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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Embarquons de manière clandestine pour être bercés, ballotés, au gré des flots du discours, du Roman Océan. Il y a des temps d'accalmie et des tempêtes, et nous passons des heures et des heures, des jours et des jours, des semaines et des semaines, en compagnie de l'équipage, pour rire avec eux ( je ne m'attendais pas à rire autant !), apprécier les envolées lyriques ou métaphysiques, et nous affrontons les tempêtes, les considérations techniques, si nécessaires, pour une immersion totale, au risque que les mots s'infiltrent dans nos poumons, et que nous périssions noyés, asphyxiés, au risque d'être engloutis dans la gueule du monstre littéraire : Moby Dick.

Melville s'inscrit dans la tradition des récits de voyage maritimes, il se situe dans la lignée des grands explorateurs qui mettent les voiles vers l'inconnu, à l'aventure, advienne que pourra, en quête d'absolu. Embarquer, c'est se laisser porter par le destin, parce qu'on jette à la mer les instruments si nécessaire à la navigation, qu'on laisse derrière nous tout ce qui relève du rationnel, pour écouter son intuition, pour être à même de retrouver Moby Dick, qui chemine en profondeur, selon les courants de l'océan, qui demeurent insondables à l'oeil.

Les Aventures d'Arthur Gordon Pym de Nantucket (je souligne Nantucket), d'Edgar Allan Poe ; Coleridge, avec, le Dit du Vieux Marin, ont peut-être inspiré Melville, contribué à la rédaction du chef d'oeuvre, au mythe fondateur de la littérature américaine. Nous y retrouvons la vie à bord bien sûr mais au-delà, il y a l'allégorie chrétienne chez Coleridge ; l'albatros et le cachalot, blancs, étant les symboles par excellence, de l'aveuglement des hommes, et de la malédiction qui pèse sur eux.

Moby Dick, c'est l'incommensurable, l'inaccessible, et ce qui m'a le plus interpellé,c'est que le cachalot "n'a pas de visage". Ainsi, on le pourchasse tout au long du roman, on essaie de le repérer, de le capturer, de le harponner, mais les aspirations humaines, même les plus téméraires, même les plus sublimes, restent vaines. le mystère reste entier, parce qu'il est soigneusement entretenu tout au long du roman, et on ressort de ce roman avec une blessure, une marque indélébile, une cicatrice, comme si on avait été touché par la foudre ; et il nous manque toujours ce quelque chose, comme si on était amputé, alors même qu'on porte toujours avec nous ce membre fantôme qu'est Moby Dick.
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Un fait totalement paradoxal m'a frappé durant ma lecture de Moby Dick : je fus à la fois enchantée, désireuse d'aller plus loin, de découvrir les pages de merveilles océaniques et philosophiques qui m'attendaient furieusement, et en même temps, l'ennui m'a asphyxié à de nombreuses reprises, me donnant presque l'envie d'arrêter la lecture sur le champ et de ne plus jamais y revenir. Je fus à la fois ravie et déçue. du contentement et du regret ; de l'envoûtement et de la lassitude.
J'essaie d'être honnête : je pourrais tromper la réalité, dire que j'ai adoré ce chef-d'oeuvre incroyable, que j'en suis restée abasourdie, nue, sidérée. Que rien d'aussi beau ne m'avait été donné à lire depuis longtemps. Mais ce serait mentir. Pour dire vrai (chose pas si facile que cela), je suis d'abord transportée, puis enthousiaste, ensuite impatiente, peu après ennuyée, et assez vite déçue, enfin ravivée, de nouveau lasse, étonnamment attentive, et finalement émue. Je ne sais donc pas vraiment quoi penser à la suite de cette lecture. A dire juste, je reste déstabilisée.
En fait le problème, c'est que Moby Dick n'est pas ce à quoi je m'attendais. N'ayant lu que Bartleby de Melville avant cela, je n'étais pas prête à ce monstre livresque, avec tout ce qu'il regorge d'aventure, de créatures marines, de monologues déclamés à tue-tête, de personnages inextricables, de bavardages scientifiques et de perditions philosophiques. Et mon premier réflexe (de survie, presque) fut le blocage contre cette chose non-identifiée qui essayait avec réussite de me bouleverser. Enfin, non, c'est faux. Ma première réaction était d'être transportée. L'histoire qui commence avec Ismahel, quelque peu perdu à ce moment dans sa vie, face à un personnage (Quiequeg) qui restera au long de l'histoire une énigme, m'a d'abord grandement intéressée. J'avais envie d'en savoir plus, les pages se tournaient rapidement et avec facilité. Il y avait (selon moi) ce qu'il fallait à ce moment pour ne pas me faire sentir le poids de l'ouvrage et me faire oublier la longueur de l'histoire et le nombre de pages. Peu importait alors que ce fût un pavé, car un pavé comme cela devenait aussi léger que le vent et il serait lu en un éclair. Je me laissais donc embarquer dans un monde étrange qui m'est encore difficile à décrire : celui des baleiniers, des marins, un monde brumeux et quelque peu fantasmagorique.

