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EAN : 9782020863803
336 pages
Seuil (03/08/2006)
4.24/5   21 notes
Résumé :
Tout au long du XXe siècle, les enfants, dans leurs poussettes, ont fait face à l'adulte qui les promenait. Jusqu'aux années 70, où un retournement massif est intervenu : brusquement, on s'est mis à orienter les enfants vers l'avant. Pourquoi cette inversion ? La question, sous ses apparences anodines, nous entraîne dans une enquête inattendue et passionnante au cœur du monde contemporain. La démocratie et la science, nos références cardinales, ont contribué conjoin... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
« Il faut que l'homme se sente d'abord limité dans ses possibilités, ses sentiments et ses projets par toutes sortes de préjugés, de traditions, d'entraves et de bornes, comme un fou par la camisole de force, pour que ce qu'il réalise puisse avoir valeur, durée et maturité. » (Robert Musil, L'homme sans qualité)


Quelle que soit la raison invoquée pour expliquer que cette sagesse n'ait plus cours (éloignement du Principe, homme considéré comme une marchandise, déracinement, intolérance progressive du corps et de l'âme aux agressions ordinaires, etc.), Olivier Rey consacre son ouvrage, publié en 2006, au fantasme de l'homme dit moderne : sorti de nulle part, l'homme 2.0 ne se reconnaît aucune dette symbolique. La toute-puissance lui semble permise. Il la mérite, puisqu'il est, sans qu'il ne le sache, le rêve des générations qui l'ont précédé.


Le fantasme de l'être auto-engendré n'est pas nouveau mais il suffisait, aux possédés de l'imaginaire d'antan de pousser leur délire un peu trop loin pour être rattrapés par la réalité. Depuis quelques décennies cependant, les supposés progrès de la technique soutiennent ces possédés dans leurs revendications qu'ils n'élucident que du point de vue manifeste, et jamais latent. le développement des techniques de procréation médicalement assistée, la biométrie, l'humanité augmentée ou la transition d'un sexe biologique à l'autre prétendent repousser les limites de la condition humaine – mais ne nous incitent pas à nous demander si nous les repoussons vers le haut ou vers le bas, sans doute parce que la réponse est trop évidente.


« Bientôt, les femmes n'auront plus besoin de porter leurs enfants, ni de père pour procréer », s'enthousiasmait Bernard Debré en l'an 2000, année du grand bug. Ce rêve devrait être l'aboutissement d'un parcours, préparé depuis quelques siècles, de destitution du père, c'est-à-dire de dénigrement de la métaphore paternelle, qui permet à tout nouveau-venu au monde de s'inscrire dans l'ordre symbolique qui lui préexiste. Comble de l'ironie, à mesure que cette destitution devient plus évidente et que le père s'efface, la revendication au matriarcat par les féministes et par les hommes qui, tels des loups dans la bergerie, espèrent tirer profit de leur compromission auprès de l'ennemie, se montre de plus en plus pressante. La daube du moment devrait être remplacée par la daube de demain, celle-ci ne paraissant pure que d'être encore imaginaire.


Le fantasme de l'être auto-engendré ressort de l'incapacité psychologique à se satisfaire de ses limitations, à leur trouver un sens, à les faire coïncider avec le plaisir de se sentir vivant. L'homme, à force d'être au service de l'outil puis de la marchandise, finit par se considérer lui-même comme un machin manufacturé censé conférer, sur le mode du discours capitaliste, la pleine-puissance d'être à celui qui s'en saisit. Prises dans une vision linéaire du temps, calquée sur les progrès des bureaux de recherche et développement, les moeurs et les valeurs du passé sont considérées comme obsolètes. Update your pathetic life. Certes, le passé n'était pas plus idyllique qu'aujourd'hui mais la transmission symbolique, qui agissait d'une génération à l'autre, assurait la prise du sujet dans la lignée de ses ancêtres et le projetait dans la perspective d'une descendance. Vision du monde aujourd'hui vaine : une folle solitude nous tenaille. Quand bien même nous voudrions croire aux valeurs d'antan, nous n'y parvenons plus vraiment.


