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Diane de Margerie (Autre)François-Xavier Jaujard (Autre)
EAN : 9782020062138
361 pages
Seuil (01/06/1982)
4.14/5   38 notes
Résumé :
Rook Ashover est un homme hanté. Hanté par l'intensité de ses liens avec la nature, par les trois femmes qu'il désire avec une violence sourde, par l'amour dévorant qu'il voue à son jeune frère Lexie, condamné par la médecine. Egaré par ses pulsions contradictoires, hésitant entre la culpabilité et le chagrin, le désir et le remords, la fidélité au passé et l'horreur que lui inspire une hérédité maudite, Rook ne se tient jamais bien loin de la folie.
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Mystique et sensuel !

Féérique est l'intrusion en nous de ce mystérieux livre, un peu comme l'arrivée de la neige ou de la brume, si différents de tout ce qui appartient à la terre ou au soleil, donnant une ambiance onirique. Comme si l'orbite mystique d'une lune inconnue au trajet de météore, pure et virginale, avait heurté notre âme, aux couleurs mêlées et entachées de péchés. Oui, ce livre, à la fois si bassement romanesque mais en même temps si hautement cosmique, empreint d'un lyrisme flamboyant, émet un halo de lumière, comme celui provenant de la neige, emplissant nos yeux d'une légère brume bleutée.

Ce qui m'a le plus marquée dans ce livre, au-delà de l'histoire très romanesque et délicieusement british, est la présence sensuelle de la nature. Rien n'échappe à l'observation de l'auteur, que ce soit la fleur éclose, son parfum, le brin d'herbe, le détail d'une poussière dans la lumière, la couleur de l'eau dans les flaques, le crissement de la neige sous les pas, les parcelles de givre accrochées aux branches, nous voyons tout, nous ressentons tout, nous humons tout.
Nous pourrions alors dire simplement que Powys décrit superbement cette nature mais ce n'est pas ça, ce n'est pas que ça. C'est bien plus qu'un simple talent d'observateur et d'écrivain. Les écrivains de la nature sont nombreux. Il s'agit souvent d'une nature humanisée, une simple image certes jolie, brodée de métaphores…mais là Powys va bien plus loin. L'écriture de Powys décrit des états de conscience élevés résultant d'une révélation mystique offerte par la nature, marqué par l'attachement de l'auteur pour l'occulte et une vision animiste du monde conférant à la nature une âme et un point de vue, voire une influence sur les êtres mêmes.
Le génie du livre réside là à mon sens. A la fois dans ces descriptions minutieuses mais aussi et surtout dans l'influence de la nature sur les êtres, ou encore dans leur osmose comme si les êtres s'accordaient à la nature ou vice-versa. Cela donne des gens versatiles, changeants, parfois au bord de la folie.
Pas étonnant qu'Henry Miller dise de Powys qu'il était « un titan possédé par le souffle des dieux ».

« L'arbre au-dessus d'elle était en fleurs et l'air bourdonnait d'innombrables abeilles. Toute la douceur de l'été précoce la pénétrait, et la délicatesse de chaque petit détail réveillant une note singulière de souvenirs. le vrombissement, qui cessa soudain, d'une grosse mouche bleue, le vol lourd et paresseux de deux vanesses, le vol plus rapide d'un grand machaon jaune, la blanche lueur nacrée des fleurs de sureau parmi les broussailles, qui dressaient leurs bouquets comme des calices transparents pour recueillir la quintessence diffuse de cette matinée dorée – tout cela, et quelque chose de plus encore, comme la fragrance anonyme et concentrée de toutes les fleurs des champs, boutons d'or et pâquerettes, qui, sans avoir d'odeur particulière, à cause même de leur nombre, doivent libérer leur essence parfumée dans les airs, tout cela envahit l'esprit de Cousine Ann et se mêla au désordre de ses pensées ».

Givre et sang, sinon, c'est le drame d'une lignée familiale sur le point de s'éteindre, ce sont les errements d'un homme tiraillé entre trois femmes au sein d'un domaine de haute lignée, ce sont les manigances et les calculs de ces trois femmes pour être aimées, c'est la tragédie d'un frère adoré qui se meurt. Givre et sang, ce sont surtout des paysages, des paysages de novembre, de brumes et de brouillards, de givres ensorcelants, de soleil froid, de fantômes au milieu d'un cimetière, de nuits de pleine lune et d'orages. Givre et sang, c'est le passage du temps, l'alternance des saisons, l'influence primordiale de la nature et de ses éléments sur les êtres. C'est tout ça entremêlé, Givre et sang.