Ce qui peu à peu me fit perdre le fil, disons la tension que j'eue ressentie aux premières lectures, c'est ce changement incessant de ton sur lequel l'auteur développe son livre. Et pourtant, cela souvent me plaît et donne grande profondeur à une histoire, je crois. Mais... mieux vaut ne pas trop en abuser. Au bout d'un certain temps, à naviguer entre les eaux du Péquod, les réflexions d'Ismahel, les observations sur les autres membres de l'équipage, les apparitions philosophiques soudaines, hop! un monologue délirant au milieu, des développements tortueux sur l'organisme et l'ossature des baleines, quelques rencontres rapides avec d'autres baleiniers, etc., etc., j'arrivais à ne plus vraiment savoir où l'auteur voulait en venir, tout en comprenant au fur et à mesure que l'intérêt même de ce livre résidait dans cette ambition universaliste de tout embrasser et de pouvoir parler de tout, surtout si cela concerne les mers et la baleine. Donc avouons en toute franchise que cela déstabilise. Surtout quand on a entendu pendant 20 ans que Moby Dick est un livre pour enfants qui parle d'une baleine qu'on pourchasse (point). Non Moby Dick, en vrai (non pas tronqué à l'extrême en gardant quelque cent ou deux cent pages pour faire une histoire ordonnée et claire), ce n'est pas une histoire pour enfant (sauf si votre enfant voudrait savoir comment ôter le lard des baleines et comment le stocker sur un bateau pendant des mois, ou s'il est désireux de savoir comment la folie peut pousser un homme à pourchasser un objectif irrationnel, dangereux et impossible, jusqu'à la catastrophe, ou s'il s'intéresse aux différentes versions de l'histoire biblique de Jonas...), et Moby Dick, oui, est bien l'histoire d'une baleine qu'on pourchasse dans environ... un quart du livre, ou un tiers à la rigueur (oui, on pourchasse réellement Moby Dick dans les cent dernières pages (voire les 50), il faut être patient). le reste est divagation. Mais attention ! qu'on se le dise : excellente divagation. Voilà, c'est dit : je me suis ennuyée, beaucoup, un peu, passionnément, parfois pas du tout, et j'ai aimé ça -avec du recul. Sur le moment, de nombreux passages sont longs et terriblement futiles (subjectivement), et avec quelques jours de digestion, une fois le livre fermé, en plus d'une fierté immense et d'une grande joie de l'avoir terminé, on en vient à raviver le souvenir de ces chapitres que l'on trouvait si mornes, si frivoles, et oui, non, en fait, ouais, c'était bien, même très bien. Comme des textes de philosophie, comme une lecture de Hume ou de Bergson finalement. C'est dur, c'est long, ça fait bailler, mais quel bonheur après, le lendemain, le surlendemain, la semaine suivante, d'y songer, de malaxer les souvenirs de lecture et de concepts et de les assembler, de les regrouper, d'absorber tout ce savoir et toutes ces idées et d'en faire quelque chose à soi.

