"à bord" ! C'est par cette invite que les élégantes éditions bordelaises "Finitude" nous proposent de découvrir trois petits textes inédits en français de l'immense auteur de Moby Dick, de Bartleby le scribe ou encore de Billy Budd, le célèbre Herman Melville.
Ce sont donc deux conférences espacées par une critique littéraire que Guy Chain, traducteur de l'ensemble, nous donne à découvrir.
Dans la première conférence, intitulée "les mers du sud", datant des années 1858-60 (ainsi que la seconde), Melville tente un portrait en creux de l'immense océan Pacifique dont il reconnait lui-même qu'il est tellement vaste qu'il lui serait impossible de tout en dire en si peu de temps. Dans un grand soucis d'efficacité, le romancier passe donc de la faune à la flore, de l'histoire des découvertes des principaux archipels, et de leurs découvreurs, à un portrait des indigènes, se référant à ses propres écrits afin de soutenir ses dires, entremêlant force anecdotes et histoires vécues.
Mais derrière l'aimable dissertation, c'est aux légendes et autres lieux communs tenaces que Melville s'en prend. Pas moins, d'ailleurs, souvent sans même avoir l'air d'y songer, qu'à certaines méthodes délétères et parfois mortifères de ceux-là mêmes qui prétendaient apporter la civilisation, la richesse et la bonne parole à des autochtones qui n'en avait pas demandé tant.
Le second texte, datant de 1847 et intitulé "Tableaux d'une chasse à la baleine", est une critique littéraire en règle de deux ouvrages relatant la marine baleinière de l'époque.
Avec un art consommé de la moquerie et d'une certaine forme de duplicité, l'auteur de Moby Dick décrit le premier livre comme étant tellement exact et emprunt de véracité factuelle qu'on subodore combien il l'a trouvé fastidieux et dénué de toute poésie, le comparant à un autre titre de l'époque décrivant, cette fois, le monde de la navigation commerciale. le second, défendant le petit monde de la capitainerie ne semble guère retenir plus les éloges de notre critique.
Sans jamais s'en prendre ouvertement aux deux titres résumés et décortiqués (il leur trouve même certaines qualités), Melville exprime, de manière transversale, sa propre conception de ce que serait un bel ouvrage traitant des choses de la mer : exact et descriptif mais sans appesantissement, poétique, sans le moindre doute, mais sans céder à un de lyrisme excessif et infondé. N'est-ce pas là ce qu'on peut retrouver dans le chef d'oeuvre qui l'a rendu célèbre mondialement ?
Le dernier texte, qui est donc à nouveau une conférence donnée dans les mêmes années que la première, s'intitule "Le voyage" mais aurait tout aussi bien pu s'intituler "portrait du voyageur". En quelques pages bien tournées, Melville dresse le portrait du voyageur idéal et nous expose sans le moindre ambages ce que, selon lui, un voyage bien préparé devrait inévitablement amener dans la formation intérieure, intellectuelle, morale et humaine de tout pérégrin convenablement conformé.
Mais laissons lui la parole en guise de conclusion à ce petit ouvrage charmant et magnifiquement agrémenté de reproductions de gravures anciennes : "La découverte de la nouveauté, la mise en pièce des vieux préjugés, l'ouverture du coeur et de l'esprit, tels sont les véritables fruits d'un voyage correctement entrepris."
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La découverte de la nouveauté, l'acquisition d'idées nouvelles, la mise en pièce des vieux préjugés, l'ouverture du coeur et de l'esprit, sont les véritables fruits, d'un voyage correctement entrepris.
Un jour, en début de soirée, alors que j’étais au large des côtes de Patagonie, écoutant une dramatique histoire de fantômes que racontait un des membres de l’équipage, nous entendîmes un affreux mugissement, quelque chose entre le grognement d’un Léviathan et l’éructation d’un Vésuve, et nous vîmes une brillante traînée de lumière à la surface de l’eau. Le vieux maître d’équipage grisonnant, qui se tenait tout près, s’exclama: «Là, c’est un Poisson du Diable !».
Pour être un bon voyageur et tirer de son voyage un réel plaisir, plusieurs conditions sont nécessaires. La première, c'est d'être jeune, insouciant, d'humeur agréable, et doué d'imagination, car si l'on en est dépourvu, mieux vaut rester chez soi.
Pour un infirme c'est déjà un voyage, autrement dit un changement, que d'aller dans une autre pièce de la maison. La découverte de la nouveauté, l'acquisition d'idées nouvelles, la mise en pièce de vieux préjugés, l'ouverture du cœur et de l'esprit, tels sont les véritables fruits d'un voyage correctement entrepris.
Le voyage, pour une grande et noble nature, est comme une nouvelle naissance. Il tend légitimement à nous enseigner une profonde humilité, tout en élargissant notre sens de l'altruisme jusqu'à inclure la race humaine toute entière.
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Herman Melville n'a jamais su que le roman qu'il avait écrit à l'âge de 31 ans deviendrait un jour l'un des livres les plus célèbres du monde. Il est mort dans la misère et son chef-d'oeuvre, « Moby Dick », n'est devenu un succès que près d'un demi-siècle après sa disparition.
« Moby Dick » d'Herman Melville, à lire dans sa nouvelle traduction chez Gallimard
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