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sur 4659 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Je tiens à remercier Liligalipette et Alouette qui m'ont donné l'irrésistible envie de me plonger dans Maus, une bande dessinée autour de laquelle je rôdais depuis quelques années mais que je n'avais jamais osé ouvrir par peur de mon extrême sensibilité ou par lâcheté, grâce à elles l'envie a été victorieuse.
Je ne ferai pas une critique aussi brillante que mes chères consoeurs de babelio mais je vais juste essayer de vous faire une ou deux petites confidences.
Maus n'est pas seulement touchant par le sujet qui est abordé, celui des camps de concentration en Pologne pendant la guerre, mais aussi par la transmission qui est relatée ici entre un fils et son père, le fils étant Art Spiegelman, auteur de la bande dessinée et son père Vladeck dont l'album relate la vie!
Un des moments les plus émouvants de l'album pour moi est celui où Vladeck explique qu'il a brûlé les carnets intimes de sa femme Anja et que par conséquent, Archie n'aura jamais le témoignage de sa mère.
La bande dessinée est en noir et blanc, très sobre sans fioritures tout comme le texte qui n'est jamais larmoyant ni haineux, de la grande classe.
Une lecture à recommander à tous , une leçon d'histoire et d'humanisme où chacun peut trouver sa substantifique moelle.
Une nouvelle occasion de se dire que "La vie est belle"! Pas vrai, Roberto?
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- "Bonjour Fils.
- Hmmmm ?
- Je t'apporte une lecture maus costaude !
- Cela sent le jeu de mots foireux comme tu les affectionnes papa. C'est quoi ?
- Un roman graphique de 1500 cases et 292 pages. C'est en noir et blanc et a reçu le prix Pulitzer.
- Bigre, et cela s'appelle comment ?
- Maus.
- D'accord, voilà le jeu de mots, tu t'es surpassé ! Je suis trop gentil, cela restera entre nous. Et quel est le sujet ?
- La Shoah
- Non. »
- Non ?
- Non. Pas question.
- Pourquoi ?
- Je n'ai rien contre le devoir de mémoire, toussa, toussa mais… mais je connais tout ce qu'il y a à savoir sur le sujet et ne ressens aucunement le besoin que l'importance de cet événement historique me soit rappelée. Je connais le contexte actuel, la montée des extrémismes, la comparaison entre notre période et les années 30 ; je n'ai pas besoin de ces rappels. En revanche, lorsque je lis quelque chose sur le sujet je me sens toujours pris en otage entre une compassion obligée, un étalage d'horreurs que je connais mais que je ne désire pas voir sans cesse, parfois l'impression d'une réification voire d'une manipulation ou, ce qui est pire, un sentiment de voyeurisme. Alors non. »
- Je comprends et partage ce que tu me dis mais ici c'est différent. Puis-je tenter une explication ?
- Puis-je y échapper ?
***
- Maus a été publié entre 1980 et 1991 aux USA et est sans doute une des 10 bandes dessinées/romans graphiques les plus connus et reconnus. Selon moi c'est justifié et il s'agit d'un réel chef d'oeuvre.
L'histoire se déroule dans deux lieux et à deux époques. Les années 30 ou l'on assiste à la vie de Vladek Spiegelman et de sa famille lors de la montée du nazisme puis de la shoah et, simultanément, durant les années 80 à New-York ou l'auteur, Art Spiegelman, présente sa vie difficile avec son père comme la façon dont il obtient ce récit.
- Il y a donc une forme de mise en abyme ?
