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EAN : 978B08B9QP7XT
59 pages
Gallimard (25/06/2020)
3.65/5   34 notes
Résumé :
En tant qu’il commande un respect absolu, le sacré se trouvait anciennement placé au-dessus de la vie. C’est pourquoi il pouvait, le cas échéant, réclamer le sacrifice de celle-ci. Comment la vie nue (c’est-à-dire le simple fait d’être en vie, indépendamment de ce en quoi cette vie consiste) en est-elle venue à prendre elle-même la place du sacré ?
Lors de l’épidémie de coronavirus qui s’est répandue sur la terre durant les premiers mois de l’année 2020, les ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Court essai sur la crise sanitaire actuelle. Souvent présenter l'essai écrit sur le vif sur la crise sanitaire actuelle le plus pertinent, il témoigne d'une bonne dose de lucidité malgré quelques travers regrettables.



Quel contexte ?

Olivier Rey ouvre son propos par un parallèle avec le XVIIème siècle. Les famines s'y succédaient sans que le pouvoir royal ne soit jamais mis en cause. Dans l'esprit des gens, ces tragédies étaient imputables à la nature, à de mauvaises conditions climatiques, mais le Roi n'avait rien à voir là-dedans !

Ce n'est seulement qu'à partir du XVIIIème siècle, lorsque l'administration royale se préoccupa de prévenir et atténuer les famines en comptabilisant les ressources qu'une tendance dans l'opinion se profila : « une propension à considérer qu'un défaut de subsistance est imputable gouvernement. Apparut l'idée, lorsque le pain venait à manquer, que ce manque était le résultat d'un 'complot de famine' » (p6).

Bref, au XVIIème siècle, les gens mouraient et on trouvait ça normal. Mais depuis que le Roi s'en est mêlé, il s'en retrouve accusé.

Certes le propos de Rey n'est pas de dire qu'on devrait tout également se contreficher aujourd'hui des famines, des épidémies, etc. Pour autant, l'auteur se garde de préciser qu'aujourd'hui le contexte économique n'est plus le même. Selon le sociologue suisse Jean Ziegler, l'humanité est aujourd'hui capable de nourrir 12 milliards d'êtres humains. Par conséquent, ainsi qu'il l'affirme, « un enfant qui meurt de faim est un enfant assassiné » 1.



« C'est ainsi : plus le pouvoir central porte secours aux citoyens, plus ceux-ci sont enclins à lui reprocher les maux dont ils souffrent » (p8). En réalité donc, Olivier Rey pointe la non responsabilité de l'État en matière d'alimentation. Ce qui se discute, effectivement.



L'Etat, tête de turc ?

Mais dans le fond, ce que vise Olivier Rey c'est la propension des gens à rendre responsable l'Etat de tous les maux dont ils sont accablés.

Selon lui, le problème est que les gens sont trop naïfs et croient l'État tout-puissant. On ne pourrait qu'être d'accord, s'il n'y avait pas cet arrière-fond moralisateur 2.



Revenant à la crise sanitaire qui nous préoccupe, Olivier Rey évoque le plan gouvernemental de 2006 de prévention et de lutte ''pandémie grippale''. Il fait pertinemment remarquer que celui-ci prévoyait des masques uniquement pour le personnel hospitalier, le reste de la population devant porter des masques en tissu lavables et réutilisables. Un détail qui a son importance et qui est rarement souligné. Car, depuis le début, si on accuse l'État de n'avoir pas refait les stocks, c'est pour se plaindre que ceux-ci font cruellement défaut à la population entière, et non au seul personnel hospitalier.

Olivier Rey renchérit :

« Un gouvernement de bon aloi aurait reconnu cette carence et appliqué, du moins, la part du plan qui était applicable, en préconisant à tous le port de masque en tissu confectionné avec les moyens du bord. Au lieu de quoi le gouvernement estimant que, dans la difficulté, il fallait renchérir dans les affections de toute-puissance, prétendit jusqu'à l'absurde qu'il dominait la situation, que tout était sous contrôle, et pour ne pas admettre le moindre manque, préféra prétendre contre tout bon sens que les masques ne servaient à rien » (p10).



