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EAN : 9782020415002
438 pages
Seuil (02/06/2000)
3.33/5   3 notes
Résumé :
Quel fil rouge peut bien passer entre des gens aussi distincts qu'un toxico, un mystique, un masochiste, un terroriste, un alcoolique, un joueur "mordu", un homo hard, un fétichiste de la chaussure, un adepte de secte dure ?... Quel rapport entre ces braves gens et le petit pervers méchant qui pousse l'autre à la limite pour le voir s'y effondrer ? Et quel lien tout cela a-t-il avec l'actuel malaise de la civilisation, tout autre que celui pointé par Freud, où chacu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique

Ce livre est un livre compliqué. Pour qui n'est pas féru à l'analyse, il peut déconcerter. Sibony joue sur les mots de façon abrupte, parfois alambiquée. A l'instar de Lacan. Certaines métaphores peuvent faire bondir, ou sourire tant elles frôlent avec l'ineptie. Mais il faut aller plus loin que cela, et creuser encore.
Très souvent aussi j'ai eu un sentiment de redondance terrible. Et la lecture en est devenue pénible. On dirait qu'il raconte toujours la même chose, un genre de supplice de la goutte. Mais ce n'est jamais tout à fait la même goutte et elle ne tombe pas non plus tout à fait au même endroit. Encore une fois il faut aller plus loin.

L'auteur explique rapidement (pour éviter sans doute d'être catégorisé-de s'enfermer un peu vite avec son titre ?) : "Ce livre [...] aurait même pu s'appeler : Eloge de l'Autre, l'Autre que la perversion veut "fixer", alors que l'Autre est une fonction d'ouverture neuve et de changement imprévisible."

L'auteur essaie de cerner son-ses sujets, il cherche les bons termes, les bons mots. Cette idée et leitmotiv sont valables tout au long du livre, en sont presque en fait le but :
"Précisons la chose, en ayant en tête que c'est toujours un rapport à l'Autre qui peut être pervers, et non pas tel être ou tel geste en soi."
"Les "perversions", au sens large que je donne au mot, sont des maladies du lien social en tant qu'un individu est pris soudain dans la folie de s'en charger, de les endosser."

La perversion c'est du tout ou rien, pas du détail, pas partiel :
"... il n'y a pas de "détails" ou de "trait" pervers, la perversion relève du tout ou rien. L'enfant "pervers polymorphe" n'est justement pas un pervers."

Sibony fait parfois des comparaisons qui peuvent sembler douteuses aux yeux du lecteur et du bon citoyen, en effet il compare le méchant terroriste avec un malheureux picolard de bistrot. Mais ses raisonnements se tiennent. Il cherche en tout les invariants, ce petit socle commun aux pathos différents. Ce n'est pas une mauvaise idée ou une mauvaise posture, mais elle déconcerte. Je le cite :
"C'est un fait que dans l'univers chaotique des formes pervers, l'accent narcissique est écrasant. Et c'est vrai que faire converger toutes ces formes vers un point critique que j'appelle fanatisme de la Vérité, cette hypothèse, en pointant des invariants, en montrant aux uns qu'ils font comme les autres, est en elle-même scandaleuse, c'est une secousse d'identité, donc un froissement narcissique, insupportable si notre but était de faire "admettre" quoi que ce soit aux intéressés... Ce n'est pas le cas. Notre but est de chercher."

Sibony remet en question et en réflexion le "malaise dans la culture" tel qu'exposé Freud. Pareil pour le point de vue de Freud sur la religion. Et il remet aussi en question certains des dogmes dépassés de la psychanalyse. Dépassés ou que lui juge inopérants : les questions du fétiche, il remet par exemple en cause l'idée de l'enfant pervers polymorphe, non-sens absolu pour lui.

Il revisite aussi les dogmes Marx-istes et cette religion opium du peuple.

L'auteur envisage donc la question de la perversion avec différents objets : l'alcool, les drogues, l'anorexie, un peu le sexe, le fétichisme dans tous plein d'angles différents, notamment l'ambition de l'image, de la société tout médiatique, et le terrorisme, comme je disais plus haut.

Concernant la toxicomanie, il dit : "Ce que je montre dans Perversions, c'est comment la toxicomanie traduit le fait que, pour certains, il est quasi impossible de supporter des liens partiels et de vivre un rapport à une loi symbolique marquée de manques et de failles. La toxicomanie obture ces failles, recrée un lien "total", une loi sans brèches."

Concernant le toxicomane, il dit : "ce terme a quelque chose d'impropre dans une société où le rapport aux drogues est si vaste, éclaté, déployé, modulé, allant de ceux qui gèrent avec mesure et précautions leur dépendances jusqu'à ceux qui s'y trouvent pris comme dans un gouffre..."

Cette idée du terrorisme qu'il faut relativiser par rapport à L Histoire aussi. Les vainqueurs ne sont plus des terroristes mais des héros... le terrorisme provient de la Terreur, à la base pleine de beaux idéaux humanistes de Rousseau et de la Révolution... La perversion, n'existe qu'en lien.