- Oui, elle est permanente et apporte beaucoup. Nous alternons donc ces deux récits Il y a celui des événements touchant Vladek et sa famille. Sa force est qu'il est avant tout descriptif, à hauteur d'un homme. Vladek raconte ce qu'il a vu, comment il a lutté pour survivre, ses courages, ses compromissions, celles des autres autour de lui… C'est très touchant de l'observer chercher sans cesser à faire au mieux en tant qu'homme aux prises avec un monde qui devient cauchemardesque. La mise en abyme montre en effet ce qu'est devenu ce père presque 50 ans plus tard, combien il reste marqué par ces horreurs (il est avare, angoissé, égocentrique et peut même paraître raciste par moments), combien aussi cette histoire, indirectement, affecte la vie de ceux qui l'entourent à commencer par son fils. Art est à la fois exaspéré par son père et ses manies, avide de connaître son histoire, il se sent coupable par rapport à son père comme de pouvoir avoir un succès en tant qu'auteur à partir de la shoah et des atrocités vécues par tant des « siens ».
- Je comprends et cette relecture peut avoir son intérêt. C'est un peu comme Finkielkraut et « La mémoire vaine du crime contre l'humanité », le sort de la génération suivante. Autre chose d'important ?
***
- Oui, le zoomorphisme. Art Spiegelman a fait le choix de représenter tous les personnages selon leurs « races ». Les juifs sont des souris, les nazis des chats, les polonais des porcs, les rares américains des chiens et la femme d'Art, française, une grenouille.
- Les polonais n'ont pas dû aimer ! Plus sérieusement est-ce que ce n'est pas donner raison à l'idéologie nazie que de représenter des individus déshumanisés et selon le concept de race ?
- C'est un vaste débat et qui a fait couler beaucoup d'encre ! Au passage tu as raison les polonais ont détesté. Plus généralement les nazis parlaient de la vermine juive, critiquaient Mickey Mouse, le choix n'est donc pas innocent… sans parler évidemment de la facilité à montrer des souris chassées par des chats ! Mais, au-delà de la référence aux discours nazis il y a clairement la volonté de montrer la déshumanisation de cette période (les juifs étaient réellement niés en tant qu'individus) et sa logique tout en offrant sur le plan graphique un avantage certain : s'attacher au récit lui-même et pas aux apparences des personnes. Il est possible aussi qu'il y ait la volonté, comme dans les fables, de pouvoir représenter l'inmontrable tout en lui donnant une portée universelle. le noir et blanc y concourt lui aussi.
- D'accord mais c'est dangereux de sembler donner raison à ces idéologies.
- Si tu le lis tu te feras ton avis mais ton point de vue actuel est partagé par d'autres. Il y a d'ailleurs eu par exemple la publication éphémère (interdiction pour violation des droits d'auteur) d'un roman graphique copiant totalement Maus mais où tout le monde était représenté en chats : cela s'appelait Katz et tu trouves divers commentaires à ce sujet sur Internet si tu es curieux. Enfin, et puisque je te parle de ce qui entoure l'oeuvre, Art Spiegelman a publié en 2011 Metamaus où il explique la réalisation de Maus et répond aussi aux principales questions entendues depuis plus de 30 ans. Mais c'est une autre histoire !
***
- Oui, je vais voir si je trouve un peu de temps déjà pour Maus. Je ne te promets rien. »
….
Ce que mon fils de bientôt 16 ans a pu penser de Maus a peu de raisons de vous intéresser mais je vous incite à découvrir, si ce n'est pas déjà fait, cette oeuvre singulière et admirable par bien des aspects. Je ne saurais trop vous encourager à ne pas vous laisser rebuter par un sujet qui peut effrayer et/ou par un dessin de prime abord peu séduisant. Une fois entré dans ce bouleversant récit, il est difficile de le lâcher et qui le vit en ressort différent et sans doute plus humain. Je vous souhaite une belle découverte !
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Encore une BD, la deuxième en quelques jours. Celle-là était dans mon pense-bête depuis quelque temps grâce à notre ami Paulo le caméléon.

