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Marie-Aude Matignon (Traducteur)
EAN : 9782370492166
230 pages
La Volte (06/04/2023)
4.11/5   18 notes
Résumé :
« Ça, c'est le taureau en train de violer Europe [...].
Ça, c'est l'aigle avant qu'il agresse Astérie, l'arrachant à la terre de ses griffes.
Ça, c'est Léda broyée sous un cygne. ».

Tout porterait à croire que Sirène, debout est un pied de nez fait aux Métamorphoses. Or, rien ne serait plus erroné. De son livre fétiche l'autrice tire un recueil de textes hybrides et polyphoniques où Antiquité et monde contemporain se confondent et se con... >Voir plus
Que lire après Sirène, debout : Ovide rechantéVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Dans la veine des Pat Barker, Madeline Miller ou encore Jennifer Saint, l'autrice américaine Nina MacLaughlin nous offre dans Sirène, debout, une revisite magistrale des Métamorphoses d'Ovide, véritable mastodonte regroupant les mythes grecques fondateurs les plus connus, cette fois du point de vue de celles à qui on oublie toujours de donner la voix, les femmes.

Publié initialement en 2019 et traduit en français en 2023 aux éditions La Volte, Sirène, debout nous livre une relecture contemporaine audacieuse et impertinente, un Ovide rechanté, comme nous l'annonce le sous-titre en couverture. Une bien belle promesse pour un lectrice telle que moi, avide de récits mythologiques et d'essais féministes.

Dans ce roman, trente-cinq voix se font entendre. Daphné, Arachné, Io, Hécube, Méduse, et même des voix masculines comme Tirésias, ont trouvé refuge dans les écrits de MacLaughlin, qui elle-même avoue avoir laissé de côté les histoires dont le sens lui échappait, pour donner de la voix à celles qu'elle comprenait le mieux. Des voix auxquelles j'aimerais même tendre un mégaphone pour qu'elles soient entendues de tous.tes !

Cet Ovide rechanté, c'est redonner un sens aux mots et surtout nommer les choses. Ici, un viol est un viol. Pas de taureau charmeur, de cygne séducteur. Que des dieux qui mentent et jouent des tours pour mieux brutaliser, agresser, violer. le roman s'ouvre sur la figure de la nymphe Daphné, poursuivie par Apollon jusqu'à l'épuisement. Elle finit par demander de l'aide à son père, Pénée, qui la change en laurier pour déjouer les assauts du dieu des arts. Une femme punie pour avoir subi les excitations d'un homme, ça vous parle ? Rien de plus actuel je trouve. Les récits mythologiques en regorgent.

J'ai lu en quelques jours les trente-cinq tableaux qui composent l'oeuvre de MacLaughlin, et certaines m'ont plus marquées que d'autres. Je retiens par exemple l'histoire de Callisto. La jeune nymphe faisait partie de la suite de Diane (Artémis). Elle fut violée par Jupiter (Zeus) qui avait pris les traits de Diane pour mieux la piéger. En apprenant la grossesse de Callisto, Diane entre dans une terrible colère et chasse Callisto de sa suite. Après avoir enfanté un fils, Arcas, la compagne de Jupiter, Junon (Héra) la puni en la transformant en ourse. Des années plus tard, Arcas se retrouve nez à nez avec l'ourse Callisto. Pour l'empêcher de tuer sa mère, Jupiter les plaça tous les deux dans le ciel, formant ainsi les constellations de la Grande et la Petite Ourse.

Il y a aussi l'histoire de Scylla, résolument moderne, qui aborde le harcèlement en ligne et le harcèlement de rue. Lors d'une conversation avec Galatée, elle découvre l'échange de mails entre cette dernière et Polyphème, le cyclope, qui la harcèle littéralement alors qu'elle ne lui répond plus. Puis vient le tour de Scylla d'être harcelée par Glaucus en pleine rue, lui qui n'a d'yeux que pour elle. Jalouse de l'intérêt de Glaucus pour Scylla, circé prépare un poison avec lequel elle empoisonne l'eau d'une crique dans laquelle Scylla se baigne, pour devenir le monstre que l'on connaît aujourd'hui.

