la Révolution m'entraîne bras dessus bras dessous nous sortons tous les deux faire un tour sur les boulevards illuminés
tard dans la nuit deux heures après la poésie tandis que veillent encore infatigables les communistes en train d'étudier Lénine
j'essaie de ne pas déchoir d'un millimètre au-dessous de ma propre joie
je fais le fier c'est vrai & je me sens dans mon droit de dire
la raison pour laquelle mille mouchards m'épient derrière les troncs d'arbre
pourquoi me craignent généraux dictateurs rois colonels & juges des tribunaux militaires
bien que je n'aie pas de revolver dans ma poche arrière
ni poing américain
même pas un canif pour couper mon pain
ni gourdin ni faucon
rien rien
qu'un sourire tremblant devant le monde prodigieux que préparent les vrais révolutionnaires
car il faut le savoir la naissance est une chose étrange dont on ne vient jamais à bout
ou qu’on oublie en cours de route & te voici qui recommences comme si rien ne s’était passé
voici qu’en plein été le souffle de la terre te frappe à nouveau les narines
& tu éprouves du regret pour toutes les morts
& tu serres bien ta ceinture & les lacets de tes chaussures
& tout est exaltant & incompréhensible comme des carottes fraîches
Non pas tant, effondrement - ces choses n'ayant pas où ni d'où tomber
mais quelque chose de suspendu, et qui n'est suspendu à rien,
quelque chose avec des ailes, si vous préférez, comme les oiseaux, par exemple,
qui montent et descendent, immobiles entre leurs ailes.
Je dirais
un grand vol immobile dans la futilité absolue,
un équilibre extrême –une extrême légèreté
de toute la matière -et par là même de la mort.
C'est pourquoi vous me voyez si heureuse -
si cela s'appelle la joie : l'absence de toute arrière-pensée,
de toute ambition - une délicieuse torpeur hivernale
avec la pleine conscience du froid, et bien sûr je reste de cœur
avec ceux qui souffrent du froid, qui s'interpellent au sujet du froid,
qui s'emmitouflent dans tout un tas de flanelles, de pardessus, de couvertures pour s'en préserver. Etrange souci que celui de se préserver -
se préserver toujours, se préserver du froid, du chaud, de la faim, de la soif,
de la maladie, de l'erreur, de la mort. Et il ne nous vient même pas à l'idée
que le froid monte de nous-mêmes, ni qu'on ne peut en fin de compte y échapper.
Mais à quoi bon mentir? - comme disait aussi votre père. Dans ce corps amolli que je dis,
une chose demeure intacte, dure, opiniâtre, c'est le désir, et ce sentiment
d'un injustifiable retard. Et cela n'est pas concevable. Souvent les femmes, à de tels moments,
prennent les statues dans leurs bras, les embrassent sur leur bouche de pierre –elles rêvent
qu'elles passent la nuit avec elles. S'il vous est arrivé jamais de voir les lèvres
des statues humides, c'est de la salive des femmes délaissées.
PERPLEXITÉS
Il se mit debout sur le toit. «Maintenant, je vais sauter », cria-t-il.
Les gens en bas, immobiles, retenaient leur respiration.
Il fit un geste élégant — préparation au saut —, se ravisa,
descendit tranquillement, le dos tourné à l’escalier.
Pendant quelques secondes, ne sachant pas quel parti prendre,
les gens rirent, s’irritèrent.
Finalement ils applaudirent.
Deux femmes seulement regardaient ailleurs.
La troisième manquait.
Avec Marc Alexandre Oho Bambe, Nassuf Djailani, Olivier Adam, Bruno Doucey, Laura Lutard, Katerina Apostolopoulou, Sofía Karámpali Farhat & Murielle Szac
Accompagnés de Caroline Benz au piano
Prononcez le mot Frontières et vous aurez aussitôt deux types de représentations à l'esprit. La première renvoie à l'image des postes de douane, des bornes, des murs, des barbelés, des lignes de séparation entre États que l'on traverse parfois au risque de sa vie. L'autre nous entraîne dans la géographie symbolique de l'existence humaine : frontières entre les vivants et les morts, entre réel et imaginaire, entre soi et l'autre, sans oublier ces seuils que l'on franchit jusqu'à son dernier souffle. La poésie n'est pas étrangère à tout cela. Qu'elle naisse des conflits frontaliers, en Ukraine ou ailleurs, ou explore les confins de l'âme humaine, elle sait tenir ensemble ce qui divise. Géopolitique et géopoétique se mêlent dans cette anthologie où cent douze poètes, hommes et femmes en équilibre sur la ligne de partage des nombres, franchissent les frontières leurs papiers à la main.
112 poètes parmi lesquels :
Chawki Abdelamir, Olivier Adam, Maram al-Masri, Katerina Apostolopoulou, Margaret Atwood, Nawel Ben Kraïem, Tanella Boni, Katia Bouchoueva, Giorgio Caproni, Marianne Catzaras, Roja Chamankar, Mah Chong-gi, Laetitia Cuvelier, Louis-Philippe Dalembert, Najwan Darwish, Flora Aurima Devatine, Estelle Dumortier, Mireille Fargier-Caruso, Sabine Huynh, Imasango, Charles Juliet, Sofía Karámpali Farhat, Aurélia Lassaque, Bernard Lavilliers, Perrine le Querrec, Laura Lutard, Yvon le Men, Jidi Majia, Anna Malihon, Hala Mohammad, James Noël, Marc Alexandre Oho Bambe, Marie Pavlenko, Paola Pigani, Florentine Rey, Yannis Ritsos, Sapho, Jean-Pierre Siméon, Pierre Soletti, Fabienne Swiatly, Murielle Szac, Laura Tirandaz, André Velter, Anne Waldman, Eom Won-tae, Lubov Yakymtchouk, Ella Yevtouchenko…
« Suis-je vraiment immortelle, le soleil s'en soucie-t-il, lorsque tu partiras me rendras-tu les mots ? Ne te dérobe pas, ne me fais pas croire que tu ne partiras pas : dans l'histoire tu pars, et l'histoire est sans pitié. »
Circé – Poèmes d'argile , par Margaret Atwood
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