Il m'a fallu un peu de temps pour rentrer dans l'histoire, un peu déroutée par ces planches en noir et blanc, peuplées de souris, dans un premier temps (les chats et les cochons arrivant plus tard). Et je ne trouvais pas le personnage du père très sympathique, son attitude vis-à-vis de sa deuxième femme insupportable, et les rapports avec son fils très compliqués. Son fils qui vient le voir, dans le but de raconter l'histoire de son père, dans une BD. C'est celle-ci que l'on a sous les yeux, mêlant le récit de la vie de Vladek et les épisodes au présent des visites de son fils.
Les vignettes sont souvent petites et pleines de détails, ralentissant un peu la lecture si on veut les regarder soigneusement.

Les premiers chapitres racontent la vie de Vladek avant la guerre, son mariage avec celle qui sera à jamais l'amour de sa vie Anja. La famille de sa femme est riche, tout aurait pu aller très bien pour eux, mais Ils sont juifs, Hitler est au pouvoir en Allemagne et la guerre éclate bientôt.

A travers le récit de son père, l'auteur retrace l'histoire de ces juifs polonais, dont la plupart vont terminer leur vie dans les chambres à gaz, après avoir été d'abord regroupés dans des ghettos.
Cette histoire a beau avoir été racontée de nombreuses fois, il est toujours utile et nécessaire de lire ces témoignages, et celui-ci en particulier.

Il y a d'abord la forme, c'est une BD, et vue mon expérience réduite dans ce genre littéraire, je n'avais jamais abordé la Shoah de cette façon. Et la spécificité de celle-ci est le choix fait par l'auteur de représenter les humains par des animaux, Les juifs sont des souris, les SS des chats, les Polonais des cochons, et sa femme d'origine française aurait pu être une grenouille, si elle ne s'était par amour convertie au judaïsme. Ce choix, déroutant dans un premier temps, est finalement très intéressant. Il montre comment les hommes sont classés, il n'y a pas d'entre-deux : si tu es juif, tu n'es pas polonais, Une souris n'est pas un cochon, et le port d'un masque ne permet pas d'oublier son appartenance à une catégorie.

Sur le fond, j'ai beaucoup aimé les aller-retours entre passé et présent. L'auteur montre ainsi les conséquences de ses épreuves passées sur le caractère de Vladek, et j'ai mieux compris ce qui m'avait déplu chez cet homme dans les premières pages.

C'est un roman sur la Shoah et ce qui s'est passé pendant la guerre. Vladek raconte son histoire, ce qui lui est arrivé à lui personnellement, comment il a survécu, les choix qu'il a du faire. Il mentionne ceux qui l'ont aidé, ceux qui l'ont dénoncé. Ces évènements sont racontés sans détour par Vladek, Il a essayé de survivre, tout simplement.
Mais c'est beaucoup plus que cela. L'auteur aborde aussi la transmission du père au fils, transmission difficile car les souvenirs sont douloureux pour le père, mais aussi pour le fils. Et c'est le le dernier aspect abordé par l'auteur qui relate ici son expérience, la difficulté pour les enfants de survivants de surmonter ce qui est arrivé à leurs parents, et de vivre avec le poids de leurs souvenirs, eux qui n'ont pas souffert dans leur chair, ont parfois du mal à profiter de leur vie et ne pas se sentir coupables.

Une BD très riche tant par l'histoire qu'elle raconte que par les choix graphiques de l'auteur pour représenter les évènements et les sentiments. Un autre exemple est la façon dont il se dessine, après la parution de la première partie de la BD, quand il en raconte le succès, et paradoxalement le malaise que cela génère chez lui, la sensation de ne pouvoir échapper au fantôme de son père, il se dessine comme un enfant, un enfant souris bien sur.

Merci infiniment Paulo. Je sors bouleversée de cette lecture, cet auteur a réussi à me toucher avec ce noir et blanc, ces souris, et la sobriété de cette BD.


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Lorsqu'on a essayé, comme je l'ai fait, pendant plus de cinquante ans de lire, d'écouter, de voir, d'entendre tout ce que l'on a écrit, radio raconté, filmé et transposé au théâtre,concernant le nazisme et la SHOAH, on est étonné, alors qu'on croyait tout "connaître", de continuer à découvrir... du tout récent ; une pièce de théâtre - Avant la retraite - de Thomas Bernhard, un roman – La carte postale – d'Anne Berest...et ce qui est devenu un classique... à côté duquel on était "étrangement" passé, le chef d'oeuvre sous forme de BD roman qu'est l'oeuvre incontournable d'Art Spiegelman - MAUS - !

Étant "goy", sans parenté juive, je me suis toujours demandé, et le questionnement est encore d'actualité, quelle était la nature de ce lien viscéral que j'éprouve au plus profond de mes tripes pour cette période et pour ce que je qualifie de "marqueur de l'histoire de l'humanité".
D'un point de vue romanesque, il m'est arrivé de flirter avec des explications "karmiques"... sans en trouver aucune trace.
Je suis né huit ans après la fin de la guerre...c'est peu et c'est beaucoup...
Mais je suis né en Allemagne, à Marbourg, et y ai fait un deuxième séjour entre 1959 et 1962 à Baden-Baden...
J'ai eu ma période "kibboutz", en rêve velléitaire, en 70... comme beaucoup de ma génération...
Mais tout cela ne permet pas d'expliquer ce besoin, cet attrait, cette nécessité de me replonger dans le ghetto de Varsovie pour y lire les témoignages de Marek Edelman ou de Janusz Korczak, de pleurer lorsque je lis ou j'écoute Marceline Loridan-Ivens, et qu'ayant pas mal voyagé, je m'étais promis que mon dernier déplacement à l'étranger serait ce qui a pour moi valeur de pèlerinage : Auschwitz...
Malheureusement, ma santé, le Covid et à présent Putin, m'ont empêché et persistent à m'empêcher d'aller "retrouver" ce qui "m'attend" depuis si longtemps...

