Laura Carlson n'a jamais connu son père américain. Officier de marine, celui-ci est mort à Okinawa en 1945, abattu par un avion kamikaze, le "chasseur zéro".
Entre une mère dépressive et des grands-parents sinistres, Laura vit le manque de la figure paternelle avec beaucoup de difficultés, dans la confusion, la douleur et l'affliction.
La chape de silence et de secret qui recouvre le drame est d'autant plus accablante qu'elle tourmente et obsède de plus en plus la jeune fille.
Elle entreprend alors des recherches sur la Guerre du Pacifique afin d'appréhender un peu de l'univers de ce père qu'elle a sacralisé. Mais incapable de supporter un climat familial lourd et pernicieux, Laura finit par développer en grandissant de troublants acouphènes.
Déchirant le silence, emplissant le vide d'un grondement menaçant et continu, le vrombissement du bombardier ennemi vient jour après jour rugir à ses oreilles, altérant sa conscience, son comportement, son rapport aux autres.
Sa vie entière est dominée par ce bruit obsédant que rien ne peut apaiser.
Les somnifères l'engourdissent et la minent. Et si les boules Quiès amortissent quelque peu les décibels du moteur, elles ont aussi pour effet de l'enfermer dans la prison ouatée de la surdité en l'isolant du reste du monde.
La passion de la musique et l'amour que lui voue un compositeur de talent n'y changent rien.
Toute fuite est impossible.
Vrombissant à plein régime, le kamikaze revient sans cesse hanter son esprit dans un fracas de turbines et de pales.
Il est l'incarnation du néant, la figure exaltée de la mort, le symbole de l'autodestruction.
Entre elle et lui, c'est une passion qui se joue désormais à la vie à la mort.
Pascale Roze, va au bout de l'obsession de son héroïne dans ce livre tendu, au souffle court, à la détresse rentrée, au souvenir destructeur.
L'auteur, dont le père était officier de marine à l'instar de celui de son personnage, semble avoir mis beaucoup d'elle-même dans ce roman où s'inscrit en continu la souffrance de l'absence et du non-dit. La narration à la première personne renforce encore cette impression de proximité entre auteur et personnage en même temps qu'elle propulse le lecteur dans un récit tourmenté très intime et personnel, le faisant le témoin de la débâcle existentielle de la jeune femme, une déroute relationnelle et amoureuse dont le caractère désespéré et sans issue imprime un sentiment de malaise et de trouble assez éprouvant et dérangeant.
L'on assiste, impuissant, à la progression de la folie de Laura. Une hallucination au départ auditive qui se transforme peu à peu en amour passionnel, fantomatique et morbide pour l'aviateur japonais ; un fantasme de mort dévorant, bouleversant irrémédiablement son existence, et qui l'amène à se séparer des rares êtres encore disposés à la soutenir.
Se fermant totalement aux autres et au monde extérieur, désocialisée, repliée sur elle-même, alimentant son obsession, la cultivant comme un jardinier prendrait soin d'une fleur rare, l'héroïne se laisse totalement submerger par sa hantise suicidaire.
La passion morbide qu'elle entretient avec le kamikaze japonais a la saveur délétère des amours impossibles, de celles qui ne peuvent se nouer et se dénouer que dans un pacte de sang et de mort.
Ce singulier premier roman avec lequel
Pascale Roze a obtenu le prix Goncourt 1996 est un livre fort, dur, âpre, étouffant, duquel on ressort opprimé, oppressé, avec - tout au moins pour un temps - l'irrépressible besoin de fuir les lectures « commando-suicide ». Banzaï !