Jusqu'ici, on est parfaitement d'accord : l'attitude du gouvernement Macron a été de surenchérir dans l'affection de toute-puissance que les citoyens attendent d'un État.



Mais là où le propos devient relativement malséant, c'est lorsque, par exemple, l'auteur émettant l'hypothèse que si le gouvernement avait commandé des milliards de masques, il affirme que les gens « se seraient indignés, la bave aux lèvres [sic !], qu'on aille engloutir les deniers publics… » (p10).

Une tournure de phrase cynique et méprisante qui, à mon sens, jette un doute sur l'intention de l'auteur.



Que le polémiste se moque des gens qui attendent tout de l'État-providence, y compris des masques, soit. Mais il est regrettable (et peut-être significatif ?) qu'il ne parle pas des nombreuses initiatives spontanées de confection et distribution gratuite desdits masques, certaines réprimées par la police (8 mai 2020, Paris XVIIIe).



Sur cette histoire de masque toujours, Olivier Rey pointe une autre raison :

« Il est vrai également qu'en appeler à la fabrication artisanale eut été contraire à tous les principes de l'économie moderne [...] qu'arriverait-il si les gens reprenaient l'habitude, au lieu d'être sans cesse fournis, de faire des choses par eux-mêmes ? » (p11).

Cela rejoint les propos d'Ivan Illich qui démontre dans Valeurs vernaculaires (1980) comment la domination étatique s'est développée sur les ruines de l'auto-subsistance, comment elle a détruit toute autonomie populaire pour lui substituer son omniprésence.


Autre passage problématique : réagissant au slogan du personnel hospitalier - '' le gouvernement compte ses sous, nous compterons les morts '' - Olivier Rey écrit :

« Comme si le gouvernement avait des sous bien à lui, qu'il gardait égoïstement pour son usage propre, comme si les sous dont il disposait n'étaient pas ceux de la nation. A titre personnel, je peux trouver certains choix du gouvernement mauvais, mais il ne me viendrait pas à l'esprit de lui reprocher de compter les sous : c'est bien le moins qu'on puisse attendre de ce qu'ils ont en main le porte-monnaie du pays » (p17).



Passage qui relève tout autant d'une affligeante naïveté que d'une rhétorique véritablement odieuse !

Naïveté : parler des « sous de la nation ». J'ignore s'il s'agit là de vieux relents de cours d'éducation civique des années 80 mal digérés ou d'une sorte d'humour plus qu'hasardeux. Non, l'argent public, une fois collecté, n'est pas remis à la Nation, mais à l'État qui le redistribue ensuite (ou non) à sa discrétion. Ce n'est jamais la Nation toute entière qui va décider collectivement de l'utilisation de ces sommes. Olivier Rey, dans son obstination pour exempter le Gouvernement de toute responsabilité, se pare de termes faussement neutres.

Bassesse : peut-on feindre de ne pas voir là une insulte envers le personnel soignant ?

Bien sûr que si, le gouvernement compte ses sous mais seulement quand il s'agit des services publics ! A l'inverse, il dépense sans compter en faveur des grandes entreprises, des milliardaires… Là est la critique portée par les personnels soignants, mais là-dessus pas un mot d'Olivier Rey.

Il y a là une bataille politique que l'auteur, derrière sa rhétorique moralisante, élude totalement.

Et en l'occurrence, je ne suis pas convaincu qu'il y ait quelque chose de « naïf » à exiger que nos impôts servent à protéger la population (acquisition et distribution de masques) plutôt qu'à une vorace minorité « qui frôle l'inexistence statistique » 4. Feindre d'oublier les milliards distribués à Renault, Air France, etc, pour gronder les soignants parce qu'ils osent réclamer des moyens (rappelons qu'on en est quand même arrivé à ce que Decathlon fournisse des masques de plongée ! 5), en ne disant pas un mot sur les conditions difficiles dans lesquelles les soignants exercent (comme si cela était une situation viable pour le personnel !), relève de la fourberie pure et simple, pour rester poli.