Puis il y a Eurydice, transformée en rockeuse rebelle, chanteuse d'un groupe nommé Oaken. Et puis un beau jour, lors d'un concert, elle aperçoit O. dans la foule. C'est le coup de foudre entre eux. Mais c'est aussi la descente aux enfers pour Eurydice, car O. a toutes les caractéristiques de ce qu'on appelle un pervers narcissique : il la rabaisse sans arrêt, la maltraite, la fait culpabiliser. J'ai adoré l'analogie d'Orphée descendant aux Enfers récupérer Eurydice, et qui la perd à jamais en se retournant pour vérifier qu'elle était toujours là. Vraiment, cette histoire était parfaite pour conclure le roman.

Sirène, debout est une vraie réussite de la part de l'autrice Nina MacLaughlin. Non seulement elle remanie habilement les mythes fondateurs grecs de l'oeuvre d'Ovide, mais elle met au coeur des récits les voix des femmes qui ont trop longtemps été mises de côté, pour révéler les dieux, et les hommes, tels qu'ils le sont, non pas des héros, mais des êtres brutaux, violents, cruels, dénués de remords. Une oeuvre grandiose et incomparable.
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Une relecture contemporaine particulièrement audacieuse, du point de vue des vaincu(e)s, et réjouissante – même de situations, d'échappées, de crimes et de vengeances qui ne le sont guère – des Métamorphoses, servie par une langue gouailleuse, mobile et très juste.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/09/04/note-de-lecture-sirene-debout-ovide-rechante-nina-maclaughlin/

On sait à quel point le texte originel des extraordinaires « Métamorphoses » d'Ovide, avec son intense foisonnement mythologique quasiment fondateur et sa place assurée parmi les fondations de la culture occidentale moderne, use de savants non-dits et de rusés euphémismes, même dans une traduction sachant aussi bien jouer avec le langage que celle de Marie Cosnay, en 2017. de son exil au bord de la mer Noire, le poète latin, relégué par l'empereur Auguste après avoir déplu souverainement, n'en écrit pas moins depuis le bon côté du manche : c'est que la manoeuvre qui transforme – et qui continue aujourd'hui à faire tout le sel fantastique de ces épisodes mythologiques, célèbres ou qui auraient peut-être été oubliés sans cela, intervient le plus souvent (même si ce n'est pas dans tous les cas : #notallgods ?) dans un contexte de convoitise sexuelle de la part de divinités, entrelacs de passions jalouses et sans beaucoup de limites qui ne rechigne pas, bien au contraire, au viol pur et simple.

La germano-japonaise Yoko Tawada, dans son « Opium pour Ovide » de 2000, avait réécrit 22 de ces métamorphoses dans une perspective directement féminine – ou féministe, selon les situations, en exposant les ressorts patriarcaux les plus et les moins secrets, ainsi que les contenus émancipateurs que l'on pouvait y imaginer a contrario ou presque.

L'Américaine Nina MacLaughlin, avec ce « Sirène debout » de 2019 (son premier roman, après des dizaines de critiques littéraires et un essai remarqué), traduit en français en 2023 par luvan pour La Volte, se propose de rechanter Ovide d'une manière beaucoup plus frontale, en adoptant, directement ou indirectement, le mauvais côté du manche, et en nous offrant ainsi un formidable point de vue des vaincues et vaincus de ce qui s'est tramé dans ces transformations volontaires et involontaires.

Pour rendre justice à des personnages rendus aussi impopulaires par la vulgate patriarcale (ou la simple histoire écrite par les vainqueurs) que Méduse ou les Sirènes, l'autrice ne pouvait se contenter de rétablir les faits et de traquer les euphémismes d'Ovide (en appelant, chaque fois que nécessaire, un viol par son nom de viol) : bien que nécessaire, la tâche eut été laborieuse (et il ne s'agissait naturellement pas ici d'instruire le procès d'un poète et d'une société d'il y a 2 000 ans).

S'il y avait bien un enjeu capital autour des mots eux-mêmes, il y en avait au moins autant du côté de l'écriture à adopter pour cette parole reconstituée, déduite, imaginée ou recodée (pour pouvoir donc être rechantée). Il est donc particulièrement heureux que la traduction de cette verve bostonienne ait été confiée à luvan, dont on sait aussi bien les dons pour l'orfèvrerie linguistique multivariée (dont témoignent par exemple « Agrapha » et « Splines ») que sa sensibilité au décalage spatio-temporel potentiel inscrit au coeur des mythologies gréco-latines (dont son « Troie » nous donnait un magnifique échantillon).

Il n'est pas certain sinon que les changements de registre de langue, les sauts dialectaux, les variations autour de tel ou tel slang, les passages sans transition de la tragédie à la comédie, de l'humour (noir ou non) au gore presque insensé, ou même les discrets accents et échos de rap et d'indie rock bostoniens, nous seraient parvenus dans toute leur richesse et leur beauté fatale.

