La lecture commune de février 2017 est pour moi l'occasion de découvrir cette auteure dont
Un goût de cannelle et d'espoir est le premier roman publié en France en 2014.
L'Histoire, avec un grand H, y est abordée par des points de vues intimes et quotidiens et c'est ce qui m'a attirée au premier abord pour participer à cette proposition babélienne. Et puis, comme beaucoup d'entre nous, j'avais envie de pénétrer dans le foyer d'une famille lambda acquise aux idéaux du Troisième Reich, ayant surtout lu des témoignages sur la Shoah, la résistance, etc.
Enfin, le parallèle entre l'antisémitisme allemand et la politique anti-migratoire des États-Unis à l'encontre du Mexique révèle des similitudes qui sont autant de pistes de réflexions, tant dans les dérives que dans les interrogations de ceux qui y sont confrontés.
C'est une lecture dans laquelle on entre facilement grâce à une écriture efficace et entrainante. La narration en miroir entre l'Allemagne de 1944 et le Texas de 2007 dévoile peu à peu deux portraits principaux de femmes, puis des portraits secondaires d'hommes et de femmes, et deux pans d'Histoire. Des retours en arrière précisent les éclairages sur certains personnages et résolvent les moments de suspense et les zones d'ombres qui ont précédemment intrigué ou tenu en haleine le lecteur ; des échanges de lettres et de mails entre soeurs font liens et mettent en relief la focalisation féminine.
Les personnages sont attachants dans leurs questionnements face aux devoirs à remplir ; ainsi l'officier SS contraint d'arrêter son ancien professeur juif et le policier texan dont le travail consiste à appréhender les immigrés clandestins sont confrontés à des actes qui leur incombent et les dépassent en même temps.
Pour la famille allemande, les juifs étaient d'abord des voisins, des commerçants côtoyés tous les jours et, presque du jour au lendemain, soudain devenus des monstres responsables de tous les maux. Mais il valait mieux être bien vu par la Gestapo, participer à l'effort national et être un bon patriote : quelle fierté, pour une jeune femme, d'être distinguée pour donner naissance à de vrais aryens dans les Levensborn ou d'être demandée en mariage par un officier SS ! Quel orgueil pour un jeune homme de servir dans l'armée de son pays ! Mais de sombres pensées viennent pourtant les assaillir en secret : que deviennent les enfants qui ne remplissent pas les critères ethniques ? À quelle femme juive a d'abord appartenu la bague de fiançailles gravée en hébreu ? La violence aveugle contre les femmes et les enfants juifs se justifie-elle ? Comment juger les agissements de ces jeunes qui n'avaient connu que l'endoctrinement des jeunesses hitlériennes ?
La famille du garde-frontière américain est d'origine mexicaine, mais elle est entrée aux Etats-Unis légalement en respectant toutes les longues procédures. C'est important pour lui de faire appliquer la loi qui doit être la même pour tous. Mais que faire quand les délinquants sont des femmes et des enfants ?
La journaliste américaine est habituée à mener des interviews, à diriger des discussions et à faire parler les gens même à leur insu ; pourtant elle va se laisser prendre à une sorte de jeu de la vérité qui va l'entrainer dans un échange et des confidences qu'elle était à cent lieux d'imaginer en préparant son article sur le noël allemand. Ce sera l'occasion de réfléchir sur sa vie et ses choix et de faire la paix avec son passé, notamment avec la mort de son père, vétéran traumatisé d'une autre guerre.
La question des enfants met en relief l'injustice des guerres et l'horreur des crimes contre l'humanité et de toutes les formes de répression et de rejet : les enfants euthanasiés au Levensborn, l'enfant juif en fuite et le petit mexicain abattu sont des victimes bien semblables malgré la soixantaine d'années qui les séparent et les destins différents, des vies trop vite brisées au sauvetage inespéré.
Ce roman véhicule, comme l'indique le titre, un message d'espoir distillé comme la cannelle qui parfume les gâteaux de la boulangerie. La vie est plus forte que tout, malgré les difficultés et toutes les époques troublées ont leurs monstres, leurs héros et une multitude d'anonymes qui font pour le mieux avec leurs faibles moyens.
Un goût de cannelle et d'espoir se termine avec les recettes des spécialités évoqués au cours du récit, comme pour nous transmettre non seulement une expérience de lecture mais aussi un véritable goût pour les choses simples du quotidien et la saveur du bonheur.
Un bon moment de lecture.