Donc, merci Melville d'avoir écrit Moby Dick. Malgré tout ce que j'ai pensé de toi en cours de lecture, mes mauvais sentiments et mes grognements, Moby Dick restera un livre de ceux qu'on mange, comme le léviathan mange ses ennemis, comme la jambe d'Achab fût mangée elle aussi, et comme Jonas fut englouti pour renaître de la gueule de la baleine, je suis sortie d'entre les dents de cet ouvrage comme non pas une nouvelle personne, mais plus grande et avec de nouvelles choses en moi, que je ne peux décrire ici, sous peine de les étouffer. Mais je pense que tout lecteur attentif y sentira, comme moi, cette odeur de macération qui se prépare sur le pont du Péquod entre certaines pages, avant que ne se révèle dans un nuage de buée, inopinément, le suc, la moelle même de tout ce qui est raconté dans ces pages, pour disparaître aussitôt et couler avec fracas au fond des eaux.
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Embarquez à bord du Péquod, fier vaisseau baleinier quittant Nantucket pour une longue chasse à la baleine à travers les océans du globe ! Vous avez bien sûr déjà entendu le nom de celui qui règne sur le Péquod, le fameux Capitaine Achab, vieillard mystérieux et irascible dont l'unique obsession est de se venger d'un démon marin à la blancheur marmoréenne, ce mythique cachalot qui a emporté une des jambes du capitaine dans les profondeurs de la mer, le terrible Moby Dick.

Votre guide et narrateur dans cette épopée cynégétique marine n'est qu'un humble marin du nom d'Ishmaël. Notre homme n'ayant plus d'argent et aucune attache à terre décide de « revoir le monde de l'eau » en s'engageant à bord d'un baleinier. Ishmaël connaît la dureté de la vie en mer, les dangers de la chasse à la baleine bien qu'il ne soit qu'un bleu dans ce domaine ; il sait aussi ce qui lie les destins des hommes embarqués ensemble parfois pour de longues années dans le microcosme de leur navire, un monde à part entière au milieu de l'immensité insondable des océans. Mais Ishmaël est loin du stéréotype du rustre marin car les parenthèses savantes dans lesquelles il nous emmène sont souvent celles d'un rat de bibliothèque ou d'un esthète admiratif des beautés du monde. Ses références à la Bible ou aux lettres classiques sont foison, ses interrogations philosophiques ne manquent pas de recul, et ses tentatives de classification biologique font état de connaissances pointues pour l'époque même si elles peuvent faire sourire à la lumière de notre savoir moderne. Mais pour son temps, Ishmaël est véritablement un marin très érudit dans l'ombre duquel on devine aisément Herman Melville qui a lui-même servi à bord de navires et même d'un baleinier avant de devenir écrivain. Ainsi, Ishmaël nous plonge dans de longues mais instructives digressions sur le métier de baleinier, la quête de l'huile et du précieux spermaceti, la cétologie, l'histoire de l'art, ou encore la mise en abîme des symboliques, avec toujours la même focale : cette fameuse baleine blanche que le Capitaine Achab souhaite plus que tout au monde retrouver et tuer.

Le récit débute à terre, avant qu'Ishmaël n'embarque sur le Péquod, et toute cette première partie est dotée d'un style et d'un ton qui peuvent dénoter en regard du reste de l'histoire. C'est dans des circonstances non dénuées d'étrangeté et d'humour qu'Ishmaël fait la rencontre de celui qui deviendra son ami, Queequeg, fascinant et musculeux sauvage issu d'une tribu d'anthropophages réducteurs de têtes, adorateur d'idole en bois et surtout harponneur de grand talent. Il est regrettable qu'une fois à bord, le personnage de Queequeg ne soit pas davantage mis en lumière, mais le voyage est l'occasion de découvrir une galerie d'autres personnalités hautes en couleurs. Il y a le Capitaine Achab bien sûr, dont le membre manquant a été remplacé par une jambe « façonnée en mer dans l'ivoire poli d'une mâchoire de cachalot ». Nous découvrons également ses trois capitaines en second, Starbuck aux envolées lyriques et l'un des seuls capables de tenir tête à Achab, mais aussi Stubb et Flask, ainsi qu'une poignée de rôles secondaires mais plaisamment décrits.