Dans son bel article pour Les Inrocks (à lire ici), Pauline le Gall évoquait à très juste titre la fiction-panier d'Ursula K. Le Guin, qui offre de la voix à celles et ceux qui n'en ont pas ou plus (concept que l'on détaillera prochainement sans doute en vous parlant de l'indispensable « le Futur au pluriel : réparer la science-fiction » de Ketty Steward, sur ce même blog), qui cherche le secondaire et l'ordinaire dans les ombres oubliées des Grands Héros célébrés, et qui redonne sa place, pour prendre un exemple parmi bien d'autres chez l'autrice des « Dépossédés », à Lavinia par rapport à Énée – et même à Tehanu par rapport à Ged.

Victoria Zhuang, dans la Harvard Review (ici), rappelle à juste titre les travaux de Madeline Miller (« circé », 2018) et de Pat Barkerle silence des vaincues », 2018) avec leurs indéniables colorations #metoo, en notant toutefois que Nina MacLaughlin propose une langue contemporaine infiniment plus riche et foisonnante que ses deux illustres consoeurs.

Lecture profondément réjouissante même lorsqu'elle évoque des situations, des crimes, des échappées et des vengeances qui ne le sont guère, « Sirène debout » s'affirme (malgré quelques très occasionnelles longueurs, comme dirait Penthée à ses risques et périls – du calme, Bacchus !) comme l'une des plus audacieuses et des plus réussies relectures contemporaines de ces mythologies qui irriguent toujours et autant, malgré les siècles qui passent, les consciences et les inconscients des dominant(e)s comme des dominé(e)s.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Nous connaissons tous plus ou moins la mythologie gréco-romaine mais nous oublions souvent à quel point les histoires qu'elle raconte peuvent être cruelles, d'autant plus vis-à-vis des femmes. Dans cette réécriture des Métamorphoses d'Ovide, l'autrice a choisi de remettre les femmes au coeur du récit, et de mettre en évidence les abus des dieux et des hommes, souvent de manière assez crue.

Évidemment, si l'autrice passe par le spectre de la mythologie, elle dénonce surtout des situations et des comportements qui, pour la plupart, se produisent malheureusement souvent dans notre société.

Il va s'en dire que ce livre n'est pas à mettre entre toutes les mains étant donné la quantité astronomique de trigger warnings qu'on y retrouve : viol, inceste, torture, mutilation, tout ou presque y passe dans ce recueil. La façon dont l'autrice aborde tout ces sujets sans détour est vraiment efficace mais ça reste évidemment assez dur à lire, surtout si l'on est plus ou moins sensibles à ces thématiques.

Je pense que la meilleure façon de lire ce recueil est de le picorer et de ne lire qu'une ou deux nouvelles par-ci, par-là. Pour ma part, j'ai plutôt enchainé le livre (sur 3-4 jours), et c'est vrai que ça peut vite devenir plombant tant les thématiques abordées sont lourdes et difficiles.

Malgré tout, j'ai beaucoup aimé cet ouvrage. Au-delà des thématiques, j'ai beaucoup aimé la façon dont l'autrice a revisité la mythologie, en mêlant vraiment les histoires originales à notre société actuelle. Elle utilise aussi diverses formes pour raconter ses histoires. Parmi ces formats qui sortent de l'ordinaire, on a par exemple des échanges de mails ou une séance de psychanalyse. Tout cela donne un texte extrêmement moderne, vraiment appréciable.

Concernant les textes qui m'ont le plus marqué, je citerais l'histoire de Myrrhas, extrêmement dérangeante, celle de Procne et Philomèle qui est franchement trash par moments, celle d'Iphis qui aborde le genre, l'homosexualité et la transidentité d'une manière très intéressante, et celle d'Eurydice qui parle de relations toxiques et de violences conjugales. Enfin, on peut aussi citer l'histoire de Baucis qui se démarque par le fait qu'il s'agisse de la seule histoire positive, et même assez douce, du recueil.

En tout cas, je ne peux que conseiller ce livre, mais gardez en mémoire que sa lecture n'est pas de tout repos, et qu'il faut être quand même assez armé pour le lire.
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Une réécriture de l'Antiquité. Oui, mais quelle réécriture ! Encore une fois, les éditions La Volte ne me déçoivent pas avec cette belle publication. Écrite par Nina MacLaughlin et brillamment traduite par Luvan, Sirène, debout est une réécriture moderne et féministe des Métamorphoses d'Ovide.

