Wouah, voilà le genre de roman dont on ne ressort pas indemne… On est loin des « gentilles » autrices japonaises
Ito Ogawa et
Aki Shimazaki. Par contre, ce roman m'a rappelé les premiers
Yoko Ogawa, et aussi les Chinois
Yan Lianke et
Mo Yan et ses fameuses
grenouilles, mais pas question de
grenouilles ici. Ou certains films de
Polanski (les premiers) ou d'Haneke. Voilà pour l'ambiance !
San, une jeune mariée, femme au foyer sans enfant, range les photos du couple sur son ordinateur et constate que son visage et celui de son mari se ressemblent de plus en plus. Au fil des pages, la jeune femme perd peu à peu sa consistance, jusqu'à ne plus avoir la force d'affirmer ses choix, ses goûts, jusqu'à ne plus pouvoir contredire son mari quand il édicte « Tu es comme moi. Ce n'est pas la peine de faire semblant de réfléchir alors qu'en réalité tu n'en as pas envie. Toi et moi, on n'a pas envie de penser aux choses sérieuses. C'est pour ça que je me sens bien avec toi. ». Comment contrecarrer cette volonté de l'autre à nous assimiler, à nous faire devenir une partie d'eux-mêmes pour nous neutraliser, pour nous contrôler ou peut-être pour ne jamais nous perdre ? Peut-on encore parler d'amour ?
Je dis roman, mais peut-être devrais-je parler ici de conte, car on y retrouve plusieurs des ingrédients essentiels aux bons contes (qui font les bons amis, je le rappelle pour les distraits). Non non pas le genre de conte avec une grenouille (encore ?) euh non je veux dire un crapaud qu'il faudrait embrasser, beurk. Ou avec un Prince Charmant qui doit sauver la Princesse du méchant dragon pour l'épouser (la princesse, pas le dragon - quoique parfois sous un charmant minois se cache une vraie harpie). On est bien loin du Prince charmant, en fait, avec ce mari affalé tous les soirs devant le
s émissions de variétés, après s'être empiffré et sans avoir réellement discuté avec sa jeune épouse.
On retrouve ici le côté merveilleux des contes. du merveilleux qui se glisse insidieusement dans le récit apparemment banal, le récit de la vie de tous les jours, et qui déstabilise ainsi le lecteur. Ce n'est pas à franchement parlé un roman fantastique, mais on franchit quand même sans aucune difficulté la frontière entre réel et imaginaire.
Ensuite, il y a de nombreux aspects symboliques qui restent délicats à interpréter, d'autant plus que nous sommes au Japon, culture et mentalité qui me sont étrangères, même si je connais deux ou trois choses sur l'animisme et le shintoïsme. Les figures du chat, de la pivoine, des galets m'ont interpellée, sans que je puisse probablement en mesurer, en apprécier toute la portée. À ce propos, si j'ai pu me faire ma propre interprétation de l'histoire générale, je n'ai pas pu intégrer cette histoire de chat incontinent.
Néanmoins le propos est universel, et pour ma part, fait résonner une peur enfouie dans mon inconscient. Celle de me faire phagocytée par une relation, de disparaitre et de me dissoudre dans l'Autre, celle de ne plus exister en tant que telle mais comme « femme de … », « mère de… », « fille de … ». Je mets le tout au féminin, car je suis une nana, mais on peut bien sûr le décliner au masculin, même si je pense que les cas sont plus rares, à part peut-être pour Mr
Thatcher ou Herr Merkel…