Y a que la vérité qui compte.
- Alors Daphnée, est-ce que notre invité a répondu présent ?
- Eh bien oui Pascal, je suis en compagnie de Finn qui nous vient de Simonsbridge, en Angleterre, où il travaille dans l'investissement financier. Comment allez-vous Finn ? Pas trop stressé ?
- Euh non, plutôt curieux à vrai dire.
- Vous avez une petite idée de la personne qui vous a fait venir ici ce soir ?
- Pas de certitude non, mais j'ai quelques hypothèses.
- En ce cas Finn, je vous invite à vous lever et à suivre Sam.
Souvenez-vous : La vérité se trouve au bout du couloir.
J'arrive sur le plateau de télévision où j'échange une poignée de main molle avec
Laurent Fontaine et
Pascal Bataille.
- Asseyez-vous Finn. J'imagine que vous connaissez le principe de l'émission ?
Sans même me laisser le temps de répondre, l'animateur enchaîne.
- Derrière ce rideau se trouve une personne qui a une vérité à vous dire. Vous serez libre bien sûr de l'ouvrir ou pas après avoir entendu ce qu'elle est venue vous révéler.
- Vous avez de grands pieds, vous chaussez du combien ? coupe le second animateur sans me laisser le temps de répondre.
- Je chausse du 48 et je mesure 1,95 mètre.
- Alors mieux vaut ne pas vous mettre en colère ! pouffe
Laurent Fontaine.
- Vous ne croyez pas si bien dire. Je pense être quelqu'un de plutôt gentil mais quand la moutarde me monte au nez je peux avoir des accès de violence que je ne maîtrise pas. Mon meilleur ami Harry doit encore s'en souvenir.
"Ton humeur était aussi volatile que tes colères et tes frustrations."
- On va tâcher de ne pas vous énerver alors ! s'esclaffe
Pascal Bataille.
- Vous avez confié à Daphnée tout à l'heure que vous aviez une vague idée de la personne qui vous a demandé de venir ce soir ?
- Eh bien j'hésite entre Ellen ou sa soeur Layla. J'aimerais tellement que ce soit Layla ! Mais je ne crois pas qu'elle soit encore en vie.
- Qui sont ces deux soeurs et que représentent-elles pour vous ?
- Je suis en couple avec Ellen depuis plus d'un an et je pense qu'elle s'attend à ce que je la demande en mariage. Mais peut-être qu'elle a finalement pris l'initiative ? C'est bien le principe de l'émission, non ? Se fiancer en direct devant des milliers de téléspectateurs pour l'audimat ?
- Pas seulement, on aime bien également réunir les enfants avec les parents qui les ont abandonnés. Mais parlez nous plutôt d'Ellen. Comment est-elle ? Comment ça se passe entre vous ? Vous devez vivre une folle passion !
- Eh bien Ellen est une femme sophistiquée, à l'aise en société, très amoureuse. Elle est illustratrice. Et on est vraiment très heureux ensemble.
Et tandis que j'énumère ces banalités, pas convaincu, des pensées viennent parasiter mon esprit.
"Je suis déchiré entre mon désir de Layla et mon désir de protéger Ellen."
"Pourquoi ne peux-tu pas ressembler plus à Layla ?"
"Tu n'as jamais été totalement amoureux d'Ellen, pas comme tu l'étais de Layla."
- Et pouvez-vous nous parler de sa soeur maintenant ?
- Oui, Layla est mon ex petite amie.
- Attendez, me coupe
Pascal Bataille en ricanant. Si je comprends bien, vous vous êtes envoyé en l'air avec les deux soeurs ? Vous ne vous embêtez pas vous alors !
- Layla a disparu il y a maintenant douze ans. Nous étions en vacances en France. Je me suis arrêté à une station service et à mon retour, quelques minutes plus tard, elle n'était plus là.
Son décès a été prononcé officiellement il y a sept ans mais j'ignore en réalité totalement ce qu'il est advenu d'elle. Si elle est réellement morte, si elle a été kidnappée, si elle m'a fui volontairement. J'ai d'abord été suspecté mais la police m'a rapidement mis hors de cause. Dire que je m'apprêtais à lui demander de m'épouser.
Je suis tombé amoureux d'elle dès notre première rencontre. Elle était perdu dans Londres et je lui ai offert l'hospitalité. Je suis immédiatement tombé sous le charme de sa maladresse, de son innocence. Elle m'a totalement ensorcelé. Et puis, plus tard, j'ai fait la connaissance de sa soeur aînée Ellen.
- Qui vous écoute peut-être en ce moment, qu'elle soit derrière le rideau ou devant son poste de télévision.
- Oh non, Ellen ne regarde pas ce genre d'âneries. Mais c'est vrai que nous ne parlons jamais de Layla, comme si ma relation avec sa soeur était un sujet tabou.
- Eh bien merci Finn pour toutes ces révélations. Dans un instant nous saurons si vous avez raison. Mais auparavant souhaitez-vous avoir un indice ?