Rejeter le passé en tant que constitué par ceux qui nous ont précédé conduit à se rejeter soi-même en tant qu'être fatalement voué à la désuétude. le temps passe, le vide s'élargit autour de nous : l'homme moderne se voulant autosuffisant découvre l'impasse de son être-marchandise. « Être absolument moderne, c'est être l'allié de ses propres fossoyeurs », écrivait Milan Kundera. Ne s'étant attaché à rien en particulier, rien n'est attaché à lui, et son existence sur terre aura été la plus absurde qu'il soit, ainsi que le peint Michel Houellebecq dans ses romans. « Je suis salarié, je suis locataire, je n'ai rien à transmettre à mon fils. Je n'ai aucun métier à lui apprendre, je ne sais même pas ce qu'il pourra faire plus tard ; les règles que j'ai connues ne seront de toute façon plus valables pour lui, il vivra dans un autre univers. Accepter l'idéologie du changement continuel, c'est accepter que la vie d'un homme soit strictement réduite à son existence individuelle, et que les générations passées et futures n'aient plus aucune importance à ses yeux. »


Olivier Rey attache sa critique du monde moderne à de solides références philosophiques et littéraires. Il reste dans le champ de la philosophie et se soutient d'une rigueur logique formelle qui révèle en creux par quelles failles émotionnelles le discours progressiste a pu s'insinuer pour établir si puissamment son hégémonie.
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Voilà un texte sur lequel il est bien difficile de donner une opinion tranchée.
Incontestablement brillant - au sens où chaque phrase transpire le style et l'éclat de l'intelligence et de la culture de son auteur -, abordant mille sujets différents, “Une folle solitude” a aussi les défauts de ces essais un peu trop littéraires pour être pleinement convaincants.
L'essai est conçu comme une longue dissertation (divagation ?) à partir d'un fait de société : les enfants dans les poussettes sont aujourd'hui tournées vers le monde, alors que jusqu'aux années 1960 elles étaient systématiquement tournées. Ce format - que j'ai connu en classe préparatoire avec les cours improvisés de mes profs de philo et de français - m'a toujours semblé artificiel, difficile à comprendre et en fin de compte assez peu convaincant. Sans vraie structure hormis ce fil rouge, l'essai part en digressions, certes savantes et très souvent passionnantes, mais digressions quand même, sur des sujets dont on peine à voir le lien avec le thème initial.
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Un ouvrage à la fois plaisant à lire et riche en analyses. Une critique pertinente de la modernité hors des sentiers battus par les idéologies majeures du siècle. Olivier Rey mobilise aussi bien la culture classique (Homère, Sophocle, Virgile, Saint Paul, Montaigne, Rousseau, Flaubert, Camus, Kundera) que la culture populaire (Terminator, La Mouche, Calvin et Hobbes, Alien...) dont il fait une lecture riche de sens. Un bel effort de synthèse qui témoigne donc d'un esprit ouvert. J'ai découvert Olivier Rey par quelques conférences disponibles sur Youtube. Elles sont une excellente porte d'entrée dans sa pensée. Merci M. Rey, penser avec vous est un régal.
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Selon Girard, c’est le judéo-christianisme qui nous a appris à repérer le mécanisme sacrificiel par lequel les sociétés conjurent la violence mimétique en la polarisant sur une victime émissaire. La Bible hébraïque et les Evangiles révèlent ce qui doit demeurer caché pour que le procédé jouisse de sa pleine efficacité : la victime qu’on élimine est innocente de la gangrène sociale dont on la rend responsable. […]
En retirant aux sociétés humaines l’usage libre et innocent d’un moyen aussi efficace pour se purger de la violence mimétique qui menace périodiquement de les emporter, le judéo-christianisme a davantage fragilisé ces sociétés qu’il ne les a renforcées. […]
Contre le déchaînement de la violence mimétique, les sociétés modernes, interdites de rites sacrificiels – ou plutôt, très contraintes sur ce chapitre – ont dû recourir à d’autres instruments de régulation sociale. Entre autres, la production de masse, chargée de calmer momentanément – très momentanément – l’envie ; l’apparition d’une instruction obligatoire prolongée, dont une des fonctions est d’inculquer à tous les enfants les principes de la vie commune ; la place croissante prise par le droit, saisi de tous les conflits et appelé à les trancher avant qu’ils puissent s’étendre ou prendre de dangereuses proportions ; le développement de la police, veillant au respect des lois et arrêtant les contrevenants, ainsi que la multiplication des prisons maintenant ces derniers à l’écart. Sans parler d’une multitude d’autres instances régulatrices comme les hôpitaux psychiatriques, l’industrie pharmaceutique pourvoyeuse de neuroleptiques, l’industrie des loisirs charge d’épuiser les surplus d’énergie en dérivatifs inoffensifs.
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Lorsque Husserl a écrit, dans les années 1930, La Crise des sciences européennes, il reconnaissait qu’il y avait un paradoxe à parler de crise pour des disciplines qui, à l’époque, étaient florissantes et attiraient les étudiants de talent en grand nombre. La crise qu’il diagnostiquait était d’abord une crise de sens. À ce titre, elle fut considérée par beaucoup comme une fantaisie de philosophe. Il se trouve qu’aujourd’hui la crise prend un tour plus concret. Dans l’ensemble des pays occidentaux, la désaffection des nouvelles générations, arrivées à l’âge d’entrer à l’université, pour les études scientifiques, ne cesse d’augmenter. Quelle ingratitude ! Des générations qui, de toutes celles qui se sont succédé sur terre depuis l’apparition de la vie, sont celles qui ont le plus bénéficié des apports de la science. Et pourtant, le fait est là : arrivés à l’âge d’entrer à l’université, les enfants élevés dès la poussette selon les bonnes stratégies cognitives et les méthodes pédagogiques développant leur esprit expérimental, ont tendance à se détourner des matières scientifiques. Le nombre d’étudiants, certes, ne s’est pas écroulé. Mais il faut tenir compte des nécessités économiques : les études scientifiques offrent des débouchés professionnels assez larges, ce qui, dans un contexte marqué par les risques de chômage, amortit grandement un mouvement qui sans cela prendrait une autre ampleur, peut-être comparable à l’effondrement des pratiques religieuses dans les années 1960. De plus en plus, les départements scientifiques des universités comblent leurs vides avec des étudiants et des enseignants issus des pays dits en développement. Étrange situation, quand on sait que le complexe de supériorité de l’Occident est essentiellement fondé sur la science et la technique ! Les gouvernements commencent à s’émouvoir. Non que l’état de la science les préoccupe en tant que tel : leur souci principal est la santé de l’économie. Mais justement. L’économie libérale a besoin de croissance ; la croissance a un besoin périodique, pour se soutenir, de percées technologiques ; ces percées ne peuvent venir que de la science. C’est ainsi. Sans cela, écroulement prévisible et durable des indices boursiers. D’où frémissements dans les milieux dirigeants. Des campagnes sont imaginées pour sensibiliser les jeunes, leur redonner le goût des études scientifiques. Des débats sont organisés, des tables rondes, des colloques.

