Un roman d'apprentissage. Lucien Lechade, alter ego de
François Nourissier est étudiant à Louis le Grand. L'époque est particulière : Printemps 1944. Pour Lucien, le bac est en ligne de mire comme le sont les Allemands pour les Alliés qui préparent le Débarquement en Normandie. le problème de Lucien c'est de trouver sa place . Irrémédiablement il se sent " à côté" , en porte-à-faux.
A Louis le Grand, ses condisciples sont pour la plupart des fils de bonnes familles . Même si Lucien accapare les meilleures notes en philo et en histoire , un fossé invisible sépare l'aisance des uns de la poussive bonne volonté de l'autre. Lucien se dote alors d'une carapace hautaine faite de sarcasme et de cynisme qui lui permet de cacher la provenance "honteuse" de ses origines : une famille petite bourgeoise besogneuse qui "crèche" rue Saint-Séverin au 3e étage d'un immeuble populaire.
Luc, un ami de Lucien, l'invite alors chez lui et lui présente sa soeur Noëlle. S'ensuit une relation compliquée où les différences sociales constitueront comme autant de blocages à l'épanouissement amoureux des deux tourtereaux.
"
Allemande" est un roman qui fait inévitablement penser à
L'Education sentimentale de
Flaubert. Il y a du Frédéric Moreau dans Lucien. Nés tous les deux à une "mauvaise époque" , Lucien, comme Frédéric à la Révolution de 1848 (et comme Fabrice del Dongo à Waterloo...) , assistera aux péripéties de la libération de Paris sans y prendre vraiment part et sans rien y comprendre. Il aura le sentiment comme ses grands frères en littérature du siècle précédent "d'être passé à côté de l'Histoire".
Roman d'apprentissage, roman de formation. On sait l'adolescence être un âge délicat sinon ...ingrat. Lucien n'échappe pas à la règle. Les évènements servent de décor à l'élaboration du "moi" adulte. Les peines de coeur se mêlant inextricablement aux péripéties de l'Histoire.
L'ironie sous-jacente parcourant tout le roman, et le style très particulier de
François Nourissier (phrases courtes et sèches, sans pathos, distanciations et ellipses...) concourent au plaisir du lecteur, même si la lecture se doit d'être attentive car l'auteur est friand de coq à l'âne et de raccourcis abrupts.
Tout Nourissier , le "pape" des Goncourt, l'homme de droite un peu conservateur qui aurait pu être un "Hussard", l'écrivain à l'intellect acéré jamais dupe des grandes envolées idéalistes (beaux passages dans "
Allemande" , où collabos comme résistants prennent leurs lots de sarcasmes..) , et bien , oui, tout Nourissier est déjà dans "
Allemande". On retrouvera plus tard , dans d'autres oeuvres, les avatars du petit Lucien Lechade : des hommes qui ne s'aimaient pas et qu'une "infirmité" du moi empêcheront de dire oui à la vie.