Roman écrit en 1939 et publié en 1942
Le Majestic.
Un grand Palace parisien donnant sur les Champs-Élysées.
Deux mondes diamétralement opposés s'y côtoient, sans presque jamais se rencontrer:
_l'en-haut réservé aux riches clients français, aux fortunes fabuleuses venues de l'étranger, à celles et ceux qui paient sans compter;
_l'en-bas consacré aux basses besognes d'un petit personnel dévoué à l'entier et discret service des étages supérieurs.
Entre les deux, seules interfaces obséquieuses et silencieuses: les portiers de jour ou de nuit, les grooms d'ascenseurs, les femmes de chambres... etc.
Simenon va ignorer ce royaume du pourboire à gratter, il va fouiller encore plus bas.
L'en haut et son argent facile n'a aucune idée de l'énorme machinerie des sous-sols. L'en-bas n'entrevoit le haut que par le miroir déformant des seuls numéros de chambres, des commandes incessantes et des caprices à satisfaire.
D'un côté les vastes chambres luxueuses, le faste du restaurant renommé, les dorures et les musiques entrainantes de l'orchestre du dancing. de l'autre les vapeurs des cuisines et de la buanderie, celles de la cafétérie* et le brouhaha incessant du standard.
L'en bas ne monte pas en haut, l'en-haut ne descend pas en bas. Un rang social à tenir d'un côté, le pain du quotidien à gagner de l'autre.
Et pourtant..
La riche épouse d'un industriel américain est retrouvée étranglée, à la relève du matin, dans un des très nombreux placards du vestiaire du personnel.
Maigret entre alors en scène dans les sous-sol du Majestic, se mêle à l'énorme machinerie humaine à l'oeuvre, ignore un temps les étages supérieurs (sa hiérarchie se méfie de son côté franc-tireur et lui interdit tout contact avec le riche veuf américain), essaie de comprendre le fonctionnement des êtres et des choses au sein d'une énorme mécanique huilée dans le moindre détail.
Il interroge:
_ Eusebio, le danseur professionnel soit-disant argentin, chéri de ces dames; il dort souvent la nuit dans le vestiaire du personnel;
_Ramuel, le comptable, éternellement souffreteux et mesquin, aux aguets de tout et de tous dans son bureau étriqué et vitré; il fuit une maitresse irascible et passe de nombreuses nuits dans les sous-sols du Majestic ;
_Prosper Monge, le discret responsable de la cafétérie*, sa compagne Charlotte amoureuse sans retour d'un homme avec qui elle dort mais ne couche pas.
Maigret trouve de l'intérêt au couple depuis qu'il découvre que Prosper et Charlotte, il y a trois ans à Cannes...
_Mr. Clark, le mari de la victime, que
Maigret fait filer discrètement. Son intérêt pour le riche américain décuple quand il se montre bientôt sans complexe ni scrupule au bras de l'institutrice en charge de son enfant unique.
_A ces quelques personnages, enfermés dans le cadre restreint du Majestic, viendront bientôt se greffer certains milieux d'un cercle élargi à Paris, à la France et à l'étranger. Celui de la Banque en particulier..
Maigret file d'un suspect à l'autre, fouille leurs passés au fil des renseignements récoltés par ses adjoints, les observe discrètement ou les questionne sans en avoir l'air, il se veut bourré de sous entendus qui désarçonnent au gré de leurs petits mensonges et comportements curieux.
Ici, une nouvelle fois,
Maigret est en conflit indirect avec sa hiérarchie qui protège le nanti et craint les retombées diplomatiques. le commissaire n'en fera qu'à son idée, discrètement mais efficacement, en sous main, l'air de rien. Il n'a qu'un but: mener une tête à la guillotine ou un coupable aux travaux forcés, il pressent d'emblée la crapule et n'en sera que plus hargneux et sans pitié.
Maigret, au terme d'un bluff génial, jouant au chat et à la souris, retournera sa hiérarchie comme une crêpe et confondra son coupable.
La plupart des nombreux rebondissements qui émaillent l'enquête sont les fruits d'indices que connait
Maigret mais que
Simenon nous cache sciemment (le filou cachottier..!). Parfois, l'auteur, ne nous dévoile les réflexions de
Maigret qu'à moitié, comme accrochées à une enfilade de points de suspension. Il entretient, en espiègle joueur, un étrange jeu avec son lecteur agacé. On n'entend souvent, par exemple, que la voix de
Maigret au téléphone, pas celle de son correspondant. Ce dernier, on le sent et on s'en énerve, apporte des indices précieux qui seront tus. Ces instants cruciaux peu partagés avec le lecteur, irritent mais participent artificiellement au suspense.
Simenon fait entrer son client dans la ronde des non-dits, agacé mais amusé il ne s'en prendra que plus au jeu du coupable à deviner. Cette technique de narration habile, presque en leitmotiv constant, complexifie une enquête à l'explication finale par ailleurs simple, elle tient en deux ou trois pages.
Simenon, en périphérie de l'enquête, dépeint en documentaliste intéressé une micro-société étonnante et inattendue qui a, elle seule, n'est que l'écho affaibli de notre société en général.
Une nouvelle fois l'auteur mêle en un court roman une enquête passionnante, les portraits aiguisés de crapules et d'êtres attachants, et ici une plongée documentée dans un milieu en retrait des fastes de la grande vie parisienne.
Chapeau bas, Mr
Simenon..!
*Terme désuet. Local où sont préparés cafés et petits déjeuners dans l'hôtellerie ou les collectivités.
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