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EAN : 9782350879215
384 pages
Editions Héloïse d'Ormesson (18/01/2024)
3.95/5   20 notes
Résumé :
Tous rêvent de fuir cette île désolée, où la ressource en eau est rare et contrôlée. La plupart des habitants s’épuisent à pomper des nappes inaccessibles. Ceux qui refusent cette cadence infernale n’ont d’autre choix que de se tapir dans l’obscurité. Mais dans cet univers de violence, une poignée d’individus n’a pas renoncé à la poésie. Au péril de leur vie, ils vont conjuguer leurs forces et chercher l’espoir et la beauté jusque dans les recoins les plus sombres d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
L'art comme moyen d'évasion

Dans ce premier roman d'anticipation à paraître chez Héloïse d'Ormesson, Martin Lichtenberg imagine une île coupée du monde et sur laquelle les habitants travaillent à pomper l'eau, leur ressource vitale en rêvant de figurer parmi les privilégiés autorisés à prendre le train pour la Capitale. Une vie contre laquelle un artiste et un musicien vont tenter se rebeller.

C'est l'histoire d'un rebelle. C'est l'histoire d'un homme qui refuse les discours lénifiants. C'est l'histoire de Dael S'èn, artisan et artiste de la Roche. Il vit sur cette île coupée du monde, régie par un pouvoir dictatorial au service duquel La Garde patrouille pour éviter tout débordement, toute tentative de remise en cause des lois d'airain édictées pour conserver la mainmise sur la population. Afin de l'encourager, il leur fait miroiter la possibilité de prendre le train jusqu'à la Capitale, une sorte de paradis sur terre.
Mais cet espoir ne fait vivre qu'une partie des habitants, les Rocheux. Ce sont les trimeurs, "individus lardés d'espoir, qui frétillent d'arrache-pied pour se caler au chaud dans le train et quitter l'île. Droit vers la Capitale, sans escale, c'est comme ça qu'ils voient l'avenir. Ils incarnent le poumon de la Roche, ceux qui se projettent encore un peu, pas loin de la léthargie, certes, mais pas encore dedans." L'autre partie de la population, les Rocailleux, a baissé les bras et se terre, vivant de petits trafics afin de trouver l'eau qui leur permettra de survivre. L'eau qui, comme dans Water Knife de Paolo Bacigalupi, est devenu l'enjeu majeur de cette société.
Reste une poignée d'hommes de femmes qui entendent résister, à commencer par Dael S'èn et sa fille Loo, qu'il appelle affectueusement la Loupiotte. Au début du roman, on le voit braver le pouvoir en installant une guirlande lumineuse de sa fabrication pour mettre un peu de gaîté, d'art au coeur d'une ville qui se noie dans la grisaille. Échappant aux patrouilles, il peut trouver refuge chez la Fouisseuse qui vit dans un vieux sous-marin et passe son temps à ramasser un peu tout ce qui traîne. Un bric -à-brac dans lequel Dael peut se servir pour ses projets.
C'est lors d'une cérémonie organisée pour fêter le départ d'un nouveau contingent d'Élus vers la capitale qu'il va faire la connaissance de Sol. le musicien a nargué les autorités en interprétant un morceau de musique sur le piano de la Gare, provoquant étonnement et stupeur. Les deux hommes vont se retrouver et s'allier.
Commence alors un jeu du chat et de la souris qui va voir, de rebondissement en rebondissement, s'affronter les artistes et le pouvoir. Un combat à armes inégales, mais qui va nous réserver de belles surprises et qui est ponctué par des extraits des Gravures de la Roche, sorte de journal tenu par Loo S'èn et qui éclaire le récit tout en lui apportant une note poétique.
Martin Lichtenberg a parfaitement su rendre l'atmosphère de cette île où tout semble figé, délabré, où l'ambiance est aussi noire que la nuit, où il est davantage question de survivre que de vivre et où l'aliénation est un mode de gouvernement.
Ici tout divertissement est une menace, toute question une menace. Si la science-fiction s'est déjà penchée sur cette thématique - on pense notamment à 1984 de George Orwell, à Fahrenheit 451 de Ray Bradbury ou plus récemment aux Furtifs d'Alain Damasio - il faut bien reconnaître que le primo-romancier a réussi ici une version très originale du combat du pot de terre contre le pot de fer en y ajoutant une touche artistique. Et en démontrant combien l'art, et en particulier la musique, était subversif. Alors le vieux slogan l'imagination au pouvoir, retrouve une seconde jeunesse.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu'ici! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024». Enfin, en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.