D'abord, il faut savoir que j'aime particulièrement Les métamorphoses, je les trouve magnifiquement écrites et puissantes par leur poésie. Pourtant, il est vrai que ce texte ancien est empreint de patriarcat et de culture du viol. Et oui, les mentalités n'étaient pas les mêmes. Pourtant, vous verrez que ce livre est criant de vérité sur nos sociétés. Sans effacer ces grands textes, je trouve qu'il est très pertinent d'en proposer des réécritures pour en faire une lecture éclairée. En ce sens, je trouve Sirène, debout très efficace !

Le livre est composé de divers petits textes qui reprennent les histoires de célèbres figures de l'Antiquité afin de proposer une relecture engagée. Les textes, par leur style, sont aussi très engageants ! En effet, l'écriture est tranchante et percutante. La langue moderne rend les histoires crédibles et crée un ancrage dans notre époque pour élaborer un pont entre l'ancien et le nouveau. Cela nous montre que, finalement, les problèmes d'hier sont encore ceux d'aujourd'hui même s'ils n'ont pas toujours le même visage.

Au dos du livre, il est écrit que Les métamorphoses est le "livre fétiche" de l'autrice et cela se voit ! Cet aspect est certainement mon préféré de l'ouvrage. Lorsque l'on a lu le texte originel, de multiples liens sont possibles et les personnages, bien que modernisés, ont de nombreux points communs avec ceux d'Ovide, les histoires sont respectées tout en amenant de l'originalité, les actes sont retranscrits avec honnêteté car, entre ses pages, un viol est un viol, non un caprice des dieux ou des héros.

En ouvrant ce livre, vous voyagerez entre l'Antiquité et le monde contemporain, vous entendrez chanter les survivantes et les absentes d'hier comme d'aujourd'hui, vous vivrez les métamorphoses car, sous vos yeux, les personnages et les écrits sont protéiformes pour donner à voir un monde où les violences, les inégalités et les injustices ont leurs victimes de prédilection. le chant est souvent utilisé dans les manifestations mais aussi dans les rituels pour donner vie, pour prendre le pouvoir avec les tripes et le coeur, c'est ce que fait l'autrice ici : elle donne la voix à celles qui n'en ont plus ou qui n'en ont jamais eu. Alors, tenez-vous prêt.e.s, avec une oreille attentive, à recevoir les témoignages de celles qui ont été muselées.
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Que dire… que dire…

De très beaux poèmes, discussions, contes et histoires ressortent de cette réécriture des Métamorphoses d'Ovide.
C'est un livre difficile à lire où les femmes sont noyées de souffrances et de peines.
Il y a des jours où j'ai posé le livre en ne lisant que quelques pages, qu'une seule nouvelle ou deux. C'est rude, vrai et triste. Il faut avoir le coeur bien accroché pour finir ce livre, ce n'est pas un roman que l'on dévore en quelques jours. Il faut du temps pour digérer chaque histoire, comprendre chaque femme et leur calvaire.

Merci à l'autrice d'avoir réécris les Métamorphoses dans les temps modernes et de nous montrer la place des femmes, si importante dans la mythologie grecque.
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critiques presse (2)
LesInrocks
12 juillet 2023
Avec “Sirène, debout – Ovide rechanté”, l’autrice américaine donne voix aux personnages des “Métamorphoses” longtemps condamnés au silence. Un exercice stimulant, plein de fougue et de vie.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
Actualitte
22 mai 2023
Parfois modernes, parfois antiques, avec douceur ou habitées par une colère dévorante, ces femmes s’expriment librement, sans filtre. Chaque récit de perte, de rage, de vengeance, et d’amour est exploré avec justesse – mettant à nu la violence qui sous-tend les mythes qui ont façonné notre présent. Et, cette fois, le point de vue féminin est le seul qui compte. Il enfle, gronde, explose. Il enveloppe, caresse, embrasse.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Pygmalion détestait les femmes. Il les trouvait répugnantes. Leurs voix, leurs rires, leurs cheveux. La façon dont elles suaient, sentaient, marchaient. « Vous êtes tellement mouillées, vous autres, femmes de Chypre, disait-il. C’est quoi, votre problème ? ». Personne ne lui a dit. Personne ne lui a expliqué ce qu’était l’humidité.
Pour que ça ne fasse pas mal
Parce qu’on aime ça
Une façon de dire prête
Une façon de dire encore
Un accueil
Un compliment
Une invitation
Entre les doigts, ça s’étale comme un rayon de lune, une luminescence, un mot : silm, la mouille
Sais-tu quelle chance ?
Sentir ça ?
D’une femme ?
Sur tes genoux
Les rivières, l’océan, la pluie, une larme répandue
Les rivières qui n’arrivent pas à la mer
L’océan absorbé, de nouveau, par la peau, vague d’eau salée sur le corps
La pluie avant qu’elle ne touche terre pour s’évaporer
Larme répandue sans tomber
Déviation moite
Mais ce n’est pas du tout comme de l’eau
Ça bouge mieux que du sang
Ça contient sa propre lumière et la lumière est un mystère
As-tu déjà roulé des pelles à une mangue ?
Tu le sens à l’intérieur des cuisses et tu ne te rends pas compte de la récompense que tu reçois ?
C’est une tout autre chose lorsque ça atteint les jambes
C’est quoi notre problème ? Il y a tant de choses qu’on désire
Et sinon on se noierait

