Itsik est le diminutif d'Ytzhok, Isaac en yiddish. Ce bref récit de la vie d'
Itsik se fait l'écho de l'histoire de cette langue. Cette langue qui a cessé d'exister sur le sol européen au milieu des ténèbres du vingtième siècle, cette langue qui a été effacée d'Europe par Hitler.
Itsik est le dernier de la fratrie. C'est un enfant habité de douceur, celui qui se soucie des animaux, de leurs souffrances, de leur vie parfois si dure, c'est l'innocent, celui qui écoute l'oiseau, celui qui contemple les traces annonciatrices du printemps. C'est le silencieux qui préfère se taire parce que "Parler, c'est exagérer."
Il est comme tous, il rêve de partir, loin, loin de la cour commune qui est son horizon, loin de la misère qui l'accompagne lui et les siens, loin de cette terre de Pologne où l'avenir ne s'écrit pas...
Quitter aussi la mère, bien que son rang de naissance ait fait de lui le préféré - "Elle n'a pas eu le temps d'aimer les autres." - parce celui qui naît requiert toute l'attention et que le temps ne se multiplie pas....
Itsik va parvenir à s'envoler. Par petits sauts, gagner la destination de Paris, y faire venir celle qu'il aime par dessus tout, Maryem, et pourtant
L Histoire court sur ses talons, l'ayant poussé hors de l'Allemagne, le bousculant sans cesse bien qu'il soit persuadé qu'il est désormais protégé, à l'abri de la fureur, dans ce pays des Droits de l'homme.
Pourtant, la peur l'habite, vrille parfois tout son être, alors il se fait silencieux, il se tait encore davantage, il se replie. Cette peur comme une prémonition, comme une mise en garde qui lui serait adressée. Et pourtant, il en est persuadé : rien ne peut lui arriver dans sur cette terre d'accueil alors il n'écoute pas cette peur...
Pourtant, la vie et la liberté s'effilochent autour de lui, autour de sa famille, autour des siens : les lois raciales, les discriminations. Mais
Itsik n'imagine pas qu'il peut être englouti, qu'il peut être nié....
Aussi se rend-il, en toute confiance, à la convocation qu'il reçoit pour ce 14 Mai 1941, celle que l'on désignera comme la première rafle, "ra rafle du Billet vert" et qui fauchera, niera 3710 hommes, Juifs, étrangers, qui pensaient seulement respecter les lois d'un pays qui les avait accueillis, sans imaginer que celui-ci était en train de les trahir.
C'est Pithiviers pour lui, cela aurait pu être Beaune-La-Rolande, c'est le départ de la gare d'Austerlitz parce que Drancy n'existe pas encore, c'est la vie en promiscuité, ce sont les chaussures prêtées par Zoran, chaussures boulets plus que bottes de sept lieues quand elles entravent toute idée de liberté, parce qu'il lui faudra les rendre à Zoran, parce que elles ne peuvent l'emmener là où il pourrait fuir, se cacher, échapper, attendre...
Et puis l'inéluctable parce que
L Histoire a pour maitre le Mal...
Dans un texte bouleversant qui contient mille vies, mille récits d'existence, à travers un personnage,
Pascale Roze écrit l'anéantissement d'un peuple et d'une langue. Tout au long de ces pages, des mots parsemés, des bribes de phrases comme murmurées suggèrent les temps à venir et le Mal qui observe
Itsik ou tous ceux dont il est symbole. Des mots pour dire les regrets pour les décisions prises, d'autres choix pour d'autres conséquences, des mots pour dire le temps qui fuit, qui s'emballe, galope vers le gouffre des ténèbres de ce siècle...
Des mots pour rappeler que la confiance en un pays a été trahie, des mots pour dire que la liberté est fragile en toute terre, des mots pour rappeler toutes ces vies niées, assassinées.
Des mots pour que la vigilance nous habite, toujours...