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EAN : 9782228931120
272 pages
Payot et Rivages (31/08/2022)
3.88/5   12 notes
Résumé :
Comment les femmes ont-elles été rayées de l’histoire littéraire ? Une enquête révoltante qui donne à découvrir des textes injustement oubliés du matrimoine.
Que lire après La revanche des autrices : Enquête sur l'invisibilisation des femmes en littératureVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Elles s'appellent Héloïse, Louise, Christine, Marie-Madeleine, Aurore, Sidonie, Germaine, Louise encore, Marie, Marguerite, Madeleine, Olympe, Antoinette. Elles ont écrit des poèmes, des manifestes, inventé le roman moderne, publié de leur vivant des best-sellers comme on ne disait pas de leur temps, été rééditées tellement leurs oeuvres avaient de succès, cartonnaient dirait-on aujourd'hui, certaines étaient même traduites en plusieurs langues. Elles sont veuves, célibataires ou divorcées, elles cherchent à s'émanciper des tutelles masculines qui subordonnent les femmes, et elles vivent de leur plume comme les hommes. Qu'à cela ne tienne, à part quelques incontournables qui surnagent, la postérité a oublié leur nom. Bien aidée, la postérité, par le torpillage masculin de leur talent et de leur héritage. Selon plusieurs techniques et coups bas, comme ils savent en commettre.

La moquerie d'abord : "Précieuses (ridicules)", "femmes savantes" (Molière), ou "bluestockings" (les anglais), traduit par bas-bleus en français, les qualificatifs ridicules et péjoratifs ne manquent pas pour moquer les autrices.
L'omission dans les anthologies et les académies qui attribuent des prix littéraires, composées par de savants littérateurs se piquant de différencier le bon du mauvais goût, le génie du médiocre, le bon grain de l'ivraie, est le premier stade de l'effacement, le génie étant apanage masculin, avec en second l'attribution de l'oeuvre d'une femme à un homme. Comme si une anthologie n'était pas subjective, et le bon goût, juste le (mauvais ?) goût que quelqu'un (et d'une époque) qui se pousse du col et distribue des médailles. Les autrices femmes ont été systématiquement écartées des anthologies et des manuels scolaires, tous écrits par des hommes, bien sûr. le Lagarde et Michard qu'on ne présente plus, en prend pour son grade. Que dire De l'Académie Française, ce bastion resté longtemps hostile à la pénétration des autrices ? Même pensum du côté des Prix littéraires dont les récompenses vont toujours majoritairement aux auteurs hommes quand bien même la production de littérature serait devenue paritaire, ainsi que l'élection du public lecteur. A tel point que le Prix Femina (jury féminin, attribuant ses prix indifféremment à l'un ou l'autre sexe) est créé en 1904 pour contrebalancer le prestigieux mais misogyne Goncourt, sélectionnant et récompensant toujours des hommes.

Echappent au sort commun Louise Labé, Marie-Madeleine Pioche Lavergne dite Madame de Lafayette du nom de son époux, Sidonie-Gabrielle Colette (dont l'oeuvre était usurpée par son mari Willy, seul signataire, à ses débuts), Olympe de Gouge et George Sand née Aurore Dupin, qui choisit, elle, de publier sous un pseudonyme à prénom d'homme, autre façon de s'effacer en tant qu'autrice, de s'auto-invisibiliser, l'environnement étant supposé à raison défavorable. Elles sont toutes désormais consacrées dans et par les programmes scolaires. Ne pas signer ses oeuvres est un autre moyen de s'auto-annuler. Les autrices signaient peu leurs oeuvres, hélas. Il est ainsi plus facile de les attribuer à un mâle de leur entourage, au motif qu'il est impensable qu'une femme puisse produire de tels chefs-d'oeuvre. Ainsi se moque la postérité.

Le musellement, l'étouffement, sous le qualificatif de "muse de" est aussi une autre bonne façon de faire taire l'artiste ou l'autrice. Une muse se contente d'inspirer, elle ne dit rien, ne produit rien. Or, la plupart de celles qu'on nous présente aujourd'hui comme "muses" ont leur production d'oeuvres en propre. Marie de Gournay, éditrice de Montaigne et écrivaine elle-même, illustre bien ce statut. Epouse de, soeur de, amante de, combien d'autrices ont-elles subi le sort de l'effacement, du pillage de leurs oeuvres par un homme, cancelisées, annulées, leur auctorialité déniée. L'ouvrage regorge d'exemples de femmes plagiées, dépouillées de leur statut d'autrice au profit d'hommes de leur entourage.