Selon le modèle dominant – une conception économique libérale de la société et des êtres qui la composent –, la désaffection pour les études scientifiques est tout sauf mystérieuse. Si les individus sont des agents économiques aux initiatives dictées par des arbitrages rationnels, visant à maximiser une fonction de satisfaction dont le premier critère est la prospérité matérielle, quiconque est en mesure de s’engager dans une voie scientifique a de quoi s’interroger. Sur le versant académique, les carrières sont difficiles, le capital intellectuel mal rémunéré. Dans le domaine industriel, le centre de gravité s’est déplacé de la production à la finance, au management, à la vente, entraînant perte d’influence et de reconnaissance pour les compétences scientifiques et techniques. Au nom de quoi, dans ce contexte, entreprendre des études longues et exigeantes ? Selon les théories économiques en cours, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’une telle personne se détourne des sciences. Pourquoi tomber des nues ? Sur quels ressorts comptait-on jusqu’à la fin du XXe siècle pour que les scientifiques en puissance dédaignent la logique économique ?
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La plénitude de l’être humain, peu frappante au niveau individuel, ne semble pas non plus réalisée à l’échelle collective. Les moyens matériels en Occident ont crû de façon gigantesque, mais au lieu qu’ils permettent à l’humanité de choisir son destin, ils semblent tracer devant elle une ornière où le gouvernement des hommes par eux-mêmes se résume à l’accompagnement d’un mouvement qu’on a renoncé à orienter et contrôler, aussi inquiétant qu’il puisse être. Concernant les traces laissées sur la terre, un instant de réflexion montre que le legs le plus visible et durable du XXe siècle à ses successeurs est l’étendue des surfaces goudronnées. Une puissance sans précédent sur les choses n’a guère propagé la beauté : que l’on compare, en Europe, le centre des villes à leurs banlieues récentes, ou aux cités nouvelles. S’il fut des époques où, sans trop se concerter, les hommes construisaient des villes qui ressemblaient à quelque chose, aujourd’hui, plans minutieux et architectes diplômés accouchent de lotissements et de conurbations qui ne ressemblent à rien. Ce qui explique que les célébrations perpétuelles de la modernisation se doublent d’un attachement névrotique aux témoignages du passé, et d’une attirance panique pour les quelques régions du globe restées à l’écart du mouvement.

