentation des hommes dans la peinture et la sculpture que pour leurs propres amours homosexuels.

Mais il y a une sorte de licence artistique, comme un « raffinement indispensable » à la culture et aux arts de la Renaissance. Ces exceptions culturelles rendant plus douce les sanctions à l'égard des professions artistiques a toujours perdurée. le Pape lui-même, pragmatique recevant une requête d'autorisation à pratiquer le « vice italien » pendant les trois mois d'été répond qu'il en « soit fait ainsi qu'il est requis ».
Les poètes Théophile de Viau, Des Barreaux sont inquiétés mais la noblesse reste épargnée, en général ce sont les amants sans protecteur, ou les proxénètes travaillant pour les nobles qui sont condamnés comme pour sentencier le noble par contumace.

On parle beaucoup des mignons d'Henri III, aujourd'hui cela fait débat, mais on oublie Louis XIII qui supportera beaucoup de ses amants, Saint-Amant et Cinq-Mars qui s'enduisait d'huile de Jasmin en attendant la visite du roi qui « n'avait rien d'un amoureux que la jalousie » pour les conquêtes féminines du jeune noble, dont la fulgurante ascension n'aura d'égale que la chute soudaine, pour qui dispute à Richelieu la raison d'Etat…
Ainsi, “les grands seigneurs, le Roi lui-même jouaient avec le feu, mais en sachant bien qu'ils ne risquaient pas de s'y brûler. Tout au plus la fumée qui s'exhalait des bûchers rependait-elle sur leurs plaisirs l'âcre saveur du danger.”

A l'ombre du Roi Soleil, réputé détester le « beau vice », certains libertins sadiques d'une confrérie italienne et homosexuels échappent aux plus lourdes peines (on compte parmi eux le bâtard de madame de la Vallières et le fils de Colbert), les jardins d'arcadie de Versailles n'en manque pas, de Jean Baptiste Lully à Monsieur le Frère du Roi lui-même, travesti et « bardache ».

Louis XIV n'a de cesse que d'éviter les scandales (comme dans l'affaire des poisons qui verra l'avènement de techniques d'enquêtes policières modernes sous la houlette du lieutenant La Reynie), avant de punir, il faut préserver la pureté apparente de la noblesse, qui éclairée peut se permettre certains vices que le petit peuple infantilisé ne doit pas connaître. Comme disait Figaro parce qu'ils se sont donnés la peine d'être nés - sous-entendu nobles- le roi les épargne. Mais ce n'est peut-être pas la seule raison de cette clémence, l'indiscrétion de la Princesse Palatine, i épouse de Monsieur nous renseigne sur la faune versaillaise : “Si l'on voulait détester tous ceux qui aiment des mâles, on ne pourrait aimer ici que bien peu” (on pensera à lui donner ses étrennes au mois de janvier !).

Ainsi, au-delà de la licence artistique réelle et qui perdure de nos jours le peuple est perçu par l'aristocratie et le haut clergé sans doute, comme naïf et pur.
Il est infantilisé et doit à ce titre être protégé des moeurs plus dépravées, plus libertines, des nobles dont l'âme est supérieure, initiée et qui peuvent, sans danger jouir du libertinage, à la fois érotique et politique des salons mais il ne faudrait pas que ces idées neuves viennent à l'oreille du bon petit peuple.

Le siècle des lumières, pourtant progressiste a vu la condamnation des deux derniers homosexuels au bûcher, commémorée aujourd'hui par une plaque de la Mairie de Paris. Les philosophes sont partagés sur la question, Voltaire l'excuse mais la condamne, Rousseau y est mainte fois confronté mais la craint et Diderot semble lui donner bénédiction, de même que D Alembert pour qui “tout ce qui est ne saurait être contre nature ou hors nature”. C'est peut-être Condorcet qui résume le mieux la conception révolutionnaire vis-à-vis de l'homosexualité : “la sodomie, lorsqu'il n'y a point de violence, ne peut être du ressort des lois criminelles. Elle ne viole aucun droit d'hommes.”

***

Ainsi, l'ouvrage est un « fourretout » mélangeant d'une part crimes sordides : pédérastie et pédophilie entre criminel et enfant du même sexe et, d'autre part injustices morales : comme les arrestations arbitraires, les persécutions d'adultes consentants, la traque par les « mouches » anciens prostitués indicateurs de police qui séduisent et piègent des homosexuels dans le jardin des tuileries, la « ville invisible » ou les hommes clandestins, les « folles » et les travestis se retrouvent pour aller « boire chopine » dans une auberge complaisante ou les cabarets.

Si peu sont abordés les points positifs de cette histoire-là, plus difficiles sans doute pour l'Historien à appréhender. Ce que voulait dire « en être » tant pour le noble que le bourgeois ou le paysan, “la grande famille de la manchette a toujours été le lieu de la mixité sociale” relève l'Historien, les rencontres transcendent les ordres et les classes sociales, si bien que les confréries d'hommes et de femmes se rassemblent, se créent autour du secret et rédigent des textes, des chartes, portées par les lumières et les espoirs révolutionnaires.

Si peu également, sur les femmes, pas un mot de Ninon de Lenclos ou d'Isabelle de Bourdon, à peine quelques exemples de lesbiennes de la noblesse vivant au grand jour, mais il convient peut-être d'en déduire que la répression a surtout frappée les hommes (les femmes n'étant pas mieux traitées mais pour d'autres raisons).
Ces disparités de traitement entre hommes et femmes homosexuels perdureront notamment à la Belle Epoque, voir en ce sens l'ouvrage, plus récent, de Régis Revenin qui explore l'histoire plus récente des bordels de Proust aux vespasiennes parisiennes.

Mais surtout si peu sur l'Amour, l'auteur, pour qui les procès-verbaux sont la première source d'archives (imaginez ce qu'on pourrait dire de notre époque aussi si nous n'avions que les mémoires des hommes politiques et les rapports de la police), concède lui-même “à force de la considérer sous l'angle pénal et de n'en retenir que les aspects les plus déprimants on oublie qu'il existe quelque part un jardin secret, moins fréquenté que les Tuileries”. C'est là que s'arrête, pudiquement et respectueusement, L Histoire publique.

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