Le plus russe des auteurs français, prix Goncourt et prix Médicis 1995 pour
le testament français, fait entendre dans notre langue magnifiée l'imaginaire d'une enfance russe. Evidemment pour ces trois copains, Juan, Samouraï et Outkine, l'amour et les femmes fantasmées arrivent en premier dans leurs préoccupations. En toile de fond, surgit l'image de ce grand balancier de l'histoire qui broie l'homme et la femme russes (celles-ci sont très présentes dans les romans de
Makine et il y a toujours une femme qui attend un homme qui ne reviendra jamais, disparu sans laisser de trace).
Juan raconte. Il est présenté comme le beau garçon qui aura du succès auprès des femmes. le livre commence par un récit qu'il envoie à la demande d'Outkine, devenu écrivain à New-York, afin de fournir la matière qui lui fait défaut. Suite à un accident dans le fleuve glacé Outkine a une jambe mutilée et une épaule déformée. le troisième est Samouraï, « Malgré ses allures de caïd villageois, il était un être assez sensible. »
Ces trois garçons ne parlent pas de leurs parents. La mère d'Outkine est évoquée mais il n'est pas question du père. Samouraï vit avec la vieille Olga qui leur lit des romans en français et leur parle de littérature, son surnom lui va bien car, après une agression, il n'a de cesse de cultiver son corps, sa force afin de se défendre. Pas d'autres parents... Est-ce que
Andreï Makine évoque ses parents et l'orphelin qu'il a été à travers la narration de Juan ?
Je relis ce livre d'initiation et il me fait encore rêver. Avec les années, d'autres aspects jaillissent que je n'avais pas vus ou qui prennent une nouvelle signification au vu des évènements actuels. Je trouve le titre sublime avec le fleuve Amour, dans ces contrées proches de l'Extrême-Orient.
Au temps du fleuve Amour, aux couleurs d'un passé fantasmé, jeunesse irrémédiablement perdue, avec ses baignades dans le fleuve gelé, son soleil qui réchauffe les corps juvéniles « ... dans un étrange univers sans femmes. », avec l'écriture magnifique de cet auteur qui lui a valu une reconnaissance rapide en France.
J'adore les passages de bains et de sauna dans l'isba près du fleuve. L'écriture de
Makine déploie toute sa beauté, sa poésie, ses images. Cela commence ainsi : « Nous avons pris l'habitude, cet hiver-là, d'aller aux bains ensemble, Samouraï et moi... » Juan, 14 ans à l'époque, raconte les bains dans l'isba abandonnée, le poêle chauffant la pièce de rondins, l'eau sur les pierres, la vapeur : « Samouraï puisait une louche et aspergeait les cailloux. Un sifflement coléreux était un bon signe. »
Dans une deuxième partie, les trois amis découvrent l'Occident à travers les films de Belmondo. On sent dans ce livre l'isolement de ces contrées, le rêve transporté par le transsibérien, image de la fascination pour l'Occident, un eldorado perdu. J'ai choisi ce roman, écrit en 1994, juste avant
le testament français, pour ce qu'il révèle de l'auteur et pour les thèmes qui hanteront toute l'oeuvre de
Makine.
La fascination apparaît démesurée, dit quelque chose du grand balancier, de son lot de tragédies, de morts innocents. Des femmes attendront encore sur les quais de gares des retours impossibles.
Andreï Makine est membre de l'Académie française depuis 2016. Il est né en 1957 à Krasnoïarsk en Sibérie. Il a passé son enfance et son adolescence dans un orphelinat (parents disparus ?). Selon wikipedia, dès l'âge de quatre ans, il devient bilingue grâce à une vieille dame française qui s'occupe de lui ; elle est nommée Charlotte Lemonnier et présentée comme la grand-mère du narrateur dans le roman d'autofiction
le Testament français. Selon de nombreuses autres sources on peut lire que c'est sa grand-mère d'origine française qui l'initie à la littérature. C'est un élève brillant qui a étudié le français depuis l'école primaire. Boursier, il rédige une thèse de doctorat sur la littérature française à l'Université de Moscou. En 1987, un poste d'assistant de russe dans un lycée parisien l'amène en France, où il restera clandestinement. Son oeuvre est polyphonique. S'il se dévoile dans ses romans, c'est par petites touches, bien caché derrière des personnages composites. Il reste à l'écart du monde littéraire et passe peu dans les médias. Il faut revoir son passage à La grande librairie pour son livre
Au-delà des frontières. Il prend les commandes du show médiatique devant un
François Busnel décontenancé. Il est sorti dernièrement de sa réserve pour parler de la guerre d'Ukraine, avec une certaine confusion et beaucoup de déchirement, lui qui exprime à travers ses livres un désir cosmopolite d'une Europe des lettres, de la culture et de la paix.
Quand il daigne répondre aux questions, il renvoie à ses livres censés tout dire mais les masques entourent le lecteur qui ne sait lequel est le plus fidèle à l'écrivain. On est dans
le mentir vrai d'
Aragon. Il donne ainsi de nombreuses pistes de réflexion à la place de certitudes que le grand balancier de l'histoire a balayées. le roman c'est cela, ouvrir les possibles, permettre au lecteur de se faire sa propre opinion, loin d'une argumentation conduisant à une conclusion unique, définitive. Oh, il s'y est bien essayé au moins une fois avec un essai étonnant
Cette France qu'on oublie d'aimer, essai désolant pour moi tellement il est loin de la qualité de son oeuvre romanesque. Un masque de plus ajouté ou bien retiré. Je ne sais toujours pas alors que les livres de cet auteur singulier peuplent une petite étagère de ma bibliothèque, fasciné que je suis par ces contrées lointaines, par ce balancier de l'histoire, par ces femmes attendant des hommes qui ne reviendront jamais... Je conseille de lire ce roman, pour les images et réflexions qu'il suscite, à hauteur de ces jeunes épris de rêves et pour la belle écriture d'
Andreï Makine.
Avez-vous lu des romans de cet auteur ? Ressentez-vous comme moi son côté énigmatique ?
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