Le voyage en lui-même n'est qu'une interminable attente entrecoupée de discours érudits, de lumineux spectacles de chasse à la baleine ou de rencontres fortuites avec d'autres navires. Certaines scènes sont écrites telles des actes d'une pièce de théâtre, certains chapitres ressemblent à des articles encyclopédiques, et d'autres encore versent dans l'épopée mythologique. Certains chapitres sont vibrants de verve et de vie, comme « Minuit au gaillard d'avant », où s'élancent dans la nuit les voix des harponneurs et des marins venant de Nantucket, de Hollande, de France, d'Islande ou de Malte, des Açores, de Chine, de Tahiti ou de l'île de Man ! Leurs mots et leurs chants sont le reflet de la diversité et de la pluralité des origines qui se fondent dans le creuset de ce navire cosmopolite, où tous devront faire face au même destin dicté par la folie du Capitaine Achab.

Car ce qui se meut sous la mer est parfois aussi mystérieux et menaçant que ce qui se meut dans la tête des Hommes. le léviathan n'est peut-être ainsi que la redoutable métaphore de la folie ravageuse qui mène les hommes à leur péril. C'est peut-être aussi l'image du combat inégal de l'Homme contre la nature, en cela très proche de ce qu'Hemingway décrira dans un tout autre style avec « le vieil homme et la mer ». Ne lisez pas « Moby Dick » dans la hâte d'assister au combat entre Achab et le léviathan. Lisez-le tel un voyageur empli de curiosité, avide de découvertes et de rencontres, patient face à l'immensité de l'océan et du ciel, humble en regard de ce qui nage sous les coques des bateaux, et surtout habité de compassion pour ces hommes loin de leurs racines et éperonnés par la vie comme une baleine par le harponneur. En écrivant ce livre, Melville confiera à Nathaniel Hawthorne penser « à quelqu'un qui verrait dieu aussi clairement comme on dit que le nez au milieu de la figure, aussi clairement que la baleine blanche au-dessus des eaux et qui, justement, le voyant en toute sa gloire, le connaissant en tous ses mystères, sachant jusqu'où peuvent aller les délires de sa force, mais n'oubliant pas – jamais – les blessures dont ce dieu le déchire, se précipiterait quand même sur lui et lancerait le harpon. »
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Lu à haute voix en août 2018

Qui ne connaît pas Moby Dick – cette baleine blanche monstrueuse, légendaire, terreur des baleiniers et obsession du capitaine Achab qui lui a juré vengeance ? Cela faisait un moment que j'avais envie de faire découvrir ce roman de Herman Melville à mes enfants. Je me disais que cette lecture nous permettrait de poursuivre notre tradition de voyages littéraires (après le Royaume de Kensuké, L'île au Trésor et Robinson Crusoé notamment), mais aussi que Moby Dick était susceptible de plaire à nos petits amateurs de mythologie grecque… L'oeuvre de Melville a fait l'objet d'innombrables lectures, recensions et interprétations qui se sont intéressées, en particulier, à sa portée métaphorique, aux références bibliques et au texte comme parabole chargée de thèmes universels. De façon plus modeste, je me permets de partager ici notre expérience de lecture familiale.

L'histoire est célèbre : Ismaël embarque sur le terrible Pequod, baleinier commandé par le capitaine Achab, pour une campagne de pêche à la baleine. L'équipage découvre rapidement que l'expédition est en réalité une croisade insensée, à la poursuite de Moby Dick.

Même en version abrégée (j'ai pour principe de ne lire aux enfants que des livres en texte intégral mais une fois n'est pas coutume, j'ai acheté par erreur cette version chez Poche Jeunesse), la lecture de Moby Dick est ardue : monument littéraire chargé de poésie, longues phrases et récit entrecoupé de descriptions extrêmement détaillées du travail des baleiniers que l'on voit traquer, harponner, remorquer et découper des cétacés démesurés… Herman Melville, qui avait vécu plusieurs années à bord d'un baleinier, connaît son affaire et documente ce forme de pêche ahurissante de manière très précise et avec force termes techniques.