- Maus -, dessinée et écrite entre 1973 et 1991 par Art Spiegelman, est l'histoire de Vladek Spiegelman, père d'Artie, de sa mère Anja née Zylbergberg, de son frère Richieu, tous Juifs polonais. Et de toute sa "généalogie", si je peux m'autoriser ce terme générique manquant d'affect.

Art retrouve son père, avec lequel la coexistence n'est pas facile, au bout de quelques années de séparation et fait débuter son récit en 1958 par les pleurs de l'enfant de neuf ans qu'il a été, triste de voir que ses amis sont partis sans lui... et sur le commentaire laconique qu'en fait son père :
« Des amis ? Tes amis ? Enfermez-vous tous une semaine dans une seule pièce sans rien à manger... Alors tu verras ce que c'est, les amis... »

Il profite de ces retrouvailles pour demander au vieil homme ; celui-ci a déjà été victime de deux infarctus, a perdu un oeil, est diabétique, de lui raconter son histoire, celle de sa famille et celle du génocide des Juifs par les nazis.

Vladek dont la femme s'est suicidée en mai 68 et qui s'est remarié avec Mala, une Juive polonaise elle aussi rescapée des camps et avec laquelle il ne s'entend pas, accepte de raconter son histoire à son fils et accepte qu'il la publie.

Commence alors le récit d'une histoire qui court de l'enfance de Vladek au début du XXe siècle,"s'attarde" sur les années 30, détaille longuement et avec force précision et réalisme les années 40, les ghettos, les déplacements, les pogroms, les menaces, les privations, la délation, la violence, les humiliations, et la déportation en 1944 à Auschwitz Birkenau.
Vladek et Artie nous font entrer dans le camp d'extermination et nous font revivre ce à quoi a pu ressembler la SHOAH, l'extermination "industrielle" d'êtres humains... « Les Juifs sont indubitablement une race, mais ils ne sont pas humains. » ( Adolf Hitler ), planifiée, organisée et exécutée méthodiquement, froidement, "industriellement" par ce qu'Hannah Arendt a appelé "la banalité du mal".
Pour se poursuivre par la libération des camps, l'après-guerre, vivre avec le "traumatisme" et ce, pour Vladek, jusqu'à la fin de sa vie en août 1982.

Cette BD est fascinante et géniale à bien des égards.

D'abord le parti pris "animalier" de l'artiste.
En effet, pour Art Spiegelman, les Juifs sont des souris ( MAUS en allemand ) que guettent les nazis, de gros chats, entourés de Polonais pour beaucoup d'entre eux antisémites et incarnés par des porcs, avant de tomber dans la "souricière", et d'en être délivrés par les Américains sous l'apparence de chiens.
Les chats n'aiment pas les souris et les tuent, comme les nazis avec les Juifs.
Les chiens n'aiment pas les chats et les font détaler, comme les Américains avec les nazis allemands.
« Oubliez vos préjugés : ces souris-là ont plus à voir avec Kafka ou Orwell qu'avec Tom et Jerry. Ceci est de la vraie littérature. »
Pour l'anecdote, Art va jusqu'à représenter une Française sous l'apparence d'une grenouille.