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A la fin de ce bref ouvrage, Antoine Gallimard, dirigeant actuel du groupe d'édition éponyme et héritier de la dynastie du même nom, indique se placer dans le sillage des Tracts des années 1930, manifestes politiques qui ont vu s'illustrer de grands auteurs, tels qu'André Gide, Thomas Mann ou Jean Giono. L'intention est louable, et sans doute y a-t-il certains exemplaires récemment sortis qui sont dignes d'intérêt (je l'espère en tout cas). En l'occurrence, étant donné qu'on a les dirigeants mais sans doute aussi les intellectuels qu'on mérite, je ne suis pas sûr que cet essai d'Olivier Rey fasse date, bien au contraire...

Pourtant je partais avec un a priori plutôt sympathique envers Olivier Rey. Cela fait très longtemps que j'ai envie de lire un de ses livres, et plusieurs d'entre eux attendent sagement dans ma bibliothèque. Je l'ai trouvé très bon quand il a été opposé à Laurent Alexandre dans l'émission Répliques de Finkielkraut, pourfendant avec raison – et talent – le transhumanisme prôné par ce savant fou qu'est Monsieur Alexandre.

Avec « L'idolâtrie de la vie », je tenais ma porte d'entrée pour les écrits d'Olivier Rey. Un opuscule court (pas vraiment un livre vu sa brièveté et la qualité très moyenne du papier – c'est un tract ou ça n'en est pas un !), qui semblait tomber à point nommé : inciter à réfléchir sur ce tsunami qu'a été la crise du Covid-19. Mais premier hic : le quatrième de couverture. Un résumé sur un ton très péremptoire qui laissait présager bien des raccourcis de pensée… Mais aussi la date de la fin de sa rédaction et de sa publication : juin 2020. Soit en plein milieu de la crise… Je défie quiconque dans le monde, à cette période, d'avoir un avis définitif et implacable sur le sujet…

Or chaque crise étant source d'opportunité (paraît-il), l'épidémie de Covid a poussé tout un chacun à écrire son livre sur le sujet (ou pire, à publier sa vidéo YouTube ou TikTok…), trahissant un manque d'humilité certain – et une avidité certaine ? – car qui peut s'enorgueillir de pouvoir dresser un bilan juste et complet de la situation en 2020, en plein coeur de la pandémie ?

Manifestement pas Olivier Rey. Oh il s'agit d'un penseur et d'un esprit brillant et érudit, c'est certain. D'ailleurs, même si son tract m'a vraiment déçu, je conserve tout de même de la sympathie pour lui et je sais que certaines de ses analyses sont très pertinentes, il y en a d'ailleurs quelques-unes dans ce bouquin.

Mais certains des raccourcis qu'il opère m'ont sidéré. Il fait même à plusieurs reprises preuve de sophisme, un terme dont je n'aurais jamais pensé l'affubler un jour... Par exemple, lorsqu'il indique que pendant la pandémie, le service rendu au mort a été plus que limité, il compare cette situation à l'honneur rendu aux morts tombés au combat du temps de la Grèce Antique. Un peu plus et il nous ressortait « Antigone » de Sophocle, des trémolos dans la voix (extraordinaire chef-d'oeuvre au demeurant).

Mais il compare des choses absolument incomparables ! Déjà, considérons la distance qui nous sépare en termes de temps et de mentalité des contemporains de Thucydide ! Et pourquoi ne pas comparer plutôt la situation en tant de Covid aux épidémies massives telles que la Peste Noire ou plus proche de nous la Grippe espagnole ? Est-ce que dans ces périodes on installait les malades ou les morts à la maison en veillant des jours entiers auprès d'eux ? A plus forte raison s'ils étaient contaminés ? Il m'est avis qu'en observant attentivement la situation lors de la Grippe espagnole, il y a pas mal d'arguments d'Olivier Rey qui se dégonfleraient d'eux-mêmes…

Alors oui, c'est sûr qu'en comparaison, la Grèce Antique et son honneur plein de lustre c'est bien plus glorieux ! Dommage que plusieurs comparaisons hâtives et plusieurs jugements sentencieux de cet acabit polluent cet ouvrage… Dommage aussi que le tout soit aussi confus, Olivier Rey passant régulièrement du coq à l'âne et tentant des grands écarts intellectuels qui peinent à convaincre.