Malgré ce caractère exigeant, le roman nous a captivés de bout en bout. L'auteur fait la preuve de son talent de conteur dès les premiers chapitres. L'affrontement conduisant au drame est inéluctable et la tension s'accumule au fil des pages, jusqu'à nous rendre aussi fous, anxieux et obsédés par Moby Dick que le capitaine Achab – mon aîné, qui s'est demandé en cours de route si le redoutable cachalot existait en dehors de l'imagination des baleiniers, a remarqué qu'en s'inspirant de Samuel Beckett, on aurait pu intituler le roman En attendant Moby Dick ! C'est précisément grâce à cette tension dramatique, et en riant (un peu jaune) de notre propre exaspération, nous comparant entre nous à l'irascible Achab, que nous sommes parvenus à persévérer et à traverser toutes les mers du monde à bord du Péquod jusqu'au désastre final. Nous avons refermé Moby Dick sonnés, avec l'impression d'avoir passé un bon bout de temps au large : difficile de s'extraire d'un tel roman ! Mes enfants, qui ont spontanément éprouvé de l'empathie pour la majestueuse baleine blanche, ont finalement beaucoup apprécié cette lecture qui leur a fait très forte impression.

Un livre incontournable pour lecteurs déjà grands, à découvrir avec un globe terrestre sous la main…
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Durant ce mois d'hospitalisation de décembre 2023, Moby Dick aura été mon compagnon de galère. Il fallait bien que je m'évade un peu, que je pense à autre chose, alors je me suis passionné pour le dépeçage de baleines, pour la navigation et les techniques de pêche à la baleine au XIXe siècle.

Dans cet ouvrage, on trouve ce que l'on veut bien y trouver, et j'ai trouvé le côté « aventure » pas foncièrement prépondérant. La grande chasse à Moby Dick n'occupe d'ailleurs que les 3 derniers chapitres .

J'ai aimé le côté gothique et sombre dans les descriptions, la poésie qui imprègne toute l'oeuvre, et la noirceur folle et obstinée du capitaine Achab.

Moby Dick est un roman difficile à lire, très complexe, avec de nombreuses références dans multiples domaines (religion, philosophie, géographie….) C'est aussi un roman très violent dans lequel l'auteur n'épargne en rien ses lecteurs. Pas étonnant qu'il n'ait pas rencontré le succès à sa sortie. Il devait bien déranger le bourgeois confortablement enrichi par cette boucherie qu'était la chasse à la baleine.

Un grand classique qui doit aussi certainement gagner à être lu en anglais. On perd en effet quelque chose, surtout lors de la traduction des chants marins.