Deuxième point que je trouve extraordinaire, c'est que ces planches en noir et blanc, anthropomorphiques, ont un écho terriblement réaliste, terriblement parlant, une réelle résonnance de vécu, de témoignage, de pan d'histoire.
Lorsque Art adulte, consulte son psy, l'artiste transforme son personnage en "enfant", minusculise son personnage, le faisant "régresser" ; les deux portant un masque.
Pourquoi cette alchimie et cette auto-identification du lecteur avec des souris, des chats, des porcs et des chiens ?
Je me suis demandé si L Histoire nous avait à ce point pénétrés qu'elle était désormais "imprimée" en nous et si, cela le démontrerait, les jeunes générations ont le même ressenti en lisant - MAUS -

Enfin, un point qui m'a interpellé, c'est le renoncement à héroïser, à embellir, à édulcorer les personnages réels de cette BD. le choix d'Art Spiegelman de ne pas avoir fait que du noir et blanc, mais aussi du gris et du rayé.
De ne pas s'être montré sous le jour d'un fils aimant, plein de qualités d'empathie, de compassion, de compréhension, de patience.
De ne pas avoir cherché à faire de Vladek un "Batman" ou un "Spider-Man", un "élu", mais comme aurait dit Tristan Bernard plutôt un personnage en "ballotage défavorable" : avare, égoïste, monomaniaque, raciste.

Je ne saurais dire pourquoi cette oeuvre est exceptionnelle. Ce que je sais, c'est qu'elle l'est.
Lorsque vous lisez - MAUS -, ce ne sont pas que des dessins avec des bulles, ce sont des êtres de chair et de sang qui vous gueulent aux tripes et au coeur.
C'est un monde vivant qui continue de vivre sous vos yeux.
Car, ne vous méprenez pas... ILS VIVENT !
Magie de la grâce qui a inspiré le talent.

Ces animaux darwiniens qui peuplent ingénieusement les albums de cette intégrale sont peut-être une des traductions de ce delirium tremens qu'est l'histoire de l'homme.
En tout cas, ils sont constitutifs de ce que nous sommes et nous nous évertuerions en vain à essayer de démontrer que nous ne leur sommes pas indissociables.

Une oeuvre majeure qu'il faut nous employer à faire vivre afin qu'elle puisse continuer à transmettre.

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Dans Maus (souris en allemand), Art Spiegelman nous raconte l'histoire de son père Vladek, rescapé d'Auschwitz.
Les juifs sont représentés avec des visages de souris, les allemands en chats, les polonais en cochons, les américains en chiens…
Son récit commence juste avant la guerre, avec la rencontre de ses deux parents, ensuite vient l'invasion allemande, la vie cachée dans des « bunkers » fait au fond d'un grenier, d'un coin de cave ou sous l'endroit où on déverse les ordures. Il raconte la fuite, l'errance, le froid, la faim, l'arrestation et la déportation. A Auschwitz ils seront séparés. Commence alors la déshumanisation, la faim, les humiliations, la torture morale et physique, la peur, la maladie, la perte de toute force…
Spiegelman entremêle son récit de moments plus récents, ceux où il a enregistré le témoignage de son père, homme insupportable qu'on s'interdit pourtant de juger parce qu'il a vécu tout ça… Et c'est intéressant parce qu'ainsi il élargit la réflexion sur la notion de culpabilité… coupable d'en avoir réchappé, alors que tant y sont restés, coupable de n'avoir pas connu ça, coupable, tout bonnement, d'être de cette race : les humains, qui sont capables de faire de si belles choses comme les pires…

http://youtu.be/¤££¤7Commence 8¤££¤
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Désigné comme une référence essentielle du monde de la bande dessinée, Maus se veut un témoignage de la Seconde Guerre mondiale et des horreurs nazies perpétrées contre les Juifs en Pologne.

Si le thème semble récurrent et rébarbatif, le contenu de l'album est tout autre : Les dessins sont réalisés en noir et blanc, le format des planches est original, plus petit que la moyenne ; la série se scinde en deux parties. Comme de nombreux autres auteurs, Spiegelmann a choisi de représenter les humains sous les traits d'animaux "anthropomorphisés", avec une espèce pour chaque peuple : souris pour les Juifs, grenouilles pour les Français, chats pour les Allemands, cochons pour les Polonais, chiens pour les Américains etc.

L'histoire se déroule en plusieurs temps, et en plusieurs récits enchassés : celui d'un jeune juif américain né peu après la guerre, devenu écrivain et dessinateur, et qui souhaite raconter de la manière la plus exacte possible le témoignage que lui livre son père sur sa vie durant la Guerre. Cependant, la bande dessinée ne se limite pas à une analyse psychologique du père durant les années de guerre, mais s'étend également aux impacts de celles-ci sur ses manies. En effet, le père du narrateur présente une personnalité des plus déplaisantes, transformée par la guerre (il ne peut s'empecher de tout réutiliser, d'économiser le plus possible son argent ; son avarice et sa victimisation sont récurrentes), mais qui présente meme parfois des similarités avec celle de ses bourreaux.

