Rotman Patrick – "Un homme à histoire : roman" – Seuil, 2016 (ISBN 978-2-02-130827-3)
Un livre de journaliste, et plus spécifiquement de l'un de ces innombrables journalistes posant à l'intellectuel "de gôôôche", Rotman est d'ailleurs suffisamment connu dans ce genre-là (voir ses précédents ouvrages et ses films documentaires) pour qu'il soit inutile de s'y attarder.
L'ouvrage prend donc un intérêt puisque rédigé par l'un des membres incontestés de cette nomenklatura, et qu'il traite justement de
François Mitterrand, l'incarnation politique archétypale de cette caste qui est parvenue à s'imposer dans toute la sphère journaleuse et cultureuse depuis des décennies.
Faiblesse majeure toutefois de ce livre qui se veut (p. 12) "un roman vrai et vrai roman" : l'auteur est né en 1949, il n'était donc qu'un enfant pendant la période traitée ici (celle de la Quatrième République, de la guerre d'Indochine à celle d'Algérie, soit grosso modo la période 1946-1958, avant l'arrivée de Charles de Gaulle au pouvoir). Il doit donc s'en remettre (comme il le reconnaît pp. 549-550) à des "sources" dont la liste fort incomplète ici fournie, montre à quel point elles sont de même obédience idéologique que celle de l'auteur lui-même, et donc fort peu critiques (particulièrement choquant de la part de quelqu'un qui a soutenu une thèse en histoire).
Plus malhonnête encore, pour faire plus vrai, l'auteur se dissimule derrière un pseudo journaliste qui aurait écrit cet ouvrage vers 1975-1976 et aurait vécu en direct les évènements relatés ici (sans jamais oublier ce véritable tic du journaleux consistant à s'auto-louanger régulièrement au fil des chapitres).
Et il va de soi qu'il met en scène de nombreux journalistes ayant réellement existé, en portant aux nues le microcosme entourant les inénarrables clowns que furent le richissime play-boy
Jean-Jacques Servan-Schreiber flanqué de son reflet au féminin
Françoise Giroud.
Nous barbotons là encore dans le microcosme de ces journaleux qui savent tout mieux que tout le monde et se rengorgent à longueur de colonne en donnant des leçons aux véritables responsables qui sont aux manettes : c'est tellement facile... et la "brillante" carrière politique du même JJSS montrera à quel point ces gens ne sont que des moulins à paroles. Notre auteur bave littéralement d'admiration devant ce couple, un peu comme tous ces intellos qui se prosternaient devant le tandem Sartre-Beauvoir : ces gens-là ont besoin de gourous.
Le lecteur ne peut toutefois qu'espérer que l'auteur exagère considérablement le poids et le rôle des journaleuses et journaleux lorsqu'il nous laisse entendre que le sort du pays se décidait finalement autour de la table de rédaction du magazine "L'Express" : ceci étant, on aurait là l'une des explications des échecs répétés de Pierre Mendès-France.
Autre faiblesse de ce livre : la véritable haine que l'auteur voue à
Michel Debré l'entraîne vers des sommets de ridicule. Après le chapitre consacré à l'affaire du bazooka (avec le journaliste planqué derrière une porte dans le bureau du Mitterrand), le comble est atteint avec la "démonstration" visant à prouver que c'est Debré qui incita Mitterrand à organiser le vrai faux attentat de l'Observatoire (des années plus tard, le quotidien "Le Monde" publia un article d'une pleine page démontrant que les turpitudes du Strauss-Kahn étaient pratiquement organisées par
Sarkozy – la veine ne s'épuise pas).
Encore une autre faiblesse : livre de journaliste, cet ouvrage se résume en fait à la relation de trois affaires qui défrayèrent la chronique en leur temps : les fuites au Conseil Supérieur de la Défense Nationale (Mitterrand alors ministre de l'intérieur, directement concerné et soupçonné), l'attentat contre Salan (1957, affaire du bazooka), le vrai faux attentat de l'Observatoire (1959 – Mitterrand vraie fausse victime), le tout monté en épingle, en suivant les techniques rodées du sensationnalisme afférent au journalisme de bas niveau qui est hélas de loin le plus pratiqué.
Pratiquement rien sur le reste de l'actualité, l'auteur se cantonne à la sphère restreinte des petits jeux politiciens caractéristiques de la Quatrième République.
Enième faiblesse : l'auteur passe très très vite sur les liens entre Mitterrand et les mouvements d'extrême droite auxquels il resta fidèle toute sa vie (et qui organisèrent, probablement à sa demande, le vrai faux attentat de l'Observatoire). C'est tout de même lui qui – une fois devenu Président de la République – détruisit le Parti Communiste en veillant à ce que son électorat dit contestataire glisse quasi immédiatement dans l'escarcelle du Front National, sortant ainsi des limbes ce parti alors quasiment inconnu du grand public (élections à la proportionnelle de 1986).
Pour conclure, il semble que l'admiration de l'auteur atteigne à l'inconditionnel lorsqu'il évoque – plein d'admiration et à d'innombrables reprises – l'activité érotomane de Mitterrand, savourant ses métaphores zoologiques appliquées aux starlettes et autres naïves jeunettes. Là encore, Mitterrand eut de piètres héritiers, entre le DSK obligé de recourir à Dodo la Saumure pour trouver "du matériel", l'inénarrable Président cocufiant sa journaleuse maîtresse avec une starlette, et leurs compères moins gradés se contentant de harceler les pôvres petites militantes avides de réussite... le mépris de la féminité semble une constante de ce milieu-là.
Finalement, l'intérêt de cet ouvrage réside dans une démonstration tout à fait involontaire de la capacité de nuisance phénoménale et de manipulation constante qu'eut ce Mitterrand sur l'
ensemble de la gauche de bonne foi (ça existe). On comprend mieux aussi comment se forma la caste corrompue, arrogante et méprisante qui dirige le PS depuis les "années Mitterrand".
Un roman que l'on peut donc lire, avec précaution. Mieux vaudrait s'en remettre à des travaux d'historiens fouillant des sources variées... et les citant in extenso, comme le font tous les historiens honnêtes.