- Bien sûr, réponds-je d'une voix hypocrite.
A l'écran, un jeune crétin interviewé dans la rue au hasard me demande comme s'il me connaissait depuis toujours :
- Finn, est-ce que tu crois qu'amour rime avec toujours ?
- Alors qu'en pensez-vous ? insiste
Laurent Fontaine
- Que c'est un indice de merde, comme toujours dans votre émission.
- Alors voila tout de suite un second indice.
L'écran demeure cependant éteint.
Mon regard tombe alors sur une poupée russe qui vient juste d'être déposée sur le banc, à quelques centimètres à peine de moi. Je sursaute, effrayé et intrigué à la fois.
- C'est Layla, cette fois je n'ai plus aucun doute. Cette petite matriochka lui appartenait.
- S'il s'agit effectivement de Layla derrière ce rideau, vous êtes sûr de pouvoir la reconnaître après douze années sans l'avoir revue ?
- Sans aucun doute. Son visage est gravé à jamais dans ma mémoire et je la reconnaîtrai n'importe où, n'importe quand.
- Alors vérifions maintenant qui a souhaité vous transmettre un message ce soir.
* * *
En ouvrant le rideau, Finn saura ce qu'il est advenu de Layla ces douze dernières années.
Mais cela, BA Paris le raconte beaucoup mieux que moi dans son dernier roman.
Son troisième thriller psychologique,
Dix petites poupées, n'est pas celui de la consécration puisqu'elle a obtenue celle-ci dès le premier,
Derrière les portes, qui avait quasiment fait l'unanimité chez les lecteurs.
Mais il s'agit clairement pour moi du plus abouti.
Sans perdre en fluidité, l'écriture est devenue moins simpliste, avec une touche plus personnelle, plus reconnaissable.
La construction est elle aussi très travaillée, chacune des trois parties apportant tant des réponses aux questions du lecteur que de nouveaux mystères permettant à l'intrigue de s'épaissir et de gagner en intensité.
Quant à l'histoire, elle a gagné en profondeur. L'auteure abuse moins des grosses ficelles et la psychologie des différents personnages est davantage travaillée, leurs évolutions sont plus subtiles.
Comme dans
Défaillances, il est question d'une lente plongée dans la folie, mais abordée totalement différemment.
Il ne s'agit bien sûr pas de découvrir qui se cache derrière le rideau mais de savoir ce qui se cache derrière les apparences.
Dès les premières pages, on sait que Finn en sait plus qu'il ne veut bien le dire sur la disparition de Layla.
Cette compagne disparue dans d'étranges circonstances et dont tout semble indiquer la réapparition : Deux personnes croient l'apercevoir, et puis il y a ces poupées qui apparaissent un peu partout, et ces étranges courriels que reçoit Finn et qui pourraient provenir du ravisseur de sa bien aimée.
Quelles seront les répercussions sur la vie qu'il avait tenté de reconstruire avec Ellen ?
Qui manipule qui, et dans quel but ?
Dix petites poupées parle beaucoup de sentiments, mais attention, on est très loin du roman harlequin et de l'Amour avec un A majuscule. Ici, l'amour est possessif, obsessionnel, malsain.
Destructeur.
"Mais je sais mieux que personne que l'amour peut nous faire agir contre notre personnalité, qu'il nous fait faire des choses dont on se pensait incapable."
Ou il n'en n'est simplement pas : Quand on aime par habitude, par obligation, par simple respect de l'autre on ne peut pas dire que ce sont des sentiments qui nous mettent des étoiles dans les yeux.
Dans un couple, l'équilibre est rare et l'un des deux partenaires est bien souvent plus amoureux que l'autre. Cette théorie semble se vérifier ici. Même si rien n'est aussi simpliste.
C'est un roman qui aborde aussi le thème de la violence domestique. Avec le principal protagoniste, Finn, pas toujours capable de maîtriser ses pulsions de rage mais qui demeure néanmoins un personnage attachant. A l'inverse du père d'Ellen et de Layla, l'odieuse brute ivrogne qui laissera à jamais des cicatrices, qu'elles soient physiques ou mentales.
Et il est question du deuil. Et plus particulièrement de sa phase de déni.
Le triangle amoureux concocté par BA Paris est donc très loin de faire preuve d'un quelconque romantisme et prend racine dans la noirceur et la folie de l'être humain, en donnant un résultat détonnant une fois tous les éléments mis en place.
Sans être inoubliable et sans aborder de sujet réellement inédit,
Dix petites poupées tire cependant clairement son épingle du jeu dans la grande valse actuelle des thrillers psychologiques. Je ne considérais pas jusqu'à présent l'Irlandaise comme une auteure incontournable du genre même si j'avais pris plaisir à lire ses deux premiers romans. Je commence à changer d'avis et à considérer sa notoriété comme étant méritée.
Si maintenant vous aussi vous souhaitez savoir qui se trouve derrière le rideau, qui Finn va y découvrir quand il acceptera de lever le voile …
Procurez vous vite ce petit chef d'oeuvre machiavélique.