Givre et sang raconte l'histoire d'une famille en train de s'éteindre en effet : Rook et Lexie sont les derniers descendants des Ashover. Lexie est à l'article de la mort, tuberculeux, obstiné à survivre mais ne pouvant procréer. Rook, son frère, lié à Lexie par un attachement dévorant, est un être plus sombre et fasciné par la voix des morts. Beau garçon taciturne, il a tout du héros romanesque et trois femmes lui tournent autour : sa compagne Netta qui ne peut donner la vie et est considérée comme une intruse et surtout comme une menace par la mère de Rook pour la perpétuation de la lignée, sa cousine Ann qui serait la promise légitime pour se marier avec lui et lui donner un fils, la jeune Nell, femme du pasteur, qui éprouve un désir physique pour le jeune homme. Les femmes sont sources de passions destructrices chez Powys. Rook lui répugne à l'idée de mariage, de paternité, de responsabilités et de sa perte de liberté. Il est en cela proche du pasteur nihiliste en train d'écrire sur l'extinction souhaitable de toute vie, le retour au néant : la Destruction, oeuvre grâce à laquelle, contradictoirement, il pense perdurer.

Givre et sang mêle sans arrêt l'antagonisme entre la vie et la mort, entrelace les deux facettes de cette même réalité du destin, laissant aux être la liberté de perpétuer la vie ou non…

" Ce jour d'automne engourdi, opulent et immobile, répondait parfaitement à son état. Ces pommes et ces poires qui mûrissaient un peu plus chaque jour parmi les branches couvertes de lichen, ces noisettes qui devenaient plus grosses et plus sombres sous leurs feuilles recroquevillées, ces champignons qui avaient surgi si soudainement dans l'herbe grasse des prairies que même ceux qui connaissaient leurs cachettes étaient surpris de leur apparition - la sensation que toute cette vie l'entourait et l'enveloppait apaisa et libéra son esprit, comme si elle (Lady Ann) pouvait enrichir sa propre vitalité en puisant dans l'immense fécondité de la nature. "

John Cowper Powys, écrivain britannique du début du 20ème siècle, au caractère complexe et tourmenté, parfois à la limite de la folie, adversaire farouche du monde moderne et chantre inspiré d'un érotisme polymorphe, est le poète des forces impersonnelles, agissant en l'homme même. Son mysticisme n'est jamais abstrait, jamais alambiqué, mais au contraire d'une incroyable et simple sensualité. Pour lui, le réel n'est jamais lisse, mais champ de forces, de tensions, torsions, contradictions, dont nous sommes partie prenante. Son oeuvre est marquée par une atmosphère légendaire d'inspiration celtique, teintée de gothique.
Un livre qui m'avait beaucoup marquée adolescente pour son côté romanesque, qui m'a émerveillée plus de trente ans plus tard, cette fois par cette manière sensuelle et bouleversante de toucher du doigt, via la nature, le sacré et l'indicible…
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Evidente porte d'entrée, façon fer forgé, à l'univers si particulier de ce très grand de la littérature britannique début-vingtième, alors en plein basculement : James Joyce ou bien Wyndham Lewis étant passés par là.
John Cowper Powys se dresse sur la pointe, entre classique et moderne, faisant avec les codes contemporains de l'intemporel, naturalisme et romantisme à l'air du temps.

Notre délicieuse et exaltée gardienne de phare en a déjà beaucoup dit dans sa critique emportée.
On y ajoutera quelques remarques, comme cette singulière justesse d'analyse, centrale dans ce livre, sur l'éternelle ambivalence des rapports entre les sexes ; opposition également entre Nature et Humanité, la première semblant railler de sa sublime indifférence les petits drames quotidiens de la seconde, continuant de déployer ses splendeurs issues de la Vie comme de la Mort, faisant face à ces consciences, chacune solitaire, tentant de l'embrasser, de s'y baigner, au mieux de s'en approcher, jusqu'à parfois réussir à s'y mêler dans une vaste communion… quand l'Homme accomplit enfin la fusion avec son environnement… ou bien serait-ce une illusion ?