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💧Chronique💧

« Parfois j'ai l'impression que mon monde part à la dérive et s'enfonce tout droit, lentement, vers les profondeurs de l'eau. »

Dans La Roche, j'absorbe l'eau. le fluide. La poésie. Je m'y connecte, non seulement, parce cet élément est omniprésent, mais je veux comprendre, ce qui le constitue. L'eau est une denrée rare, dans ce monde comme dans le nôtre, mais là, sur cette île imaginaire, elle est partout mais inaccessible, sonore mais entourée de non-dits, travaillée mais sous bonne Garde…
Sur La Roche, je m'imprègne de cette atmosphère froide, humide, morne. Je ne fais plus qu'attention aux gravures, parce que le reste de l'île est trop stagnant, si l'on s'y attarde de trop…Sous ce dôme, les hommes ont été privé de libertés, d'arts, de leurs potentiels. le seul rêve à leur portée est La Capitale. Mais ce rêve se mérite…
Avec La Roche, je fais seulement gaffe aux mots de Loo. Plus rien, ne m'atteint, sauf sa joie, sa lumière, son innocence. La musique de Sol aussi m'emporte, au loin, très loin, trop loin. L'idéalisme de Dael me pousse à voir la magie cachée. Tandis que la Fouisseuse m'envoûte, avec efficacité. Et je les aime pour ça. Ils sont une équipe de bric et de broc, mais chacun apporte sa pierre à l'édifice. Comment ne pas voir en eux, un possible chamboulement bienvenu? Comment ne pas partir avec eux, pour une aventure pour le moins singulière…

« Tu réalises ce que ça signifie au moins? »

Ça signifie que l'eau, le fluide, la poésie n'en finit pas de couler. Les larmes, aussi. Tout déborde, les yeux, le coeur, l'Ocean. Comment on en est arrivé là, à priver les êtres, comme cela, de leur essence qui les constitue? Et puis je cherchais, puis j'allais en profondeur, gratter ce qu'il pouvait rester de leurs lumières. Plus je plongeais loin dessous, plus la mélancolie m'étreignait, cette immobilité manifeste, cette aliénation terrifiante, me faisait plus mal qu'un coup direct au plexus. Et l'art, ô l'art, sans lui, on est comme en apnée. Qui peut tenir dans un monde sans l'Art? Qu'est-ce qu'on fait de l'absence totale de musique, de poésie, de flamboyance, de rêves, de victoires? Sur la Roche, la vie y est non seulement difficile de par ses conditions de travail et de vie, mais plus encore, par cette carence extrême d'imaginaire. Il n'y a aucune bouée, de quelque forme soit-elle, à laquelle se raccrocher et lorsque l'on se retrouve au milieu de l'Ocean, c'est encore plus dur pour les esprits libres…Mais Loo, est heureusement là, pour mettre de la fantaisie, de la joie et de la poésie dans ces mots, dans ces gestes, dans son coeur, pour nous emmener avec elle, voler au-dessus de tout cela!

« Je ne voudrais pas gâcher l'effet de surprise. »

Je vous laisse donc découvrir La Roche. Cette excursion sera revitalisante! Parce que quand on sait ce qui nous constitue, on a envie de le conserver, de le préserver, de le garder précieusement. Ce qu'il me reste de cette lecture, c'est cette force aquatique qui a rempli même mes rêves, ce fluide magique que j'espère avoir manipulé avec douceur, et la poésie enchanteresse que je voudrais voir voguer jusqu'à vous, si les fourmis sont bien lunées…Je veux que ce texte vous immerge comme il a pu m'embarquer aussi follement dans ces dérives et virevoltes. Je voudrais qu'il fasse écho et chant…Et si jamais, vous écoutiez attentivement, vous saurez alors que j'ai eu un coup de coeur et j'ai espoir qu'il arrive à bon port…

« je suis un être qui s'évapore et vous échappe. »
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Une grande première, un coup double. Pour son premier roman, La Roche, Martin Lichtenberg voit son ouvrage publié chez l'éditeur Héloïse d'Ormesson. C'est de la science-fiction chez un éditeur habitué jusqu'alors à publier uniquement de la littérature dite générale.

Ce qui frappe dès les premières pages, c'est le soin apporté à l'écriture, changeante selon les chapitres et les narrateurs, empreinte d'une poésie moderne. Un vrai parti pris qui a sans aucun doute joué sur le fait que le texte ait été retenu par l'éditeur.