« Vous êtes tellement mouillées, vous autres, femmes de Chypre », dégoût suintant de sa langue. Donc il s’en est taillée une sèche comme de la pierre. « Oooooh, tu es parfaite », roucoulait-il, bavait-il – elle est muette ! – tout en palpant sa poitrine d’ivoire. Il a arrimé des colliers à son cou, perles et joyaux entre ses seins. Il l’a placée dans son lit ; rigide ; sous les couvertures, il a chauffé la pierre. « Orteils froids », disait-il. Les femmes savaient qu’il détestait les femmes. Les femmes savent quand un homme les déteste. Ça se tapit dans ses sourires. Ça se tapit dans ses sourires de surprise chaque fois qu’une femme se révèle drôle, forte ou sage. Les hommes qui détestent les femmes s’en étonnent toujours. Pygmalion détestait les femmes et toutes les femmes savaient. Un homme qui déteste les femmes s’en construit une avec un cul juteux et des seins géants et pas de ventre et un visage étrange et vide et insensible.
Et lorsque Pygmalion a supplié Vénus d’en faire une vraie femme, et que Vénus l’a exaucé et mis du sang fluide dans son corps et lui a donné des seins qui s’écrabouillent quand on les presse, on s’est moquées d’elle, mais seulement parce qu’on voulait qu’elle sache.
Où sont tes vergetures ma chérie ?
Où sont tes rèèèèèèèèèèèèèèèèèèèègles ?
Où est ton rire ? Tu ne ris pas ?
Où est ton poil au téton ?
Où est ton pli de chair dans le dos ?
Où sont tes odeurs, ma chérie ? Tu ne sens rien, ma chérie ?
Où est la force dans tes jambes ?
Où sont les muscles dans tes épaules ?
Où est l’humidité ? Où sont les rivières, les océans, la pluie, la larme répandue ?
Où est ton affaissement ?
Où est ton pouvoir, ma chérie ?
Nous allons te le dire, ma chérie.
Il est en toi, ma chérie. Partout sur toi. Il remplir chacune de tes courbes, chacun de tes bourrelets. Trouve-le, ma chérie. Apprend à la connaître.
Ce n’est pas cet homme qui fait de toi ce que tu es.