Ces deux thèmes, faces ou bien pôles forment évidemment la trame symbolique de ce drame. Ils ne cessent de s'affronter, cédant alternativement à l'autre de petites victoires, vite balayées par le tourbillon des événements.
Chaque personnage est aussi finement ciselé que la description de la flore qui l'entoure.

Stylistiquement bien engagé, symboliquement très chargé, il ne laissera personne indifférent, raison et folie y étant intimement liées.
Le post-moderne le trouvera sûrement ampoulé et vieillot… tant mieux, lui qui n'a jamais passé seul une nuit en forêt ; tout de même, il en profitera pour étoffer son lexique botanique, tandis que les autres seront loin devant, emportés par la puissance brute de ce grand roman.
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D'une incroyable et inclassable puissance évocatrice.
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Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
Il y a quelque chose dans le mot printemps qui suggère non seulement la fragilité des pousses nouvelles, mais aussi ce monde humide, glacé, terreux, odorant de mousse, que les brins d'herbe couleur d'émeraude, les fourreaux et les dagues transparentes ont percé pour émerger enfin à l'air libre.
Le mot printemps, empreint comme il l'est du vert même des tiges de jacinthes, du bleu des œufs de fauvette, du reflet des pétales de chélidoines, est chargé d'une signification à la fois nostalgique et humaine : il oblige l'esprit à se replier, par-delà la supplication de chaque son et de chaque paysage printaniers, jusque dans l'obscure terre primordiale saturée de pluie d'où toute chose sont issues, jusque dans des lieux humides et froids où les baguettes cinglantes du coudrier frappent la peau, où le sol dissimule traitreusement ses marécages, où de jeunes oiseaux et de jeunes lapins sont dévorés par les faucons, où les effluves provoquent de dangereuses accalmies et le retour de douloureux souvenirs, où de noirs liquides empoisonnés suintent du tronc des hêtres, où les bourgeons des prunelliers sont autant de présages du destin, du malheur et de la mort subite.
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Les vêtements mouillés des deux femmes imprégnaient la pièce d'une odeur triste et mélancolique, où se mêlaient les feuilles tombées, les ornières boueuses et la brume enveloppante. L'humidité qui persistait autour de leur corps semblait, par une attraction irrésistible, appeler à travers la petite fenêtre la grande masse mouvante de la pluie.
Les charbons rougeoyants dans l'âtre perdaient de leur chaleur et la lueur rose que reflétait la bibliothèque encombrée s'atténua. Le démon bleu de la flamme qui dansait comme un papillon endiablé au sommet des charbons faiblit et mourut. Un grand visage aveugle et fluide s'écrasait contre la vitre - l'informe visage gris de la pluie. On eût dit qu'un bras fantomatique, ondoyant et obscur, glacé comme celui d'un cadavre, tâtonnait pour s'agripper à ces deux silhouettes ruisselantes, comme si, transpercées par l'eau, elles n'appartenaient pas à la chaude intimité humaine mais aux champs noyés du dehors.
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Les étranges hiéroglyphes inscrits sur la face de la lune semblaient sur le point de lui révéler, à lui seul parmi tous les humains, un des secrets de l'univers. Alors qu'il le contemplait, l'immense disque d'argent se fit plus proche, plus grand, plus brillant. Cessant d'être un satellite de la terre, le simple miroir d'un soleil invisible, il devint un lac circulaire et lumineux qui l'attirait vers lui, qui l'attirait en lui. Le ciel bleu-noir autour de la lune devint un rivage à la pente glissante, sans aucune saillie, aucune lézarde à laquelle Rook pût s'agripper : rien qui arrêtât sa chute rapide, fatale, totale, dans ce gouffre magnétique !
Il eut mal à force de renverser la tête, mais ses doigts ne lâchèrent pas le parapet. Un oiseau nocturne déployant son vol concentrique au-dessus de lui aurait confondu son visage avec une parcelle inanimée de blancheur, dressée là comme un signe dans la nuit.
Rook demeurait immobile, ensorcelé. Et une étrange correspondance s'établit entre le visage blême qui regardait la terre et le visage blême qui regardait le ciel.