Ce récit s'apparente à de la fantasy, mais garde les pieds sur terre. Un monde étrange se résumant à une île, appelée La Roche, quasi exclusivement peuplée de miséreux qui triment ou volent pour survivre. Pour ne pas mourir de soif, l'eau, élément rare, est conditionnée dans de minuscules bulles pour être transportée et consommée.

Plusieurs castes de femmes et d'hommes à la vie misérable, dont la principale raison de survivre (et de trimer) s'appuie sur le rêve de rejoindre un paradis dont personne ne sait grand-chose, présenté uniquement via des écrans. Un lieu réservé à quelques rares élus, triés par une milice armée qui fait régner l'ordre.

Le roman est l'occasion de suivre plusieurs destins, notamment celui d'un père et de sa fillette, un artisan en rébellion larvée, et une fillette pleine de vie et d'imagination. Il met également en scène un jeune homme insoumis, un artiste, dans un monde où l'art n'a plus aucune place.

L'auteur se singularise par son écriture, mais aussi par de très bonnes idées qui donnent du corps à son monde, avec quelques touches d'une certaine magie le différenciant du nôtre. La principale concerne un flux qui constitue chaque être. Qu'est-ce ? À quoi sert-il ?

Ces idées et cette plume forment une aura onirique mais toujours au plus près des personnages, de leur vie, de leurs douleurs, de leurs espoirs, de leurs rêves.

Ils luttent pour défendre une autre conception de l'existence, pas uniquement de labeur, mais emplie d'émotions. Et une approche intéressante pour questionner la place de l'art dans le quotidien.

Cette lecture est un voyage dans un monde gris, sans couleur, sans saveur, aliénation du corps et de l'esprit, qui va s'ouvrir à d'autres teintes. Avec quelques scènes de poursuite, entrecoupées de moments de réflexion ; des passages forts, d'autres plus faibles. Un premier roman sans doute perfectible mais avec la fraîcheur et l'enthousiasme des premières fois.

Martin Lichtenberg trouve une voix dès son premier roman, à travers un récit de l'imaginaire qui sait donner vie à ses personnages. La Roche est un endroit à visiter pour les lecteurs curieux.
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La Roche. C'est sur cette île sombre et désolée et dans laquelle l'eau est une denrée rare, que tentent de survivre tant bien que mal ses habitants. Il y a les Rocailleux qui essaient de s'en sortir au moyen de duperies en tout genre. Et il y a les Rocheux, qui eux travaillent toute la semaine, dans le but de décrocher le fameux billet qui leur permettra de rejoindre la Capitale et ainsi d'y trouver un quotidien plus clément. Parmi eux, il y a Dael et sa petite fille Loo, un musicien prénommé Sol qui ne perd pas espoir au travers des arts, et la Fouisseuse, profondément bouleversée. Au milieu de tous ces gens, la Garde veille afin que personne ne se rebelle.

C'est une dystopie très originale que nous propose ici l'auteur. Elle est différente de par sa portée émotionnelle et surtout de par la qualité stylistique dont Martin Lichtenberg fait preuve à chaque page. J'ai été subjuguée par cette manière d'écrire, somptueuse et noire à la fois, et qui réussit à faire passer toutes les émotions qui assaillent les protagonistes.

Ce roman est d'une densité inouïe. J'aime autant vous le dire, si vous cherchez un roman simple et rapide à lire, ne vous lancez pas dans cette lecture, vous pourriez passer à côté, et ce serait dommage. Il faut prendre son temps à la lecture afin de pouvoir apprécier la qualité de l'intrigue et du style.

D'emblée, le lecteur est immergé sur cette île et ressent les peines des habitants. L'univers est très bien décrit, les descriptions sont précises. Je me suis attachée à Dael et à Loo, qui m'ont particulièrement touchée, mais je dois dire que Sol et la Fouisseuse ne sont pas en reste.

Nous allons suivre leurs aventures tout au fil des pages. Leur parcours va être semé d'embûches , et j'ai aimé le fait que malgré les difficultés multiples qui les assaillent, ils ne vont pas perdre espoir.

Le dénouement est bouleversant et réserve son lot de rebondissements. Bien évidemment , je n'en dirais pas davantage.

La plume de l'auteur m'a bluffée. Quellle qualité stylistique. Avec élégance, poésie mais également avec beaucoup de noirceur, il nous décrit le quotidien sur cette île, ainsi que les sentiments de ses habitants. Les passages de Sol, narrés à la première personne, sont particulièrement réussis.