Outre une revisitation de Freud, Sibony critique les thérapeutes ou s'interroge sur comment on soigne les toxicomanes :
"Quant au discours des "experts en toxico", il donne l'impression qu'ils savent tirer d'affaire un toxico, qu'ils ont le savoir pour ça, le protocole. Si c'était vrai, le destin de toute l'humanité souffrante serait dans leurs mains, car alors ils pourraient tirer d'affaire n'importe qui - un phobique, un hystérique, un compulsif..., bref quiconque est pris dans le lien étouffant d'un symptôme - vu que la toxicomanie, c'est la maladie du lien par excellence."
Ou aussi :
"Quant à vraiment tirer d'affaire un toxico, cela implique une expérience du symbolique, de la transmission, un consentement au risque, un pouvoir de faire vivre et revivre des fragments de vie, pour libérer - avec crainte et hardiesse - les énergies qui vous délogent du trou et vous arrachent au deuil de vivre."
"L'enjeu thérapeutique n'est donc pas de faire renoncer le patient à ses lubies, mais de permettre qu'un consentement volontaire et involontaire se manifeste pour "autre chose", autre chose que le duo entre pervers et montage, drogué" et institution, etc. Consentement à ce que ça se renouvelle : pouvoir changer de bonheur. Car en un sens, le pervers est "heureux", même s'il en crève ; mais peut-il changer de bonheur "

Sibony parle également de la dimension sacrificielle de ces "pervers", qui sont les souffrances ouvertes et visibles d'une société qui ne vit pas, ou pas à fond (je fais un scandaleux raccourci). En fin d'ouvrage, il évoque le sacrifice chez les Aztèques, histoire de saisir cet autre lien. de donner encore un éclairage particulier sur son sujet.

Ce livre fait aussi une part belle à des questions sociétales qui semblent étranges dans le cadre de la perversion, comme le chômage. Mais c'est de nouveau sous l'idée d'invariants, et de cerner un sujet globalement, que ces parties particulières figurent. Ce qu'il dit du chômage, au passage :
"Notre propos ici n'est pas d'"étudier le chômage" mais de montrer qu'en le rattachant à notre recherche sur les perversions comme quêtes de liens absolus, il apparaît sous un jour nouveau, comme un cas particulier de ces états dépressifs "légers", de ces endeuillements narcissiques, dont on sait des formes plus violentes. Il questionne de façon neuve et massive l'idée même de travail comme investissement narcissique passant par l'Autre (et par quelle forme d'autre ?)."

En termes de construction-narration : le livre est composé de plusieurs longs chapitres très "savants" avec des interludes, des dialogues entre une personne féminine et toujours un savant masculin (pourquoi cette différence de sexe, et dans cette idée patriarcale du Il qui sait tout vs le Elle qui s'interroge mais qui semble chaque fois contredite... Pourquoi ? Je ne comprends pas cette mise en scène de lui-même)... Quelle est cette plus-value de différencier les formes de narration ?? Pas compris.

Parfois, Sibony joue avec les mots, il aime la langue, s'amuse ou m'amuse en tout cas. Différents exemples :

"LUI. - ... La question des fondations, je la laisse à Dieu, il faut bien qu'il serve à quelque chose celui-là, et s'il est un trou sans fond - et sans rien au bord... -, tant mieux.

ELLE. - Quel manque de sérieux. Juste quand on touche au fondement..."

ou

"ELLE. - Vous riez mais c'est vrai, côté sexe, entre homme et femme c'est l'abîme.
LUI. - Mais on l'aime cet abîme, on n'aime qu'avec ça. Nos roucoulements poétiques ne font qu'agiter cet abîme, y faire du bruit ; l'abîme est passionnant à franchir, à tenter de franchir ; au milieu, sauve qui peut, on nage - radeau, naufrage, méduse - et ceux qui arrivent sains et saufs (quelle santé...) sont peut-être les plus à plaindre. Déjà, la Bible, et tout grand livre, est incollable sur les impasses du sexuels. Et alors ?"

ou

"LUI. - ... La question des fondations, je la laisse à Dieu, il faut bien qu'il serve à quelque chose celui-là, et s'il est un trou sans fond - et sans rien au bord... -, tant mieux."

ou

"ELLE. - Vous riez mais c'est vrai, côté sexe, entre homme et femme c'est l'abîme.

LUI. - Mais on l'aime cet abîme, on n'aime qu'avec ça. Nos roucoulements poétiques ne font qu'agiter cet abîme, y faire du bruit ; l'abîme est passionnant à franchir, à tenter de franchir ; au milieu, sauve qui peut, on nage - radeau, naufrage, méduse - et ceux qui arrivent sains et saufs (quelle santé...) sont peut-être les plus à plaindre. Déjà, la Bible, et tout grand livre, est incollable sur les impasses du sexuels. Et alors ?"