L'autodafé est aussi un efficace moyen d'effacer une autrice : la correspondance de Flaubert avec Louise Colet, autrice prolifique du XIXè siècle de récits de voyage, de romans autofictionnels, de manifestes protestataires et féministes, reconnue, éditée, mieux, traduite, n'est constituée que des lettres de Flaubert à Louise, les lettres de Louise ayant été brûlées un soir par Gustave Flaubert lui-même, avec l'aide De Maupassant, Gustave ne voulant pas laisser à la postérité une 'correspondance trop intime', vu que Louise était accessoirement son amante. Notez qu'il ne vient pas à l'idée de Gustave de brûler ses propres lettres au nom de la préservation de son intimité ! L'enfer des femmes est pavé des bonnes intentions, ou des intentions hypocrites des hommes. La misogynie de l'époque fait le reste. Pour des ressources sur Louise Colet : lien vers Louise, fière de lettres, sur le site numérique de la BNF.

La postérité des autrices.
Grâce au travail d'exhumation des féministes, qui n'hésitent d'ailleurs pas à retourner le stigmate (bas-bleu par exemple, ou pétroleuses, qu'elles s'attribuent à elles-mêmes), grâce au cinéma, à ses metteuses en scène et scénaristes, grâce aux femmes autrices qui leur consacrent des biographies, grâce aux réseaux numériques sociaux et leur hashtags #herstory, #womensart, autrices invisibilisées, compte Twitter administré par Julien Marsay, Les Sans Pages pour Wikipedia, cette encyclopédie numérique à la testostérone, bien d'autres ; grâce également à des sites internet spécialisés, elles sortent de l'ombre et prennent leur revanche. Et grâce à ce louable livre-enquête, écrit par Julien Marsay, professeur de lettres modernes, voulu pour donner des outils et des ressources aux professeur-es de littérature et de philosophie. N'hésitez pas à vous en emparer, à vous en inspirer si vous êtes professeure, il est bourré de ressources, enrichi de longues citations des autrices évoquées, et sa lecture fait du bien.
Lien : https://hypathie.blogspot.co..
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Je vais partir d'un constat personnel : mon fils était en CE2 l'année dernière. Comme tout enfant de cet âge là, il n'échappait pas aux poésies à apprendre pour son plus grand bonheur.

Une poésie par mois. Et une seule femme au programme sur toute l'année scolaire… diantre, la poésie serait-elle l'apanage des hommes ?

Bien sûr que non, mais tout un tas de mécanismes invisibilise les femmes et ce brillant livre de Julien Marsay nous explique le pourquoi du comment.

Comment les femmes ont été empêchées d'écrire car cela n'était pas dans leur nature, comment elles ont été vilipendées sur la place publique lorsqu'elles osaient franchir le pas. Puis comment le plagiat, l'appropriation et l'oubli sont entrés en ligne de compte.

Bien évidemment, certaines ont réussi, malgré tout, envers et contre tout, mais pour une George Sand mise en avant ou une Colette, combien d'autres sont tombées dans les oubliettes, victimes de processus sournois.

À travers les pages (avec, cerise sur le gâteau, une mise en forme aérée et agréable) ce sont des mécanismes mais aussi des noms d'autrices, de poétesses qui se retrouvent dans la lumière.

Ce livre se découvre, avec un stylo à la main et une page blanche pour noter des titres et des autrices à découvrir car il importe que chacun et chacune, s'approprie cet héritage littéraire, que l'on cesse de prétendre que ce qu'on écrit les femmes n'aurait qu'une valeur moindre.
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Un essai qui détaille les portraits d'autrices qui auraient pu et du figurer dans la liste des classiques de la littérature française, et les raisons et mécanismes en oeuvre pour finalement les invisibiliser.

Des procès faits aux femmes de lettres qui feraient mieux de se mêler de leurs affaires de bonnes femmes (on pensera par exemple au traitement des Précieuses ou des Bas-bleus), aux attaques ad-personam des autrices (il est tellement plus facile d'attaquer la vertu d'une femme que la qualité de ses écrits), des diatribes expliquant que telle ou telle autrice n'a forcément pas écrit ses mots mais est le prête-nom d'un homme, aux femmes qui se cachent derrière des pseudonymes d'hommes pour pouvoir écrire… le tableau n'est pas reluisant ! L'essai revient sur ces mécanismes misogynes qui expliquent qu'aujourd'hui encore, on retrouve bien peu d'autrices au programme de l'Education Nationale.

J'aurais probablement préféré, pour ma part, un peu moins de portraits d'autrices (au bout d'un moment, je l'avoue, je les mélange toutes) et une analyse plus poussée et sociologique des mécanismes d'invisibilisation – on sent que l'auteur est parti de ses portraits pour en tirer des cohérences thématiques, mais il en ressort un aspect un poil fouillis, il y a beaucoup d'aller-retours et le propos se perd légèrement.

Mais si vous recherchez des références classiques d'écrits féminins, si vous cherchez un matrimoine littéraire, ce livre cite bien des autrices et oeuvres qui pourraient vous contenter. On ressent une grande érudition et passion chez l'auteur et l'ensemble reste très intéressant et éclairant.
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C'est le deuxième essai que je finis sur la place des autrices dans la littérature et je suis toujours aussi abasourdie par tout ce qu'on ne nous apprend pas dans notre parcours scolaire.
Étant en Terminale, je peux citer grâce aux doigts d'une main, sans tous les utiliser, les autrices que j'ai pu voir durant mes cours de français.