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Le roman d'aventures est basé parfois sur une fuite : fuite d'une situation désagréable vers une meilleure, fuite après une faute, fuite par lâcheté d'affronter l'adversité… Plus souvent, il est lié à une quête : quête de biens matériels : trésor, richesses, héritage ; ou biens immatériels : recherche du bonheur, recherche d'identité, recherche de justice ou de vengeance, quête d'absolu… Parfois ces deux thèmes, fuite et quête, se mélangent, et nous donnent des romans somptueux, complexes et d'autant plus attachants, comme « Lord Jim » de Joseph Conrad
Dans quelle catégorie classer « Moby Dick » ? Sans contestation, dans la seconde : la quête du capitaine Achab est d'ordre personnel : il a un compte à régler avec la baleine blanche qui lui a emporté une jambe il y a longtemps : quête de vengeance, donc, mais le roman, comme nous l'allons voir, va bien plus loin.
Le narrateur, Ismael, s'embarque sur la Pequod, un navire baleinier, pour ne campagne de chasse à la baleine. Il est accompagné de Queequeeg, un cannibale des mers du Sud, tatoué comme il se doit comme un joueur de rugby des iles Tonga. le capitaine se nomme Achab, un nom biblique, nous verrons que la Bible dans cette histoire a un rôle à jouer ; et l'équipage, une trentaine d'hommes venus de tous les horizons et pour tous les motifs complète l'effectif du bateau. Très vite on comprend que le capitaine Achab, homme taciturne et secret, n'est pas intéressé par la chasse aux baleines, mais par la chasse à une baleine, Moby Dick, qui naguère lui a emporté une jambe, remplacée aujourd'hui par un pilon en ivoire de cachalot. La quête est longue et pénible et se limite à un duel entre deux entités, Achab et la baleine, où tous les autres personnages deviennent des « dommages collatéraux »…
« Moby Dick », paru en 1851, fait partie de cette poignée de romans incontournables qui font le patrimoine de l'humanité. C'est un roman d'aventures, certes, d'aventures maritimes, ce n'est un doute pour personne. Mais l'auteur a mis tant de choses dans ce gros roman (pas loin de 750 pages dans l'édition Folio) que plusieurs lectures sont possibles :
Allégorique : au premier abord, c'est la lutte du Bien contre le Mal. Mais assez vite on se pose la question : de l'homme et de l'animal, qui est le Bien et qui est le Mal ? Est-ce qu'ils ne le seraient pas tour à tour l'un et l'autre ? Question subsidiaire : Qui est l'arbitre du combat ? Personne du bateau, il n'y a que des témoins, et des futures victimes (mais non, je n'ai pas divulgaché !)
Métaphorique : plusieurs personnages renvoient à des personnages tirés de l'Ancien Testament : Achab mari de Jezabel, avait la réputation d'être un roi impie. le capitaine Achab, en se dressant contre la baleine, se dresse donc contre Dieu. Ismael, premier fils d'Abraham et demi-frère d'Isaac, est symbole de schisme, de séparation, de fuite, l'Ismael du roman est le seul qui arrivera à se sortir de la tragédie.
Documentaire : En plus des pages purement fictionnelles où l'histoire se raconte, et des longues digressions morales et philosophiques, Melville donne un véritable cours sur la chasse à la baleine, telle qu'on la pratiquait dans les années 1840 sur la plupart des mers du globe.
Sociologique : le kaléidoscope que représente l'équipage, en termes de nationalités, de races, de caractères, de divergence d'intérêt dans cette aventure, donne à l'auteur de montrer le « melting-pot » américain, sa richesse culturelle et peut être ses limites.
Poétique, enfin : nul n'en a parlé mieux que Giono (un des meilleurs traducteurs, ou co-traducteurs) : "la phrase de Melville est à la fois un torrent, une montagne, une mer (...) Mais comme à la montagne, le torrent ou la mer, cette phrase roule, s'étire et retombe avec tout son mystère. Elle emporte ; elle noie. Elle ouvre le pays des images dans les profondeurs glauques où le lecteur n'a plus que des mouvements sirupeux, comme une algue ... (Préface de « Moby Dick »).
Monument incontournable de la littérature, « Moby Dick » a trouvé sa meilleure adaptation en 1956 avec le film éponyme de John Huston avec un Achab de légende incarné superbement par Grégory Peck.
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Ismaël, le narrateur de « la noire tragédie de ce navire de mélancolie » (p. 591), est dégoûté de la société et décide de s'embarquer à bord d'un baleinier. Il est embauché sur le Péquod, dirigé par le capitaine Achab. L'objectif du navire est évidemment d'alimenter le marché de la baleine, mais le capitaine veut en réalité se venger de Moby Dick, cachalot blanc qui lui arraché la jambe « Elle a été dévorée, mâchée, broyée par le plus monstrueux cachalot qui ait jamais fait voler en éclats un bateau. » (p. 101)