Le temps l’a séparée de sa vie de statue. « Sens-moi ça ! » disait-elle en levant le bras. Qu’est-ce qu’on riait ! Bien joué, fille d’ivoire ! Tu pues ! Elle suait et suintait comme nous autres, chaque jour moins parfaite que le précédent. « Il n’y a rien de plus ennuyeux que la perfection ». Elle avait appris ! « Vraiment, c’est un mythe ». bravo ! On l’aimait de plus en plus. « Aimer un idéal, ce n’est pas de l’amour. Pyggy ne m’aime pas. Il aime un concept dans son cerveau. » Pyggy est un petit merdeux, elle le savait. « Nous sommes faites de désordre », disait-elle. Mais oui ma chérie. C’est exactement de ça dont nous sommes faites. (« Fille d’ivoire » – L’illustration « Pygmalion et Galatée » est de Jean-Léon Gérôme et date de 1890)
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Mais donc à la place ils ramènent un des prêtres de Bacchus. Et les types le montrent à Penthée et Penthée s’énerve, mais il demande quand même au prêtre ce qu’il trouve à Bacchus. Et là, le prêtre lui raconte une histoire à rallonge : avant, il était fermier, et orphelin, et comme il n’avait plus rien il est devenu marin, puis capitaine de vaisseau, et un jour il se retrouve sur une île quelconque et il voit Bacchus tout gamin et il est convaincu que c’est un dieu, mais le reste de l’équipage est en mode Euh, non, mec, c’est un jeune garçon canon, on pourrait en tirer un paquet de fric en le vendant. Et l’autre, le prêtre leur dit genre On ne peut pas vendre un dieu ! Et eux : C’est une jeune tapette canon en cavale et bien sûr qu’on peut le vendre. Et le gamin demande au prêtre de le transporter jusqu’à Thèbes et le type accepte parce qu’il décèle la lueur d’immortalité dans ses yeux. Mais ensuite il y a mutinerie et au lieu d’aller vers l’est en direction de Thèbes, l’équipage fait voile vers l’ouest, contrairement à l’ordre du capitaine et aux souhaits du petit sucre d’orge frisé à la peau de bébé présentement avachi sur le bastingage de poupe à contempler l’horizon.
C’est à ce moment-là, j’imagine, que Bacchus décide de révéler sa véritable nature. Et je le comprends. Genre Oh, vous me prenez pour un gamin lambda qu’on peut vendre comme esclave ? Vous me croyez inoffensif ? Laissez-moi vous montrer quelque chose. Moi, ça m’arrive quand quelqu’un est convaincu de je ne sais pas quel truc, que je n’ai pas la force d’ouvrir tel bocal, que je suis incapable de réparer l’essieu de ma charrette, de bander mon arc, ou quand ils me font sentir qu’ils en savent plus que moi. Je sens une rage m’envahir, un sentiment de puissance presque terrifiant, genre Vous savez quoi, je pourrai vous anéantir là, tout de suite. Je pourrais vous tourner autour et vous harceler de mots jusqu’à ce que vous ayez la tête qui tourne et l’impression d’être minable ? Ce serait pire que ce que vous venez de me faire. Genre, c’est vous qui me prenez de haut ? J’ai l’impression de grandir et de mesurer deux mètres et une armée de bestioles spectrales, griffues, poilues et sombres essaie de sortir de mon ventre pour bouffer la tête de cette personne qui croit en savoir plus que moi, ou avoir le droit de m’interrompre, ou que ses pensées sont plus importantes que les miennes. Sans vouloir généraliser, c’est souvent des hommes de plus de cinquante ans. Plus jeunes, parfois. Bref, je m’égare, encore, désolée. Je voulais juste dire que je comprenais que Bacchus s’énerve d’avoir été à ce point sous-estimé.
Et tu sais, il peut vraiment tout péter. Genre, ouais, fête, débauche, gnôle et tout le tintouin, mais c’est aussi un dieu de la destruction. Et donc les voilà tous sur le bateau qui sillonne la mer, s’élevant et tombant au gré des vagues, voguant dans la direction opposée à celle choisie par Bacchus, et le soleil brille et il y a des mouettes ici et là, et puis d’un seul coup, le bateau s’arrête. Mais pas les vagues. Ni le vent. Comme si le bateau avait lâché une trentaine d’ancres d’un coup et qu’elles avaient toutes heurté le sable en même temps. Il n’avance juste plus. En plein milieu de la mer. Alors les types sont en mode Oh zob, c’est quoi cette merde. Punaise, t’imagines à quel point ils ont dû avoir peur ? Genre tu es là, à voguer, portée par le vent et le courant, et d’un seul coup, splash, arrêt total. Purée, ça me donne la chair de poule rien que d’y penser. Et donc le bateau s’arrête et ils sont tous, genre, Merde, ils sentent que ça ne va pas du tout. Et là, l’un après l’autre, ils valdinguent par-dessus bord, leurs corps sont tordus dans tous les sens, ils se couvrent d’écailles et de nageoires et ils tombent à l’eau sous la forme de poissons. Ciao bye-bye.