Sa démonstration sur les attentes démesurées des citoyens face à l'État et aux grands domaines qu'il administre, tels que la Santé, l'Éducation, ou encore la Justice, est très intéressante et plutôt bien menée. Mais après il trébuche sur la notion de Progrès, se lançant dans une diatribe anti-technologique que je trouve forcenée (même si pertinente sur certains points). Il est évident que c'est un disciple d'Ivan Illitch, un penseur lui aussi brillant mais que je trouve beaucoup plus discutable qu'on ne le laisse penser aujourd'hui…

En bref, il y a à boire et à manger dans ce livre, du bon et du beaucoup moins bon. Je ne tiens pas à en faire un résumé ou un contre-argumentaire point par point. Je tiens juste à exprimer ma profonde déception qu'un intellectuel tout de même courageux et intéressant (il me semble) comme Olivier Rey se soit abaissé à sortir à la va-vite un essai dans l'air du temps qui n'apporte strictement rien, ou si peu, au débat. Ce qui confirme la prudence qui devrait être de mise chez tous les personnages publics lorsqu'ils prennent la parole sur une crise aussi complexe que celle du Covid-19, ou toute autre crise – ou sujet – d'ailleurs. Mais ça n'a pas l'air d'être une source de tracas pour ce genre de personnes...
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Ce tract-gallimard est entré dans ma bibliothèque parce que mon mari l'a acheté par erreur. Je m'en débarrasse car l'auteur peine à me convaincre. Je trouve en effet son propos "à côté de la plaque". Il est confus, mal aiguisé, mal informé donc hors-sujet.

Il y aurait tant de choses à contester dans cette brochure; à commencer par le diagnostic erroné qui, du coup, fausse tout le raisonnement. Olivier Rey estime que nous sommes coupables d'exiger beaucoup de l'État, que nous manquons d'autonomie et qu'à trop vouloir des institutions, nous perdons en liberté. Il ajoute que notre idolâtrie de la vie nous empêche de vivre avec et parmi la mort. Il en ressort que nous sommes dans la servitude complète par rapport à nos gouvernants qui en profitent pour accélérer le mouvement (de servitude) au lieu de le freiner, de l'annihiler. Résumé ainsi le propos pourrait avoir un sens mais il n'en a pas, à mes yeux en tout cas, car les exemples servant à illustrer son propos ne sont pas pertinents.

Je ne suis pas d'accord: exiger un service public de qualité n'est pas "trop exiger" de l'État. C'est le minimum que l'on puisse lui demander. Ce n'est pas une marque de servitude mais bien au contraire l'affirmation d'une puissance citoyenne qui veut établir une solidarité plus performante. Quant au confinement et à son respect, il n'est pas le révélateur d'une idolâtrie de la vie, d'une "désacralisation" de la mort ou l'énième marque d'une servitude volontaire, il est l'action ultime d'une société contre une pandémie qu'elle ne sait pas autrement gérer faute de moyens et d'imaginations. le confinement manifeste une faiblesse, il est un aveu d'impuissance. Il ne révèle rien d'autre que notre incapacité à penser les crises sanitaires. de surcroît, il a été employé dans d'autres époques, d'autres sociétés plus religieuses, croyantes et capables de faire avec l'idée de la mort. le penser en lien avec notre conception de la mort est donc pour moi hors sujet.

Le soucis des autorités n'est d'ailleurs pas le nombre de morts. Leur crainte ultime est la saturation des hôpitaux publics. Une saturation qui engage leurs responsabilités et pose des problèmes d'ordres éminemment éthiques.
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Dès les premières pages, on sent qu'on tient là un bouquin sujet à polémique. Beaucoup de grands thèmes de sociétés et de morale mélangés en une forme de pensée assez synthétique.
Du coup, les signaux de danger s'activent... Qui est ce gars ? Petite recherche internet : ok, plutôt des interviews dans des magazines style le figaro, valeurs actuelles, etc. Méfiance.
En fait, tout comme dans des essais de style zemouriens, on ressort partagé. Parce qu'entre les passages on l'on cerne clairement un raccourci de pensée et de logique argumentative, on trouve aussi des passages avec lesquels on ne peut qu'être d'accord, qui semblent mettre le doigt sur un malaise qu'on a jamais su exprimer (et c'est là leur force, leur technique : recueillir l'approbation de principe pour nous emmener ensuite où ils veulent, par des raccourcis mensongers).