Un roman à la poésie présente à chaque page, malgré l'univers sombre qui est la toile de fond de ce récit. Bluffant, émouvant. À découvrir.
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Premier roman de science-fiction des éditions Héloïse d'Ormesson, "La roche" est une dystopie se déroulant sur une île désolée, ou un régime totalitaire impose sont fonctionnement à un peuple étouffé, à bout de souffle.
L'art et la musique sont interdits, l'eau est rare et contrôlée, c'est même le moyen de controle principal des foules. Les travailleurs ne rêvent que d'être sélectionnés pour vivre à la capitale.
Nous suivons un père, sa fille, un jeune artiste musicien et une femme seule et sans espoir vivant recluse dans un vieux sous-marin délabré, ils doivent tous vivre ou survivre dans cette ambiance glauque ou les rues sont surveillées par la "garde", le soupçon et la répression sont de tout instant, la liberté dans l'esprit de tous.
J'ai aimé les divers intervenants, que ce soit les héros, le père révolutionnaire, le jeune plein d'espoir et de vie, la femme résignée mais pas dupe, la petite fille si attachante et pleine de rêves, le petit peuple débrouillard. Les représentants de l'autorité sont également bien développés.
L'évolution scénaristique est surprenante, poétique parfois mais aussi emplie de scènes d'action, de moments touchants et d'autres angoissants.
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Nous avons glissé. Nous avons glissé soudainement de l’autre côté de la rive et nous n’avons jamais pu revenir. Je crois que ça n’a pas duré plus de quelques instants car j’ai à peine eu le temps d’ouvrir les yeux que nous y étions déjà.
À ce moment précis, j’ai eu l’impression de voir ce que j’attendais depuis tellement longtemps. Comme un aboutissement, une épiphanie ou un rêve. Je l’ai vu et j’ai d’abord pensé à l’étrangeté des choses que nous quittions et à celle encore plus grande vers laquelle nous nous dirigions. Toutes ces choses que je n’aurais finalement jamais vraiment comprises.
La Roche est apparue tout entière, comme une toile pleine de détails qui se dessinait dans ma tête, avec ses canaux labyrinthiques, ses bâtiments sauvages, ses allées noires, ses eaux, ses habitants et tant d’autres choses encore. Puis j’ai pensé à l’Océan, je l’ai vu, je l’ai senti, j’ai eu le sentiment d’en faire le tour et j’ai levé les yeux au Ciel. Il nous observait avec ce regard impassible dont il ne veut jamais se défaire. J’ai murmuré quelques mots dans sa direction et tout a disparu : la Roche, l’Océan et le Ciel. C’était comme si je disparaissais moi-même.
Comment nous sommes-nous retrouvés là ? À quel moment avons-nous laissé nos corps s’extraire de la piste ? J’ai repensé à tout, j’ai décortiqué, gratté, fouillé comme une souris affamée mais je n’ai rien trouvé. Je ne sais pas. Je n’ai aucune idée de ce qui a généré tout ça et je ne veux plus y penser car ce qui nous attend est sûrement plus fort que tout.
Nous avons glissé et j’ai vu mon monde se hisser un instant dans les airs. Pendant ce court moment, il n’a plus coulé, il n’a plus flotté non plus, il s’est contenté de s’élever hors de l’Océan et s’est tenu ainsi, en lévitation dans l’atmosphère des lieux, comme s’il était porté par sa légèreté heureuse. J’ai souri et une larme de joie a dévalé ma joue, petite bille de lumière.
J’avais tellement rêvé ce moment. Je l’avais fabriqué, imaginé, dessiné, modelé, sculpté et tout ce que je pouvais faire pour le représenter. Jamais en revanche je n’avais pensé qu’il arriverait de cette façon, alors que je m’en éloignais avec une boule au ventre plus grosse et brillante que les étoiles au Ciel.
Et alors que nous avançons tous les deux, bercés par la mélodie qui me pénètre et m’envahit comme une ensorceleuse, je ferme les yeux et je fais taire mes pensées. Nous avançons, ou nous reculons peut-être, je ne sais pas et je ris, car les bulles bleutées de mes souvenirs les plus heureux m’envahissent, me chatouillent et ne me quitteront plus jamais.
Extrait et fin des Gravures de la Roche par Loo S’èn

