1 Bérénice
Ecoutons Muriel Mayette comparer "Andromaque" et "Bérénice": « Deux oeuvres si différentes : l'une cherchant le pardon, l'histoire des amours vierges et des idéaux impossibles, la pièce des revirements et des pulsions destructrices, l'autre, chagrin des amours consommées et périssables, déroulé d'une nuit pour un départ, aucun rebondissement, aucune surprise, mais le long deuil des sentiments. »
Rien ne définit mieux " Bérénice" que l'expression "long deuil des sentiments". La musique hypnotique de l'alexandrin et la lenteur d'un inexorable adieu agissent sur le spectateur comme un charme puissant....ou pas! Voilà une tragédie sans passion, sans péripéties, sans destin, sans affrontements, rien qu'une tristesse infinie, la petite musique des larmes que nous faisait déjà entendre Andromaque sur la tombe d'Hector, mais sans les rugissements des grands fauves Pyrrhus et Hermione pour couvrir sa voix...
Titus aime Bérénice et Bérénice aime Titus, ils ne sont séparés que par la raison d'état..on est aussi dans la fable politique adressée au monarque Louis XIV qui eut le "courage" de rompre avec Marie Mancini pour les mêmes raisons d'état, et sut se montrer grand, ce faisant..
Cela ne nous touche plus guère, alors que les dilemmes d'Hermione ou les chantages de Pyrrhus continuent de nous bouleverser...raison pour laquelle je choisis toujours soigneusement les mises en scène et les interprètes de Bérénice avant d'aller revoir cette pièce que j'aime mais qui, sauf distribution hors pair -Ludmilla Mickaêl et Didier Sandre, par exemple! - m'ennuie toujours un peu...
2 Britannicus
Qu'être un fils-à-maman est une douce chose !
La grâce, dans ses bras, et l'amour se reposent !
Vous êtes le plus grand, vous êtes le plus beau !
A vous, tous les talents ! Vous êtes sans défaut !
Votre col est taurin, votre nez est trop rond ?
Vous êtes plein de force, vous êtes son Néron !
Vous êtes lunatique, vos rêves sont bizarres ?
Vous effrayez les filles, elles ont des cauchemars,
Vous aimez les surprendre souvent au saut du lit ?
Surtout quand il s'agit de la douce Junie,
Cette jeune captive, dans le simple appareil
D'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil…
Ah, vous avez tôt fait d'en faire votre idole
Et ce n'est pas seulement dû à son baby doll !
Vous êtes un peu rebelle, alors votre Maman
Vous a doté de deux tuteurs fort compétents :
L'un est le grand Burrus, bourru et irritant,
Barbon que ses conseils ont rendu bien barbant,
L'autre a un nom de fleur, mais il sort du fumier,
On dit que de Maman il sut se faire aimer,
Mais là, c'est vous qu'il sert, ses intrigues il tisse,
Il espionne partout, le perfide Narcisse !
Mais depuis quelque temps Maman vous fait la tronche,
Se méfie de vous comme d'un cheval qui bronche :
Elle vous caresse moins, vous parle de travers,
Réserve ses câlins à votre demi-frère…
Ah quel ennui vraiment : mais qu'a donc ce minus ?
Qu'est-ce qu'on peut lui trouver, à ce Britannicus ?
Si Maman s'en entiche, adieu tous vos pouvoirs !
Car il est fils de Claude, allez donc vous faire voir !
Ce Claude, ce tonton, que Maman épousa
Et tua. Oui : Ad augusta per angusta,
Disait votre Maman. Avant, elle prit soin
De vous faire adopter, vous le bâtard taré
Et de déshériter le Britou , l' Octavie :
Vous étiez donc promis aux couronnes qui brillent…
Mais voici qu'elle change, cette mère redoutée,
Elle vous fuit, elle vous craint, que peut-elle mijoter ?
Si un fils- à -maman est une douce chose,
Si c'est pour un garçon une vallée de roses,
Il est un cas pourtant où l'on fait grise mine :
Quand on est le fiston de maman Agrippine !
Hauts les coeurs, point de peur, quand on est un Néron,
On se jette hardiment dans l'arène, voyons !
Demandez à Locuste, la savante en poisons
Qu'elle vous débarrasse du petit avorton,
Qui n'a qu'un seul atout, le pauvre rejeton,
C'est bien d'être orphelin : pas de mère crampon !
Et c'est votre Maman qui joue les chaperons !
Il lui en cuira donc : vous abattez la tour !
Britannicus se tord devant toute la cour,
Il a bien mal au ventre, il geint, il va mourir..
Maman a tout compris, mais elle sait se tenir :
Pas un mot, pas un geste, elle demeure sereine…
A vous de renverser après ça votre reine
Dans ce grand jeu d'échecs qui se joue entre vous :
Etre un fils-à-maman c'est dangereux comme tout !
3 Les Plaideurs
Dans mon adolescence, quand je croisais mon père , la robe noire sous le bras, qui partait dès potron-minet après une rude nuit passée à répéter ses plaidoiries en arpentant son bureau, je lui lançais , comme un rituel:
"Mais où dormirez-vous, mon père?"
"A l'audience!" me répondait-il, invariablement.
Pendant longtemps ce furent les deux seuls vers des Plaideurs que j'eusse (!!) connus... Je devais bien faire à ce rite filial un hommage tardif : chroniquer la seule comédie du sévère Racine, janséniste austère et tragédien tourmenté..
Dans les Plaideurs, Racine se lâche et nous fait du Molière!
Au milieu d'une bande de valets imbéciles, et de fous furieux frappés de manie procédurière- une vraie psychose, si, si, elle existe!- un jeune couple , Léandre et Isabelle, deux jeunes gens raisonnables et néanmoins amoureux, essaient de trouver un truchement pour se marier...
On ne prend pas les mouches avec du vinaigre: pour appâter leurs pères, l'un chicaneur de profession, l'autre juge à la cour , maintenu sous ...séquestre par les siens pour l'empêcher de juger jour et nuit, nos deux amoureux lancent un simulacre de procès- un chien est l'accusé- ....et font signer leur contrat de mariage par la même occasion.
On est dans la grosse farce plus que dans la comédie fine, - un des modèles de Racine est Aristophane qui n'a jamais reculé sur la gaudriole ou la scatologie- et les chiens, même en comparution directe, ignorent tout des lois de bienséance:
"Quels vacarmes! Ils ont pissé partout!"
Mais la charge des milieux de justice est vive: corruption, intrigues, prévarication, et celle des hommes de lois, féroce : juges à enfermer, plaideurs - et plaideuse- à lier, greffiers et huissiers analphabètes, avocats sans mémoire -que le Souffleur du théâtre, sorti de son trou, par une surprenante mise en abyme, vient sortir de LEURS TROUS...de mémoire :
"Dandin: Vous?
Le Souffleur: Je viens secourir leur mémoire troublée.."
La charge est enlevée...mais je dois quand même avouer que malgré ma petite madeleine filiale ce n'est pas un chef d'oeuvre...
Racine n'est ni Molière ni Aristophane: il reste avant tout un tragédien, et, pour moi du moins, le plus grand- avec Shakespeare.
Commenter  J’apprécie         154