Ecrit en 1890, ce court récit, en grande partie autobiographique, condense de nombreuses thématiques représentatives de la société et des moeurs de l'époque victorienne.
Rédigé sous la forme d'un journal intime, «
La séquestrée » m
et en scène une jeune femme qui, souffrant d'une dépression post-partum se voit imposer une cure de repos par son médecin de mari. L'héroïne se retrouve ainsi confinée dans une chambre exiguë, privée de toute stimulation intellectuelle, n'ayant d'autre « distraction » que d'observer à longueur de journée le papier peint hideux qui orne la pièce.
Commence alors pour la narratrice une longue descente aux Enfers qui va peu à peu l'entraîner aux portes de la folie. Car à mesure que les jours passent, le papier peint semble s'animer et bientôt, l'héroïne croit distinguer les traits d'une jeune femm
e tentant de s'échapper du motif la retenant prisonnière…
Si à la première lecture, «
La séquestrée » semble se situer à la lisière entre roman gothique et récit fantastique, explorant le basculement d'une femme dans la folie, la brillante et pertinente postface de Diane de Margerie permet d'offrir au lecteur un éclairage nouveau au texte.
Replaçant l'oeuvre dans son contexte et reprenant des éléments biographiques de l'auteure,
Diane de Margerie nous démontre comment «
La séquestrée », au-delà d'une étude psychologique de ce qu'on nomme aujourd'hui la dépression post-partum, est en réalité une véritable condamnation de la société patriarcale et de l'hégémonie médicale de l'époque victorienne.
Car à travers le portrait saisissant de cette femme cloitrée dans cette chambre sordide et soumise à l'autorité de son mari, c'est finalement celui de toute une condition féminine, emprisonnée dans une société verrouillée que dépeint l'auteure.
Jusqu'à la moitié du XIXième siècle, on considère en effet que la place de la femme réside dans la sphère privée du domicile familial où elle se doit d'assumer son rôle d'épouse et de mère de famille. de leurs côtés, les hommes régissent le domaine public à travers le travail, la politique et l'économie. Ce n'est qu'au milieu du XIXième siècle que les moeurs commencent à évoluer à mesure qu'émergent les premières pensées féministes. Les femmes aspirent à étendre leur rôle au-delà de la sphère familiale et à s'émanciper.
C'est dans l'émergence de ce nouveau courant féministe que s'inscrit Charlotte Perkins dont la présente nouvelle fait en grande partie écho à sa vie, tout comme à celles de ses contemporaines,
Edith Wharton ou Alice James. La société patriarcale de l'époque imposait aux femmes de choisir entre le mariage et la carrière, autrement dit entre le mariage et le célibat, la dépendance et l'indépendance. le mariage devait permettre aux femmes de correspondre aux modèles définis pour elle par la société de l'époque, à savoir la mère de famille modèle et l'épouse dévouée. Dans l'opinion populaire, toutes celles qui témoignaient d'un désir d'émancipation étaient considérées comme une menace pour l'ordre social établi.
Ces femmes, à l'esprit rebelle, qui refusaient d'incarner le rôle que la société attendait d'elles, ne pouvant se satisfaire de la place qu'occupaient leurs pairs enfermées dans le mariage et contraintes à l'autorité de leurs époux, étaient plus libres que les autres, indépendantes financièrement, mais souvent au prix d'une grande solitude.
C'est ainsi qu'à la fin du XIXième siècle, celles qui aspirent à s'affirmer en tant qu'écrivain se heurtent à cette société fermée et hostile aux femmes. L'écriture étant alors le privilège des hommes. On peut dès lors imaginer que «
La séquestrée », à travers la mise en scène d'une femme forcée de rédiger son journal en cachette, décrit en ce sens la lutte acharnée que l'auteure a dû mener pour écrire et publier ainsi que les obstacles qu'elle a dû surmonter pour y parvenir.
Mais les desseins nourris par Charlotte Perkins lors de la rédaction de «
La séquestrée » visaient avant tout le Docteur S. W. Mitchell à qui elle voulait démontrer, par son exemple, qu'il était dans l'erreur avec son approche thérapeutique de la dépression nerveuse et que ses traitements faisaient davantage de tort à ses patients qu'ils ne les soulageaient.
Charlotte a en eff
et elle-même souffert d'une forte dépression post-partum suite à la naissance de sa fille, Katharine. En accord avec son mari, elle décide de consulter le plus grand spécialiste des maladies nerveuses de l'époque, le docteur Mitchell, qui lui prescrit une cure de repos. La cure consistait en une véritable mise en quarantaine au cours de laquelle la jeune femme devait rester allongée une grande partie de la journée et, surtout, éviter toute occupation stimulante pour l'esprit. Après quelques mois de ce traitement drastique, à l'image de son héroïne, Charlotte Perkins se trouve aux portes de la folie.
Difficile de ne pas faire dès lors le parallèle avec l'héroïne de «
La séquestrée », cette jeune femme qui, sur les recommandations de son mari médecin se retrouve cloitrée dans une chambre en vue de soigner sa dépression nerveuse. Dans son récit, Charlotte Perkins montre comment la narratrice, infantilisée par son mari, privée de tout loisir et de toute activité intellectuelle éprouve un sentiment d'enfermement oppressant aboutissant à une totale perte d'identité et à son basculement progressif dans la folie.
A mesure qu'avance le récit, le papier-peint devient un véritable miroir de la condition de l'héroïne, lui renvoyant l'image d'une femme prise au piège qui n'aspire qu'à s'échapper de ce qui la retient prisonnière. En se conformant aux attentes de la société, à travers le mariage et la maternité, la narratrice s'est ainsi retrouvée privée de liberté et d'identité, incarnant dès lors la condition de toutes ces femmes de l'époque qui se sont senties enfermées dans le mariage et dépossédées de leur identité.
Sous la forme d'un récit semi-autobiographique, Charlotte Perkins dénonce donc le confinement mental et physique de la femme dans la société de l'époque victorienne. Un texte aussi court que pertinent, foisonnant de symboles, qui ne peut laisser aucune femme indifférente.
A découvrir absolument !
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