L'exemple type, qui a déjà été repris dans une autre critique, c'est l'idée que plus le gouvernement essaie de s'attaquer à résoudre des problèmes, plus la population imputera la non résolution de ces problèmes au gouvernement et accroitra sa croyance en la toute puissance de l'Etat, si bien que par exemple, les "gens" croiront que l'on devrait pouvoir combattre efficacement un virus et exiger un résultat à 0 morts.
Là, on voit que ça déconne : mettre tous les "gens" dans un même sac ainsi, on se retrouve un peu à l'époque simpliste de Gustave le Bon et sa psychologie des foules...
Après, comment ne pas le rejoindre quand il lève le voile sur le mirage que représente l'innovation technologique, la smart nation, etc. qui montre déjà ses limites et du coup se réfugie derrière des arguments d'avancées thérapeutiques pour justifier son importance, pour empêcher qu'on puisse la contester car "la vie, la santé" ne sont pas sujettes à débat, sous peine d'être un monstre à bannir du débat.

Bref, je recommande cette lecture uniquement au critique aguerri qui ose affronter les dangers intellectuels tout en glanant certaines idées qui en valent la peine.

Ce qui manque en fait dans le monde de l'édition, ce sont des intellectuels honnêtes (pas comme lui ou d'autres) mais qui sachent vulgariser, rendre accessible leur pensée, donner des réponses ou des éléments de réponse et éviter le style académique ou les éternelles "je ne fais que poser des questions car je ne me sens pas autorisé à donner des réponses". Pour lutter contre des polémistes si efficaces, il n'y pas beaucoup d'autres choix que d'oser rentre dans l'arène et s'exposer aux coups.
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Ce qu'il y a de bien avec Olivier Rey c'est qu'il assume clairement être conservateur et réactionnaire. En lisant le premier chapitre («Quand il y avait des famines») j'ai eu l'impression qu'il était également malthusien. Il faut dire qu'il y avait par le passé un certain équilibre. Cet équilibre a été rompu par la révolution industrielle. C'est la civilisation technologique qui a alors émergé qui est critiquée par l'auteur. La devise de cette civilisation, la nôtre, pourrait être «Toujours plus !». En démocratie, ces moyens supplémentaires mais jamais suffisants sont sans cesse réclamés par les citoyens, souvent en colère ; peuple enfant-roi qui réclame son argent-doudou à son état-nounou. Ce qui est demandé à corps et à cris c'est davantage de standardisation, de technologisation, de médicalisation. On assiste à un véritable excès de zèle - vital, moral ou médical, on ne fait plus bien la différence. Je vais me faire l'avocat du diable : à la limite quel est le problème si on a les moyens de cette "extension sans limite", de cette chère surenchère ? «Les riches paieront» (titre du cinquième chapitre) ! Et bien le problème c'est justement qu'il y a une limite : "les plus graves dangers auxquels l'humanité dans son ensemble est exposée au XXIe siècle ne tiennent pas à une insuffisance de moyens d'action mais, au contraire, à des actions trop importantes en regard de ce que la nature est en mesure de supporter." Mais attention, Olivier Rey ne se contente pas de condamner la modernité. Il prône le retour à une vie plus simple où "il nous faudrait réapprendre, collectivement et individuellement, à compter sur nous-mêmes". Et donc à arrêter de tout attendre de l'état. Ce n'est pas un éloge du repli sur soi ou du «small is beautiful» mais du «bien proportionné», du «à taille humaine». Cette sagesse de la modération est un travail très philosophique, même si pour atteindre cet objectif, l'auteur est parfois excessif. Peut-être est-ce en explorant les extrêmes qu'on peut espérer trouver un juste milieu.