1
Pendu au bout d’un fil, un photophore en aluminium diffuse une faible lumière dans l’atelier. La petite flamme vacille légèrement et brille par intermittence sur les amas de breloques qui encombrent l’espace exigu. Des bocaux et divers récipients saturent les planches des étagères improvisées le long des murs tandis que des filets, tendus entre les hauteurs de ces dernières, permettent le stockage d’autres matériaux, de tissus et de bibelots.
Dans le seul coin que les amoncellements ont épargné, un homme est assis sur un tabouret. Son visage concentré reluit à la lumière de la bougie. Face à lui, deux larges planches de bois parfaitement calées entre les parois opposées constituent l’établi sur lequel il s’affaire en silence. Ses longs doigts s’agitent devant lui comme des tentacules, passant d’un court scalpel à une trentaine d’ampoules vides et sans culot qui traînent sur le plan de travail.
Tout se fige et ses mains se taisent : le son de plusieurs pas résonne dans la pièce, au moins quatre personnes. Ils viennent de l’extérieur, juste au-dessus de l’atelier. L’artisan ferme les yeux et ne respire plus, il sait ce que peuvent receler les rues à la nuit tombée. Mais les bruits s’estompent et disparaissent aussi vite qu’ils sont venus. Il demeure quelques secondes immobile, puis saisit avec empressement un large bocal sur l’étagère, le pose devant lui et en ôte le couvercle. Un flot de lumière verdâtre jaillit du récipient et illumine son visage qui n’a rien perdu de son application. Il en sort une luciole qui se dandine faiblement au bout d’une pince en diffusant un halo vert citron. L’homme lève l’insecte au-dessus de son visage et le contemple avec fascination. L’étincelle verte pâlit et clignote lentement. Il l’insinue dans l’ouverture d’une ampoule et l’y dépose avec précaution.
Dans la sphère, la lumière se ranime et transperce abondamment la fine paroi transparente qui se met à briller. L’homme répète le procédé pour chaque ampoule et les scelle une par une en en soufflant le verre. Après une heure de travail soigneux, une petite armée de lampions sphériques scintille sur la table de bois. Dans ces derniers, sous la cadence du mouvement des lucioles, la lumière verte ondule gracieusement.
L’artisan se retourne, contourne de larges feuilles de papier enroulées et s’empare d’un tas de cordelettes grossièrement lovées. Il en déroule une, longue et fine, et la fait glisser dans l’anneau de métal des trente lampions. Une guirlande de mille feux verdoyants. Il la fourre dans un sac en tissu noir, le passe sur son épaule et éteint la bougie du photophore dont la flamme se volatilise aussitôt.
Une obscurité totale a envahi l’atelier. L’homme se dirige vers le fond et gravit un court escalier de bois jusqu’à une minuscule porte qui donne sur un étroit couloir plus sombre encore. Il referme la porte minuscule derrière lui et s’avance vers l’autre extrémité. Là, il déplace une plaque de fonte noircie par des dépôts de suie et quitte la galerie. Quand il remet la plaque en place, la pièce secrète s’efface dans le fond d’une imposante cheminée de pierre.
L’homme a pénétré dans une pièce plus grande, plus haute sous plafond et bien dégagée au-delà de l’étrange structure de bois qui larde une partie de l’espace. D’épaisses poutres, parfois longues de plusieurs mètres, s’étendent d’un mur à l’autre, se rejoignent entre elles, s’enchevêtrent et contraignent l’artisan à se courber, sauter et enjamber pour atteindre la grande porte opposée à la cheminée. Il l’ouvre et sort.
À peine deux pas sur les planches d’un ponton et il s’arrête net. Devant lui s’étend une nappe d’eau à perte de vue. Un océan lugubre dans la nuit tant calme. On pourrait croire qu’il est mort, que son cœur a cessé de battre et que sa surface s’en trouve incapable du moindre mouvement.
L’homme contemple l’horizon puis lève ses yeux vers le Ciel immense. De ces Ciels qui pourraient engloutir des univers entiers et dont la grandeur envoûte l’esprit. Mais il n’a pas le luxe de rester davantage, la fatigue le lance et il a encore à faire ; il décroche son regard et s’avance sur le ponton qui longe la maison puis remonte une rampe en suivant le mur. Il laisse ainsi l’Océan derrière lui et débouche sur une allée bordée de bâtiments en ruines. Il s’enfonce dans la ville dans la discrétion la plus totale.
À courtes enjambées, il foule les pavés et balaye l’espace environnant de regards méfiants. Que peut-il craindre ici où le silence règne en maître incontesté ? Où la vie semble avoir oublié d’exister ? Les rues sont vides et sombres, les bâtiments ont l’air de vieilles friches abandonnées et pas une lumière ne brille aux rares fenêtres qui ne sont pas condamnées. Pourtant l’artisan progresse à tâtons et longe les murs comme s’il voulait s’y laisser absorber. Il repense aux bruits de pas dans l’atelier et craint de les entendre à nouveau approcher.
Un mouvement soudain, un chuintement ou un frottement ; quelque chose d’inhabituel. L’homme sursaute, fait volte-face, scrute les alentours – rien – puis lève la tête. Un oiseau volète là-haut, entre les bâtiments. Son plumage gris est encore plus terne que la nuit. L’homme se précipite dans l’alcôve d’une devanture défoncée et se plaque contre la meulière poussiéreuse d’un mur laissé là comme un vestige. À quelques mètres, de l’autre côté de la chaussée, le volatile s’est approché à tire-d’aile d’une large poutre qui dépasse du mur au niveau de l’entresol. Il s’y est posé et picore des graines habilement disposées. L’artisan sait ce qu’il a à faire : ne surtout pas bouger et respirer sans bruit. La pierre commence à pénétrer la peau de son dos mais il doit attendre que la voie se libère, que le son léger de ses pas soit à nouveau la seule et modeste entorse au mutisme des lieux.
Après une courte minute de festin, un vacarme grandiose retentit au niveau d’une poivrière de pierre, deux étages au-dessus de l’oiseau. Le calme est rompu. Un chariot, sur deux rails arrimés au bâtiment, se décroche du sommet de la façade et fond en piqué sur l’oiseau dans un barouf d’enfer, de cliquetis et d’entrechocs. Le volatile n’a pas le temps de prendre son envol que l’embarcation est sur lui. Un étrange énergumène surgit du chariot et tire une manivelle qui freine brusquement au niveau de la poutre. L’animal piaille bruyamment et donne un battement d’ailes désespéré mais la main boudinée du bonhomme l’attrape avant qu’il ait pu s’enfuir, lui brise la nuque et le fourre dans un panier d’osier. Un coup d’œil furtif autour de lui, un reniflement rauque, et le petit homme pompe une seconde manivelle qui hisse le chariot par saccades vers le sommet du bâtiment. Tandis qu’il quitte son embarcation et disparaît dans la poivrière, la tête du pigeon brinquebale sourdement dans le fond du panier.
L’artisan expire doucement et passe le sac de tissu le long de son torse. La masse noire couvre une large partie de son corps et fait fondre sa silhouette dans l’obscurité de la rue. Il n’est pas temps de bouger, pas encore. Quelques graines tombent de l’auvent et s’écrasent sur les pavés dans un bruit sec.