Le propos n’est pas ici de critiquer en bloc la modernité : ses plus grands pourfendeurs ne s’aperçoivent pas qu’ils sont installés en elle, et ne renonceraient pour rien au monde à ce qu’elle leur apporte. Ils négligent que, selon toute vraisemblance, dans une société d’Ancien Régime où le rang était une meilleure recommandation que la valeur, ils n’auraient pas été les précieux conseillers des princes qu’ils s’imaginent plus ou moins, mais des manants ôtant leur bonnet au passage desdits princes. Il s’agit de comparer la modernité à ses propres prétentions, et de constater qu’en regard des ambitions dont elle s’est réclamée, et de l’énergie colossale déployée, on reste loin du compte. C’est, selon Georges Bernanos, ce qu’on est en droit de reprocher à la société moderne : la déception qu’elle occasionne, « la disproportion scandaleuse des moyens dont elle dispose aux résultats qu’elle obtient ».
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Trotski a donné, en 1924, quelques aperçus sur la société idéale dont il prévoyait l’avènement. Il a évoqué en termes enthousiastes la société communiste accomplie qui, selon lui, « aura rejeté l’âpre, l’abrutissante préoccupation du pain quotidien, où les restaurants communautaires prépareront au choix de chacun une nourriture bonne, saine et appétissante, où les blanchisseries communales laveront proprement du bon linge pour tous, où les enfants, tous les enfants, seront bien nourris, forts et gais, et absorberont les éléments fondamentaux de la science et de l’art comme ils absorbent l’albumine, l’air et la chaleur du soleil ». Placé dans de telles conditions, « l’homme, qui saura déplacer les rivières et les montagnes, qui apprendra à construire des palais du peuple sur les hauteurs du mont Blanc ou au fond de l’Atlantique, donnera à son existence la richesse, la couleur, la tension dramatique, le dynamisme le plus élevé ». Le succès ne sera pas seulement collectif, mais individuel : « L’homme moyen atteindra la taille d’un Aristote, d’un Goethe, d’un Marx. Et au-dessus de ces hauteurs, s’élèveront de nouveaux sommets. »

L’idéal trotskiste s’est trouvé récemment reformulé par le porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire : « La révolution, c’est de permettre à l’individu de s’éclater complètement. » On notera la disparition des figures données en exemples – trop « grande culture », trop « mâles blancs morts », trop normatifs, coercitifs, pour ne pas dire réactionnaires – au profit d’une réalisation personnelle totalement originale. Que l’objectif soit d’élever l’homme moyen au niveau d’Aristote et au-delà, ou de lui permettre de s’éclater, force est de constater que l’Union soviétique, au cours de ses soixante-quatorze années d’existence, n’a pas accompli la promesse.
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Le retournement dans les poussettes le murmure à sa manière. On prétend œuvrer pour le bonheur des enfants. Mais, dans les poussettes ainsi conçues, ils ne sourient plus. A qui, à quoi adresseraient-ils leurs sourires ? Au monde ? De là où ils le découvrent, il n’y a pas de quoi rire. Au ras du sol, sans regard pour les rassurer, ils jouent le rôle d’étrave pour fendre la foule, pour frayer un chemin à travers la circulation urbaine. Impossible de parler. Et si jamais une souffrance ou un tourment s’emparent d’eux, ils pleurent dans le vide, sans aucun visage pour seulement réfléchir leur chagrin.
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