A travers cette pluralité de points de vue, l'histoire nous apparait sous une nouvelle facette ; et étonnamment, la transcription en bande dessinée n'adoucit pas du tout les horreurs de la guerre, et les fait meme ressortir malgré les personnages animalisés.

Un chef d'oeuvre !
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il regroupe les 2 parties du récit : Mon père saigne L Histoire (publié en recueil en 1986), Et c'est là que mes ennuis ont commencé (publié en recueil en 1991). Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc, comprenant 292 planches et 1.500 cases. À la suite à sa parution, un prix Pulitzer a été décerné à son auteur en 1992. Elle a également été récompensée par le prix de meilleur album étranger au festival international de la bande dessinée d'Angoulême en 1988 pour le livre I et en 1993 pour le livre II. L'auteur a complété cette oeuvre avec un album revenant sur sa genèse avec des explications complémentaires : MetaMaus (2012).

En 1958, à Rego Park à New York, le jeune Art Spiegelman (10 ans) est en train de faire du patin à roulette avec ses amis. Une des fixations lâche et il tombe par terre. Ses copains continuent leur course en le traitant d'oeuf pourri. L'enfant va se plaindre à son père qui lui répond qu'on ne peut pas les qualifier d'amis tant qu'on n'a pas été enfermé avec eux pendant une semaine sans rien manger. En 1978, Art rend visite à son père Vladek qui habite toujours à Rego Park. Il le salue, ainsi que sa deuxième épouse Mala. Après le repas, Art indique à son père qu'il souhaite commencer à réaliser sa bande dessinée sur lui, et qu'il aimerait donc qu'il lui raconte son histoire, en débutant par comment il a rencontré Anja, sa première épouse, la mère d'Art. En 1937, Vladek Spiegelman vivait à Częstochowa, en Pologne, travaillant dans le commerce de vêtements. Il avait belle prestance, ses amis le comparant avec Rudolph Valentino (1895-1926) dans le film le Cheik (1921). Il avait développé une relation amoureuse avec Lucia Greenberg, issue d'une famille sans argent. Vladek allant visiter sa famille dans la ville de Sosnowiec, sa cousine lui présente une amie : Anja Zylbergberg. Ils commencent à nouer une relation épistolaire, puis Vladek est invité dans sa famille qui possède une des plus grandes usines de bonneterie de Pologne. Vladek décide de déménager pour s'installer à Sosnowiec. Il se fiance à Anja, se marie avec elle, et son père lui offre une bonne situation dans son entreprise de bonneterie.

Finalement avec l'aide de son beau-père, Vladek Spiegelman fait construire une usine de textile à Bielsko, également en Pologne. En octobre 1937, nait Richieu, le premier enfant d'Anja et Vladek. La jeune mère souffre d'une dépression périnatale, et le jeune père l'accompagne pour un séjour dans un sanatorium, en Tchécoslovaquie. Durant le voyage en train, il passe par une ville où flotte le drapeau nazi. Un voyageur leur parle d'un pogrom en Allemagne. le séjour au sanatorium dure 3 mois : c'est un vrai succès pour la santé d'Anja. de retour à Sosnowiec, le père d'Anja apprend à Vladek que son usine a été pillée. Il l'aide à redémarrer son affaire, et rapidement l'usine à Bielsko engrange de confortables bénéfices. Mais le 24 août 1939, les Spiegelman reçoivent une lettre du gouvernement intimant l'ordre à Vladek de rejoindre l'armée. Il est décidé que Richieu et Anja retournent à Sosnowiec pour séjourner avec sa famille, pendant que Vladek rejoint les rangs de l'armée. Il se retrouve bientôt au front contre l'armée allemande. Vladek s'interrompt dans son récit car il vient de renverser son flacon de pilules qu'il était en train de compter pour préparer son pilulier. Par association d'idées, il se lance alors dans le récit de son opération de l'oeil droit qui a fini par une ablation et la pose d'un oeil de verre. Art Spiegelman revient régulièrement voir son père pour recueillir sa parole et il se retrouve souvent pris à témoin dans les chicaneries entre Valdek et son épouse Mala. Finalement son père reprend son histoire là où il s'était arrêté, au front.