À l’angle de la rue, un groupe d’individus en uniformes noirs surgit. Ils s’arrêtent un moment et observent la façade. L’homme ne les connaît que trop bien : les avant-gardiens, unité de sécurité et de
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Regardez les choses en face, la Roche est une épave à la dérive qui n'a d'autre destination que son propre naufrage. Je ne pense pas avoir besoin de vous en persuader. Si nous procédions aux changements que vous évoquez, elle replongerait dans le chaos. Le système a le mérite de la maintenir à flot tout en permettant à une partie de sa population d'entretenir de l'espoir. p. 375
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Tout à coup, une étoile se détache du groupe et chute lentement en zigzags, puis une autre, une troisième et une autre encore. Sous les yeux enivrés de Loo, toutes les étoiles bondissantes se décrochent du Ciel et tombent comme des gouttes de pluie enflammées. Quand les bras de Dael relâchent leur emprise, une cinquantaine de petits éclats ternis flottent à la surface de l’eau et plus rien ne brille dans le Ciel que les astres fixes et millénaires.
- C’était quoi ? souffle Loo encore envoûtée par le spectacle.
- Des papillons. Des papillons blancs venus s’éteindre ici, à la lueur de la Lune dans le plus bel endroit du monde. 
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Parfois j’ai l’impression d’entendre le bruit du Ciel
qui me dit de le rejoindre.
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Vidéo de Martin Lichtenberg
Martin Lichtenberg vous présente son ouvrage "La Roche" aux éditions Héloïse d'Ormesson. Rentrée littéraire janvier 2024.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/3003214/martin-lichtenberg-la-roche
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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