Si certains propos peuvent sembler exagérés ou hors de propos, d'autres sont plus pertinents. Ainsi l'argument de la santé est en train de devenir un argument-massue. Cet argument du «c'est pour votre bien» "tout le monde n'[y] adhère pas forcément, mais tout le monde est sommé de se taire, sous peine de passer pour un monstre qui veut la souffrance des malades et leur mort". Et bien l'intellectuel ne la ferme pas, au contraire il ouvre le débat et appuie là où ça fait mal : sur nos lâchetés, nos impensés, nos pensées économiques magiques comme le fameux «quoi qu'il en coûte». La mort est devenue un tabou. La santé le bien final, souverain et suprême. Ma vie est devenue «mon précieux», cette chose intime que tout un chacun doit conserver égoïstement. Et surtout pas sacrifier à qui ou à quoi que ce soit. Alors forcément l'argument de la santé écrase tous les autres : l'économie, la liberté, l'art de vivre. le soin est un humanisme, il pourrait devenir un totalitarisme. D'où la prédiction suivante : "Au nom de la protection contre la mort on pourra tout accepter". L'acceptation, voilà encore concept qui a retenu mon attention. Au lieu d'accepter les limites naturelles, nous acceptons aliénation, soumission et sujétion au grand Léviathan nous promettant toujours plus de vie. Mais il s'agit de vie nue (ou nulle), pas de la «vie bonne» chère aux philosophes. le danger de cette idolâtrie de la vie nue c'est la dépendance au système (de santé). C'est aussi de perdre notre âme et qu'il ne reste que le corps, perdre notre savoir-vivre et qu'il ne reste que le pouvoir-vivre. Nous sommes passés d'un monde où il était difficile de vivre à un monde où il est difficile de mourir, un monde où les gens veulent durer mais pas endurer et où certains transhumanistes voudraient résoudre la mort, plutôt que se résoudre à la mort.
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
Le Credo chrétien se termine par une attente de la résurrection des morts et de la vie future. La "sortie de la religion", par contraste, concentra l'attention sur la vie présente. Les activités économiques y gagnèrent une nouvelle dignité. Alors qu'elles étaient jusque-là demeurées "enchâssées" dans la vie des communautés, l'effacement du cadre religieux leur permit de s'organiser en système autonome et d'imposer progressivement leur logique à la société tout entière. La polarisation sur la vie dans sa matérialité s'en trouva renforcée. A ce mouvement contribua aussi l'esprit scientifique moderne, identifiant la vie à ce qui était accessible à ses méthodes d'investigation. Les définitions des dictionnaires témoignent de l'évolution. Dans ses quatre premières éditions (1694, 1718, 1740, 1762), le dictionnaire de l'Académie française donnait pour premier sens du mot vie : "L'union de l'âme avec le corps", ou "l'état où est l'homme quand son âme est unie à son corps (De même, le dictionnaire de la langue anglaise de Samuel Johnson (1755) donne pour premier sens du mot "life" : "Union and cooperation of soul with body." Une telle définition fait concevoir la mort comme séparation de l'âme et du corps, et la vie future comme union de l'âme à un corps ressuscité - la croyance en la résurrection de la chair et en la vie éternelle sont solidaires). Avec la cinquième édition, en 1795, les choses changèrent : la vie devint "l'état des êtres animés tant qu'ils ont en eux le principe des sensations et du mouvement". Dans la huitième et dernière édition en date (1935), la vie est définie comme "l'activité spontanée propre aux êtres organisés, qui se manifeste chez tous par les fonctions de nutrition et de reproduction, auxquelles s'ajoutent chez certains êtres les fonctions de relation, et chez l'homme la raison et le libre arbitre". De la vie comme "union de l'âme et du corps" à la vie comme "activité spontanée propre aux êtres organisés" - ou "ensemble des phénomènes et des fonctions essentielles se manifestant de la naissance à la mort et caractérisant les êtres vivants" (Trésor de la langue française) -, on mesure l'ampleur de la transformation. L'invariance du terme, toutefois, a permis et entretenu la confusion. La sortie de la religion, en effet, n'a pas aboli le religieux, elle a laissé derrière elle une grande quantité de religiosité errante en quête de points de fixation. La 'vie" s'est proposée comme l'un de ces points. D'un côté, les définitions actuelles du mot ont quelque chose de rassurant : elles certifient qu'en exaltant la vie, on ne se laisse pas abuser par des chimères, on ne cède à aucun emportement mystique. D'un autre côté, le terme retient quelque chose de l'aura qui lui était attaché du temps où il désignait l'union de l'âme et du corps, et où on se rappelait la parole du Christ : "Je suis la vie." Qu'est-ce que la vie? Si on me le demande, je pourrai répondre que c'est "l'ensemble des phénomènes et des fonctions essentielles se manifestant de la naissance à la mort et caractérisant les êtres vivants" ; si on ne me le demande pas, j'ai tout loisir de me laisser aller aux belles harmoniques qui le mot éveille en moi. Une telle combinaison, d'héritage religieux et de déni de l'héritage, est vraiment une aubaine. Ainsi prospère l'idolâtrie de la "vie".