Bémols :

Ce qui est dingue, enfin qui me rend dingue, c'est qu'en fin d'ouvrage figurent des annexes qui reprennent, en nettement plus bref, tout ce qui est dit à foison dans tout l'ouvrage. Son "Petit survol du champ pervers" et les "Entretiens sur la drogue" suffisent à mon sens pour comprendre et appréhender l'essentiel des propos de Sibony. On se demande la plus-value du texte entier et des quasi 400 pages serrées préalables... Franchement, à se demander si ce n'est pas un peu de la perversion de mettre ça à la fin et de ne pas nous dire tout de suite que ces éléments existent...

Pas de bibliographie. Kézako ? Erreur ou oubli volontaire ? Daniel Sibony évoque pourtant l'une ou l'autre référence dans son texte, mais assez peu, Freud et Lacan essentiellement. Croit-il être et penser de rien ni de (quasi) personne ? Je m'interroge, ça m'interroge.


Bon je conclus :
Globalement livre très intéressant, car il ne cherche pas à faire la morale, car il nous fait réfléchir un rien différemment, car il offre un pas de côté sur un champ qui est plus large qu'on n'aurait pu le penser voire le craindre. Fallait donc y penser, et fallait l'écrire. Toutefois ceci aurait gagné à être plus bref, moins dans un blabla répétitif qui peut vraiment ruiner la volonté du lecteur de suivre, de poursuivre et d'aller jusqu'au bout. Mais voilà, il faut savoir souffrir sans doute pour être-se sentir bien, pour apprendre... Peut-être bien que oui, peut-être mal que non. On verra si de ce que Sibony a essayé de vriller dans ma tête il en restera quelque chose... et quoi...

Courage aux lecteurs qui se sentent tentés !


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Citations et extraits (261) Voir plus Ajouter une citation
Il se pourrait que le malaise de cette culture concerne moins la pulsion sexuelle que la pulsion du lien, l'impulsion à appartenir, à capter, à lier et à se lier, à faire des socialités, des groupes, des institutions, des chapelles, des religions, des guerres de chapelles et de religions, des courants d'idées [...].
Or si la question fondamentale est la pulsion de lien, on comprend l'immense variété des formes qu'elle prend : replis narcissiques (où l'on est l'objet de son lien), clans, sectes, liens toxicos, institutions, exaspérations solitaires, insertions-désinsertions, cyclages-recyclages, branchés)débranchés, etc. La même question cherche ses métamorphoses, sans cesse.
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ELLE. - Quelle différence alors entre douleur physique et psychique ?
LUI. - Ce sont deux faces de la même chose ; deux faces qui communiquent, comme la surface tordue. Si vous avez un accident, un doigt coupé, l'instrument figure l'Autre, l'Autre qui vous a mordu, pincé ; irruption dans la chair ; ça déchire l'habit narcissique, l'habitude d'être soi-même, dans sa peau, un peu à l'étroit. Ca met en deuil. La douleur psychique est là, toute proche ; elle a pu causer l'accident, le "provoquer". Et l'irruption de l'Autre vous souffle l'objet, c'est ça le deuil, l'objet à quoi on tient est arraché par le hasard, le "destin", ou toute force inconsciente qui peut figurer l'Autre. La douleur psychique était là et n'a trouvé pour se montrer que cette entaille à même le corps.
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LUI. - En un sens, les contrats qu'on passe avec les alcooliques, les toxicos... ça ne marche que quand le contrat a déjà absorbé, à l'avance, ses démentis successifs, quand il a pris le relais du lien pervers en cause.
ELLE. - C'est vrai, j'ai connu des toxicos retirés des affaires par un gourou ; ils se retrouvent, gourouïsés... Il a suffi que la secte leur laisse entendre délicatement que la drogue était une gêne, faible d'ailleurs, pour virer au nouveau lien de plénitude, de vérité plus absolue...
LUI. - Ca transfère sur ce lien l'appel du lien qui était lancé à la drogue. Eh bien justement, la religion est un lieu et tout lien qui fait contrat avec son horizon divin a un bon pied dans du pervers.
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Il y a un narcissisme du collectif en pleine résonance avec les narcissismes individuels. Ils ont un enjeu commun : durer, perdurer, avoir la certitude d'être. Mais en fixant l'immense doute concernant l'être, ils le dévoilent.
A l'évidence, ce narcissisme s'épanouit, pour la masse ou l'individu, dans l'auto-hypnose. Déjà un individu peut s'endormir à partir de l'angoisse où il tente en vain de s'ajuster à soi-même... ou à l'Autre ; eh bien cette masturbation mentale, aux douleurs parfois exquises, la masse peut la connaître en se médiatisant elle-même ; c'est bien ce qui arrive ; auto-intoxication, non par des messages bons ou mauvais mais par auto-hypnose.
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Le masochiste [...] organise des liens qu'il authentifie de sa soumission ; on croit qu'il jouit de s'imposer des liens (d'appartenance), alors qu'il se lie pour arracher tout autre lien que celui dont il est l'auteur.
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