Donc Penthée écoute cette histoire, que j’espère avoir racontée correctement, et il fait genre « Eh ben c’est l’histoire la plus longue et la plus ennuyeuse que j’ai jamais entendue et tu es vraiment débile et tu iras en prison ». Punaise, ce type est vraiment bouché, je te jure. Donc ses gars mettent le prêtre dans une cellule, et à ce qu’on dit, ses chaînes se brisent et le verrou cède, mais Penthée n’en a pas la moindre idée et il décide d’aller chercher Bacchus tout seul. (« Agavé »)
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Les traducteurs construisent les ponts. L’abîme entre les langues est un profond précipice de silence. Que pouvons-nous faire d’autre que de croire en la robustesse de ces ponts, en leur capacité à transporter le poids du sens d’un bord à l’autre du ravin ? Pourtant, tous ces ponts sont défaillants. Fentes et fissures car aucune langue ne saurait traverser jusqu’à une autre sans altération.
Et certains de ces ponts exilent le sens.
C’est là qu’habite mon histoire. Loin, arrachée à son pays. Je suis le pays de cette histoire. Après avoir été racontée par d’autres pendant des milliers d’années, après avoir traversé tous ces ponts, après des millénaires de mots fautifs en ayant égaré le sens et la vérité, je vais la raconter moi-même. L’histoire de la manière dont me sont venus mes serpents. Elle est courte.
Soyons spécifiques. Dans mes cheveux, on distinguait les couleurs suivantes : blé, cuivre et acajou. Ils cascadaient dans mon dos. Visualisez-les. Blé. Cuivre. Acajou.
Je mesurais tant et lorsque je disais aux gens je mesure tant ils rétorquaient toujours, tu as l’air tellement plus grande. J’étais de ces personnes qui donnent l’impression d’être plus grandes qu’elles ne le sont. Je me tenais droite et j’avais l’allure puissante. Je me rappelle mon apparence d’autrefois.
Un certain type de voix raconte mon histoire depuis un bon moment et une partie d’entre vous finit par y croire. En écoutant le récit de cette histoire, j’ai entendu les mots « empoignée et ravie ». J’ai entendu le mot « déflorée ». J’ai entendu les mots « rafler son amour ». Ces mots m’ont fait douter. Avais-je tort ? Peut-être n’était-ce pas si terrible ? Peut-être n’avais-je simplement pas été assez forte pour supporter la situation ?
« Raflé son amour ».
Cet euphémisme, ce raccourci, cet obscurcissement. Laissez-moi vous raconter. Neptune, à l’odeur de pourriture vaseuse et insane de marée basse, m’a forcée dans le temple de Minerve. Il a empoigné ma chevelure et l’a tirée si fort que j’ai crié. Les mots pour désigner ce qui s’est produit ensuite ne sont pas « empoignée et ravie ». Ni « déflorée ». Et certainement pas « raflé son amour ». Le mot est forcer. Le mot est violence. Violation. Forcer. Chaos. Forcer. Violation. Viol. Viol. Viol. Viol. Viol. Disons ce que c’était. Il a mis son corps là où je ne voulais pas son corps. C’est à cet instant que j’ai été amputée de moi-même.
Minerve est restée plantée là, elle s’est caché les yeux, elle ne m’a pas aidée. Intouchable, au-dessus de tout, elle s’est indignée qu’une telle chose se produise dans son antre sacré. Une telle profanation. Pourtant, elle n’en a pas voulu à Neptune. Il est retourné gouverner les océans. Indemne. Impuni. Sa vie a repris son cours. C’est moi que Minerve a punie. Au début, ça tirait, ça pinçait tout le long de mon cuir chevelu, comme si un poing massif m’avait attrapé les cheveux et les tirait. Mes mèches, leurs couleurs chatoyantes, leur robustesse, toute ma chevelure s’est condensée, torsadée, tordue. J’ai posé une main sur ma tête et l’ai retirée aussitôt. À la place de mes cheveux se tortillaient et sifflaient dorénavant de musculeuses créatures couvertes d’écailles et dotées d’yeux embrasés. Les serpents ont poussé de mon cuir chevelu comme une épaisse vigne carnivore s’élevant du sol riche et charnu de ma moelle crânienne. Je suis devenue une calamité à la tête serpentueuse. (« Méduse » – L’illustration est de Vassili Kotarbinsky et date de 1903)
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Nous sommes ses sœurs. Tu aides tes sœurs. Tu vois une de tes sœurs en galère dans la rue, tu traverses la chaussée et tu dis « Tout baigne, copine ? ». Et si tout ne baigne pas, tu fais ce que tu peux pour l’aider. Ce monde est rempli de galères. Si tu n’en as jamais eues, tu as du bol.