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Le visage de Hastings refléta une violente lutte intérieure : les veines de son cou se tendirent comme une corde de fouet, des gouttes de sueur parlèrent sur son front, son teint se colora brusquement puis redevint pâle, et ses doigts qui jouaient avec un couteau d'argent en courbèrent la lame jusqu'à ce qu'elle parût sur le point de se rompre. Il demeura pétrifié, respirant avec effort comme un être au bord d'une crise. Les femmes le regardaient en silence ; toutes trois semblaient savoir qu'une seule étincelle suffirait à mettre le feu aux poudres, et dans ce silence, le tourbillon de leur penses évoquait trois phares de couleur différente projetant leur lumière sur une mystérieuse tempête.
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Il longea le bord du fossé, cherchant une planche pour le traverser, mais il n'y avais pas de planche : rien qu'un autre fossé noir plus large que le premier. Il connut un moment étrange, atroce, pris au piège là entre ces deux fossés noirs. Les roseaux étaient pourris depuis longtemps, et leurs tiges brunes se dressaient, tordues comme les plumes du crâne d'un oiseau obscène dont le squelette aurait été happé par la boue. Les feuilles mortes des saules avaient presque comblé l'un des fossés, sur l'autre flottait la branche morte d'un aulne, et de tous côtés s'élevait une lourde odeur pestilentielle qui semblait être l'ultime émanation d'un monde à la chair décomposé.
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Vidéo de John Cowper Powys
« C'est afin de savoir si je pouvais exprimer avec suffisamment de clarté des sentiments ressentis très tôt et les justifier avec assez de force que j'en suis venu à écrire ce livre ; comme pour faire de ces sentiments une sorte d'incantation, à même de chasser chez ceux dont la nature s'apparente à la mienne les démons particuliers qui m'ont assailli […]. Comme j'ai été suffisamment chanceux pour échapper à une telle existence et revenir à une vie plus naturelle, je me vois confier, tel un cadeau reconnaissant au destin, la tâche de fournir à ceux se trouvant encore dans la situation que j'ai connue un certain nombre de formules magiques, grâce auxquelles, peut-être, ils pourront exorciser leurs pires démons. J'écris ainsi en connaissance de cause, à partir d'expériences accumulées de résistance à la vie moderne, consolidées en habitude mentale […]. […] nous en venons tellement, dans la grande cité moderne, à nous cogner la tête contre les murs, nous sommes si assourdis par le tumulte, si saoulés de sa sexualité éhontée et de son alcool meurtrier, la confusion grégaire empêtre tellement nos nerfs dans ses scories, que la seule chose qui puisse vraiment nous aider serait une philosophie bien plus précise et radicale […] ; une philosophie réelle, forte, redoutable, sans rhétorique, une philosophie de l'introspection, de l'introspection métaphysique, qui se confronte au socle de granite de la situation ultime, dans sa réalité brute et nue. […] Les choses vont si mal que ce qu'il nous faut, ce sont des attitudes mentales claires, définies, qui sortent de la mêlée et nous fournissent, tels les vieux drapeaux en lambeaux, lacérés par la guerre, des symboles combatifs plutôt que des systèmes rationnels. […] le lecteur doit garder en mémoire que cet ouvrage se veut un moderne “Enchiridion” ou un “Manuel de contemplation dans la difficulté”. […] Plongeons donc […] dans nos âmes et soyons seuls, dans cette Solitude qui peut créer et détruire sans recourir à la violence. […] » (John Cowper Powys [1872-1963])
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Référence bibliographique : John Cowper Powys, Une philosophie de la solitude, traduit par Michel Waldberg, Éditions Allia, 2020
Image d'illustration : https://www.abebooks.com/first-edition/John-Cowper-Powys-Selection-Poems-Published/30698385168/bd
Bande sonore originale : So I'm An Islander - The White Troll And The Dead Tree The White Troll And The Dead Tree by So I'm An Islander is licensed under a CC BY-SA 3.0 Attribution-ShareAlike 3.0 license.
Site : https://www.free-stock-music.com/soimanislander-the-white-troll-and-the-dead-tree.html
#JohnCowperPowys #UnePhilosophieDeLaSolitude #PhilosophieAméricaine
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