Que le démarrage est long avant l'embarquement ! Il y a de nombreux chapitres présentant les préparatifs et la rencontre entre Ismaël et Queequeg, le cannibale harponneur, d'où naît une forte amitié. Mais une fois le Péquod lancé sur les flots, l'intrigue ne progresse pas pour autant rapidement. Ismaël décrit avec minutie les techniques de chasse à la baleine et présente toute l'étendue de son savoir sur les cétacés. « Vu sa masse imposante, la baleine est un sujet rêvé pour exagérer, et, d'une façon générale, discourir et s'étendre. le voudriez-vous que vous ne la pourriez réduire. [...] Puisque j'ai entrepris de manier ce Léviathan, il m'incombe de me montrer à la hauteur de ma tâche, de ne pas négliger la plus minuscule cellule de son sang et de raconter jusqu'au moindre repli de ses entrailles. » (p. 550) C'est véritablement une encyclopédie qu'il propose.

Témoin de la chasse et participant à toutes les tâches à bord, Ismaël s'implique cependant très peu dans l'intrigue et n'a étonnamment aucune interaction avec le capitaine Achab. Mais son récit laisse entendre qu'il a pleinement embrassé le but de ce voyage. « Une sympathie occulte et farouche me possédait, la haine dévorante d'Achab devenait mienne. Je tendis une oreille avide à l'histoire de ce monstre sanguinaire, contre lequel j'avais avec tous les autres, juré vengeance. » (p. 229) Dans la tradition baleinière qui existe depuis Job, il est question des nombreuses légendes sur ce monstre immense, créature haïe et fantasmée dont la mise à mort industrielle par les hommes ensanglante la mer. le cachalot blanc est terrible, mais innocent et pur dans sa brutalité.

Moby Dick est un roman complexe et riche, offrant plusieurs niveaux de lecture. L'auteur développe des réflexions sur les différentes religions du monde et la recherche des preuves de Dieu. La chasse donnée à la bête à la mâchoire difforme s'apparente à une quête métaphysique, mais négative. Mort à Moby Dick ! Que Dieu nous donne à tous la chasse, si nous ne la donnons pas à Moby Dick jusqu'à sa mort ! » (p. 215) La vengeance enragée d'Achab est teintée d'orgueil : entre lui et Moby Dick, c'est une lutte titanesque qui oppose le Mal et le Bien dont l'issue sera nécessairement fatale. « Oh ! Achab, [...], il n'est pas trop tard, même en ce troisième jour, pour renoncer. Vois, Moby Dick ne te cherche pas ! C'est toi, toi seul qui le cherches de ta folie ! » (p. 684)

Il ne faut pas se laisser décourager par la densité de ce roman. L'histoire est puissante, la langue est passionnante et érudite, le sujet est vaste et multiple. N'hésitez pas, lancez-vous aussi à la poursuite de Moby Dick !
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Quand il s'engage sur le Pequod, un baleinier, Ismaël n'a plus d'argent et souhaite revoir l'océan. Il rejoint un équipage cosmopolite (les marins viennent de différents pays) qui travaille sous les ordres du capitaine Achab, un homme dont on parle mais qu'on ne voit pas. On raconte qu'il a passé plus de temps en mer qu'à terre. Depuis plus de quarante ans, il chasse les baleines. L'une d'elles l'ob- sède : Moby Dick. C'est en fait un cachalot, capable de parcourir de très longues distances en peu de temps. Il a même peut-être le don d'ubiquité (être à plusieurs endroits à la fois). Des harpons sont plantés dans son dos et sa mâchoire est tordue, signe des différentes attaques que Moby Dick a subies.

Le roman est tellement riche qu'il se prête à différentes interprétations, d'autant plus que Melville multiplie les allusions au surnaturel et les références bibliques et mythologiques.
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« Il y a là-dessous quelque chose, et tout cela n'est pas sans avoir un sens » (chapitre 7).