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Quoi qu'il en soit, les dirigeants voient dans la crise sanitaire un accident très fâcheux, mais aussi une fenêtre d'opportunités à saisir, afin d'accélérer les mutations en cours et de mettre en place les dispositifs de contrôle qu'en temps normal la population aurait refusés. Une fois ces mutations accomplies (la numérisation d'à peu près tout en particulier et l'obligation de tout faire en ligne), il ne sera plus question de revenir en arrière, une fois les nouveaux dispositifs installés ils resteront en usage - d'autant qu'au train où vont les choses, il y aura toujours une autre crise, une autre urgence, une nouvelle menace à invoquer pour justifier leur existence. Tel est le programme en bref : emprise totale de la technologie, standardisation accrue des comportements, extension sans limite du domaine du management 
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Il est pénible de devoir employer le mot "santé" dans le sens qu'il revêt aujourd'hui, tant ce sens s'est éloigné de celui qui fut longtemps le sien, et lui est même devenu contradictoire. De sa première édition, en 1694, à sa septième, en 1878, le dictionnaire de l'Académie française définissait ainsi le mot "santé" : "État de celui qui est sain, qui se porte bien." Avec la huitième édition, en 1935, la définition devient : "Bon état de l'organisme." Le Trésor de la langue française (1971-1994) propose quant à lui : "Etat physiologique normal de l'organisme d'un être vivant." Ce changement dans les définitions, apparemment bénin, entérine un retournement majeur : la santé n'est plus un état qui s'éprouve (se porter bien), elle concerne le corps objet, elle est un état qui s'évalue, au moyen de diverses procédures - ce pourquoi il peut exister quelque chose comme une "politique de santé" et un "système de santé", dédiés à la gestion et à la maintenance de l'"état physiologique" des organismes. Ces organismes se révèlent si effroyablement complexes que seuls des examens multiples et réguliers permettent de déterminer s'ils fonctionnent correctement ou non. On était en bonne ou en mauvaise santé, désormais on a ou non des problèmes de santé. Ivan Illich rapporte qu'un jour, ayant demandé à l'une de ses connaissances, à qui avait été prescrite une chimiothérapie, comme elle se sentait, la personne concernée lui dit "de le rappeler le lendemain, mais seulement après onze heures, quand il aurait reçu les résultats du labo. L'orphique "Connais-toi toi-même" se traduit désormais ainsi : "Vérifie comment ton système s'en tire." Une santé ainsi définie et subordonnée (dès avant la naissance) au contrôle et à la certification de l'institution médicale, non seulement ne correspond pas à ce qu'était auparavant la santé, mais est même incompatible avec elle.
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il nous faudrait enfin abandonner notre condition de 'dépendants à prétention d'indépendance' 1 - la figure dominante de l'époque. Il nous faudrait réapprendre, collectivement et individuellement, à compter sur nous-mêmes. Bien entendu les dirigeants politiques et économiques n’ont pas l'intention d'encourager ce genre de fantaisie, ni même de les autoriser
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Un gouvernement de bon aloi aurait reconnu cette carence et appliqué, du moins, la part du plan qui était applicable, en préconisant à tous le port de masque en tissu confectionné avec les moyens du bord. Au lieu de quoi le gouvernement estimant que, dans la difficulté, il fallait renchérir dans les affections de toute-puissance, prétendit jusqu'à l'absurde qu'il dominait la situation, que tout était sous contrôle, et pour ne pas admettre le moindre manque, préféra prétendre contre tout bon sens que les masques ne servaient à rien
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