Ce livre m'a tant passionnée que je n'ai pas arrêté de prendre des notes au fil de ma lecture.
Sans vous gâcher le plaisir de découvrir par vous-même ces autrices malheureusement effacées de l'histoire littéraire, je vous partage mon avis global.

Tout d'abord, la première partie de l'essai présente de manière chronologique ces autrices invisibilisées en passant par les béguines du Moyen- Âge, les Précieuses du XVIIe siècle, le fameux siècle des Lumières, pour enfin finir par le XIXe siècle.
Qu'elle ne fut pas ma surprise de découvrir que les Précieuses ont été largement caricaturées par ce fameux langage rempli de métaphore et de périphrases qu'elles ont en réalité peu, voire pas du tout utilisé. Je précise tout de même qu'encore aujourd'hui, cette caricature de ces femmes si cultivées se perpétue dans l'enseignement secondaire !
Même si l'auteur précise que cet essai n'est pas une anthologie et qu'il n'a donc pas y mettre toutes les autrices laissées de côté, je suis plus que reconnaissante d'avoir découvert ces poétesses/autrices/dramaturges/pionnières du féminisme/défenseuses du droit à l'éducation pour les femmes, ou encore leur répondant face à la violence de la misogynie.

Par ailleurs, nous découvrons, dans un second temps, tout ce qui a contribué à effacer les autrices.
C'est tout simplement fascinant à quel point une autrice peut être discréditée du simple fait qu'on la traite d'hystérique. de plus, la domination du masculin dans les institutions comme l'Académie française et dans l'élaboration de l'histoire littéraire est clé pour comprendre ce phénomène d'invisibilisation. Cependant, cet oubli des autrices est aussi marqué par un camouflage derrière un mari, un père, un frère, qui sont jugés plus légitimes d'être gardés en mémoire !

Enfin, tout cela pour dire que si vous aimez la littérature et que vous désirez remettre les autrices au centre de l'attention, louer leur plume et leur combat, alors ce livre est fait pour vous !
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J'ai un peu hésité entre 4 et 5 étoiles parce que forcément, ce livre attire la comparaison avec l'excellent Les Grandes Oubliées de Titiou Lecoq, mais il mérite bien ses 5 étoiles (d'ailleurs les 2 lectures sont parfaitement complémentaires, même si la seconde est un chouïa plus facile à lire à mon goût).

Le propos se répète parfois un peu, mais c'est un essai très accessible et éclairant sur les mécanismes volontaires et assumés qui ont conduit à la censure de tant d'autrices françaises. Je n'ai retenu que bien peu des exemples cités (ils sont très nombreux et ça fait plaisir de savoir que OUI, il y a une quantité folle de femmes qui ont écrit tout au long des siècles), donc j'y reviendrai ponctuellement, mais même sans ça c'est un livre que je suis contente d'avoir dans ma bibliothèque (et d'avoir lu, surtout).

J'ai vraiment eu l'impression, après ma lecture, qu'on m'a volé une partie de l'héritage littéraire auquel j'aurais dû (nous aurions tous et toutes avoir dû !) bénéficier pendant mes années collège et lycée : l'auteur le dit très bien, l'idée reçue selon laquelle ajouter plus d'autrices au programme reviendrait à surreprésenter les femmes est complètement fausse. Il n'y a qu'à voir le nombre d'exemples cités pour comprendre que les femmes ont toujours représenté une énorme part de la production littéraire.

Comme avec Titiou Lecoq, je réalise que le mythe de la "femme empêchée" (d'écrire, ici) est un énorme tas d'idiotie, et si c'était déjà une idée révoltante, la vérité est mille fois pire. Elles ont consciemment et volontairement été effacées des mémoires.

Un essai indispensable. En tant qu'autrice, je ne vois pas comment j'aurais pu ne pas le lire, mais homme ou femme, peu importe, c'est un savoir capital parce que le matrimoine littéraire qu'on nous a volé nous appartient à toutes et tous (vraiment, je vais pas m'en remettre, de tous ces grands auteurs qui ont volé les idées et les textes des femmes, sans compter ceux qui les ont juste raillées ou effacées... bref ça me fout en boule cette histoire). À lire absolument !
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
L'un des écueils des va-t-en-guerre actuels contre ladite cancel culture est peut-être, dans leur argumentaire, d'omettre qui dans l'Histoire a réellement été victime de ce qu'ils dénoncent : pas celles et ceux de leur camp. Les autrices invisibilisées, elles, portent dans leur histoire ce grain du scandale de l'annulation pure et simple.
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« La revanche des autrices ! » par Julien Marsay SQOOL TV
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