Mais il aura fallu attendre le centenaire de Melville, en 1919, pour que ce roman chahute les barques assoupies de la critique littéraire et qu'on daigne lui accorder toute l'importance qu'il mérite. A moins que celle-ci (la critique) n'accepte de revoir ses positions précisément parce que le monde des certitudes venait de connaître, par deux fois au moins, les eaux et le feu de la tempête, et avec eux, le naufrage et la ruine : celui du Titanic d'abord, en 1912, soulignant les illusions d'une domination de l'homme sur la nature. La Grande guerre ensuite, première d'ampleur mondiale, première de mobilisation totale, première des catastrophes, qui signa le comble de l'« absurdité » d'un modèle de domination de l'homme sur d'autres hommes.
Ne sont-ce pas là les deux grands pôles de ce roman monde ? N'est-ce pas là, le sens de cette aventure trop humaine ? Ne peut-on pas croire, c'est ma tentation (et peut-être mon erreur), qu'ici réside l'ultime leçon de cette encyclopédie littéraire : Achab comme portrait de l'homme arrogant (déjà dans l'ancien testament) acharné à vouloir régner sur ses hommes comme sur toute la création, sans même qu'il la connaisse : « La baleine est l'unique créature de ce monde dont nul portrait authentique ne sera fait jusqu'à la fin. de sorte qu'il n'existe pas de moyen terrestre qui vous permette de découvrir réellement de quoi a l'air une baleine » (chapitre 55). Alors, pour mieux justifier son élan, son projet, sa « raison », il s'en fait un ennemi, la cause de ses maux, le souffle haineux de ses mots. Et il vogue sur les flots d'une mer dont les beautés lui échappent, l'oeil rivé sur son rêve de gloire et de domination. Achab, ce faux prophète, ce roi tyrannique, qui fascine ses hommes par ses rêves chimériques autant que par sa violence, et les entraine dans sa folie.
L'homme semble pourtant pouvoir survivre à l'homme : Ismaël à Achab. C'est la lumière du récit de Moby Dick : « car le plus merveilleux et le plus terrifiant de ce qui est vraiment dans l'homme, ni mots ni livres n'y ont jamais touché jusqu'ici » (chapitre 110). Il est possible que Melville, ici, pèche par excès d'orgueil. Non pas que j'estime que La Vérité de l'Homme réside dans un livre saint ou dans un traité scientifique, pas plus que dans les tragédies grecques, le théâtre shakespearien ou le roman russe, anglais ou français contemporains de Melville, pour ne prendre que des exemples qu'il connaissait sans l'ombre d'un doute, mais précisément parce qu'elle y réside, par bribes, dans l'ensemble de ces pages : car de l'Homme il n'est jamais question : mais bien d'hommes, tout comme sur le pont du Pequod.
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Si « Moby Dick » est un ouvrage d'une richesse exceptionnelle et peut à juste titre être considéré comme un des plus grands chefs d'oeuvre du roman d'aventure, les 700 et quelques pages le constituant contiennent néanmoins des passages que le soucis du détail technique ou de la véracité scientifique rendent parfois pénibles à ingérer.

On appréciera cependant la beauté d'une langue puissante véhiculant le symbolisme prononcé de cette tragédie des mers.

L'enseignement principal que j'en tire est que malgré toute sa technologie, son intelligence et sa détermination, l'homme ne peut vaincre les forces éternelles de la Nature Divine symbolisées par un invincible cachalot blanc.

En poursuivant un léviathan divin, Achab pêche par orgueil, défie les dieux et finit par être châtié en même temps que son équipage qu'il a entraîné dans sa folie.

On peut aussi interpréter cette traque obsessionnelle comme la recherche d'un absolu, d'un impossible idéal à atteindre aimantant la vie de l'homme de conviction jusqu'à sa mort.

Mais avec les progrès de la science, la chasse à la baleine a ensuite perdu de son romantisme, car traqués par satellites ou sonars dans des bateaux ultra modernes aux coques d'acier sur lesquelles les chasseurs ne prenaient plus aucun risque, les cétacés n'ont rapidement plus eu aucune chance et se sont ensuite régulièrement fait massacrer.

A moins qu'on se prenne à rêver que d'autres léviathans encore plus monstrueux ne survivent encore, tapis dans les profondeurs sous marines d'un imaginaire encore inaccessible à la science humaine.
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