Et donc à l’époque on a aidé Syrinx, et maintenant aussi parce qu’elle préfère qu’on parle à sa place vu qu’elle déteste le son de sa voix, son timbre douloureux de corne de brume essoufflée. Tu connais ce son. Tu as vu le gars dans le parc avec sa tunique de laine, adossé à un bâtiment, un chapeau plein de pièces à ses pieds, en train de souffler dans sa flûte de pan. Et bien le vrai nom de cette flûte de pan, c’est Syrinx.
Nous autres, nymphes de la rivière, on s’épaule et on dit la vérité et on monte la garde. On avait vu comment se comportait Pan dans la forêt. Dieu cornu des pâtures et des bêtes, des chevriers, de tous les fauves solitaires, il passait son temps à reluquer les nymphes. Un dieu sordide. Homme à partir des hanches, avec ses boucles couleur citrouille et sa barbe touffue, qui sait ce qui grouillait là-dedans, des pupilles oranges, bouc sous la ceinture, avec des jambes couvertes d’une épaisse fourrure qui laissaient des traces de sabot partout dans les bois, il suivait sa trique grasse comme une boussole.
Il a aperçu Syrinx, une vierge pure et dure décidée à le rester, c’est son choix. Elle s’était vouée à Diane. Pareil : son choix. On les confondait tout le temps, d’ailleurs. Leur principale différence, c’était leur arc – celui de Diane est en or, celui de Syrinx en bois – mais tu sais que tu es sublime quand on te prend pour une déesse.
Et donc Pan la voit et ça le rend dingue et il la suit à travers bois en lui disant les trucs dégueulasses habituels et elle l’ignore, continue son chemin, fait semblant d’être sourde comme on l’a toutes fait, même si on entend très bien ce qu’on nous dit, même si on l’entend encore le soir quand on essaie de dormir, et la semaine suivante quand on s’énerve contre ses chaussettes parce qu’on n’arrive pas à les enfiler ou contre le temps qu’il fait ce jour-là, genre c’est complètement débile, il suffit qu’un type assis sur un escalier te dise Tu devrais te couvrir ce soir, il va faire froid pour que tu te demandes si tu arriveras indemne à destination. Genre, pour une raison absurde, mets un pull en plus n’est rien d’autre qu’une menace. Genre tu ne peux pas te promener sans qu’un type lambda s’immisce dans ta journée. Dans ton espace mental et dans ton espace tout court. Comme si les mecs en étaient les propriétaires. Et certains jours, le coup des oreilles sourdes fonctionne, parfois le fais-moi un petit sourire, chérie se dissout dans le bruit blanc de l’après-midi, au même titre que la chèvre qu’on égorge ou le brouhaha du marché. Mais certains jours, ça ne fonctionne pas. Certains jours, c’est plus que du bruit, ça s’accroche et se répercute contre les parois de ton esprit, avec le reste des commentaires, des gestes, des moments, le chœur pitoyable de bruits non consentis qui t’ont confrontée, d’une manière on ne peut plus réelle, à la question : Va-t-on me tuer ? Ma vie va-t-elle s’arrêter comme ça ? Dans le sexe et la terreur et la menace. Fuck. Parfois c’est juste trop. C’est pour ça qu’il faut avoir des sœurs. C’est pour ça qu’il faut avoir une équipe. (« Syrinx »)
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Et Neptune, en taureau, Neptune en bélier, en étalon, en oiseau, en Daunhin, occupé à nous piéger, nous autres ici-bas. Tous ces mensonges. Tout ce pouvoir exercé sur le peuple. Un pouvoir né de strates et de strates de mensonges. Et Phébus en aigle, en lion, en berger. Phébus qui ment. qui piège, qui baise. Et tous ces dieux, tous ces êtres immortels. Ils ne sont jamais rattrapés par les remords. IIs n'ont pas peur de faire des erreurs parce qu'ils ne sont jamais confrontés aux conséquences de leurs actes. Jamais coupables, jamais punis. Je vous ai tous montrés. J'ai montré tous vos crimes. Je vous ai tous montrés criminels. Et pourtant, c'est nous qui payons. Comment ça se fait? Vous tuez. Vous violez. Vous agressez. Et c'est nous qui tombons. Pourquoi suis-je la seule à le dire? Voici les noms de celles qui sont tombées. Europe, Astérie, Léda, Antiope, Alcmène, Danaé, Egine, Mnémosyne, Proserpine, la fille de Bisaltès, la fille d'Éole, Méduse, Mélantho, Erigone et tant d'autres encore. Abattues à l'âge de l'innocence. J'ai montré la vérité.
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