Depuis sa parution à la fin des années 1980, cette bande dessinée est devenue une référence incontournable : un témoignage extraordinaire d'un survivant du camp de concentration d'Auschwitz, pendant la seconde guerre mondiale. le lecteur assiste aux entretiens d'Art avec son père, et vit en direct les souvenirs de ce dernier qui sont alors racontés au temps présent, toujours sous forme de bande dessinée. L'auteur a choisi de restituer la parole de son père au mieux, en effectuant des recherches historiques en parallèle pour dessiner avec authenticité ce qu'il évoque : la Pologne de la deuxième moitié des années 1930, et de la première moitié des années 1940, mais aussi les installations du camp de concentration, les trains, les uniformes des prisonniers et des soldats, etc. le lecteur n'a pas forcément conscience de cette volonté d'authenticité, car l'artiste a choisi un rendu descriptif, mais simplifié, avec un format de BD un peu plus petit que celui d'un comics. Néanmoins s'il regarde les pages sous l'angle de la reconstitution historique, il voit bien que ces dessins à l'apparence parfois un peu naïve contiennent effectivement des informations visuelles en bonne quantité, avec un investissement visible de l'auteur quant à l'exactitude de chaque détail, qu'il s'agisse des tenues vestimentaires, ou des meubles, des aménagements intérieurs, des installations des camps.

Bien évidemment, c'est le récit de Vladek Spiegelman qui dicte la forme de la narration. Pour autant, Art Spiegelman a effectué des choix narratifs très conscients. Dès le départ, le lecteur est frappé par l'utilisation du zoomorphisme pour représenter les nationalités : des souris pour les juifs, des chats pour les allemands, des cochons pour les polonais, et d'autres animaux pour les américains, les français et les suédois. Cela n'a pas pour effet de rendre les individus mignons, mais ça permet au lecteur de prendre du recul, de ne pas ressentir de plein fouet l'horreur de ce qui est raconté. Chaque visage est très simplifié : des points pour les yeux, bien souvent pas de bouche dessinée pour les souris, le même visage pour toutes les souris, pour tous les chats, pour tous les cochons, et pourtant le lecteur sait toujours qui est représenté grâce au contexte et au dialogue ou au commentaire. Ensuite, il constate que le nombre de cases par page est assez élevé : entre 8 et 10 en moyenne, avec des bordures rectangulaires. de temps à autres, il fait ressortir une case par un insert, ou par une absence de bordure. Il utilise régulièrement un découpage très rigoureux en 8 cases, 4 bandes contenant chacune 2 cases. En outre, le lecteur constate rapidement que l'artiste représente le décor en arrière-plan dans plus de 90%, ce qui est à nouveau fait sciemment pour que les personnages ne deviennent pas juste des acteurs sur une scène vide. En fait, sous des dehors un peu frustes et simplistes, chaque page comprend une forte densité d'informations visuelles très concrètes qui projettent le lecteur dans chaque lieu, à côté de personnages expressifs.

Effectivement, Art Spiegelman accomplit un devoir de mémoire en couchant sur le papier les souvenirs de son père, dans une bande dessinée, ce qui fin des années 1970 / début des années 1980 était un pari aux États-Unis, car les comics étaient vus comme un média à destination des enfants pour des récits de superhéros. Lorsque Vladek se retrouve emprisonné à Auschwitz, il relate factuellement la faim, les privations, les maltraitances, les tortures, les rafles, les morts par la faim, par les coups, par les exécutions sommaires, et dans les chambres à gaz. Dans un premier temps, l'utilisation de souris anthropomorphes évite au lecteur de devenir un voyeur devant des horreurs graphiquement insoutenables. Mais l'accumulation d'épreuves finit par générer un malaise proche de devenir insoutenable. Il acquiesce inconsciemment quand Vladek indique à son fils que c'est inimaginable, impossible à représenter ce qu'il a vécu. Il comprend à chaque fois comment Vladek a pu survivre, parfois avec de la chance (toute relative), tout en voyant de nombreux prisonniers mourir autour de lui. C'est vraiment le récit d'un survivant, et il s'interroge sur les séquelles psychologiques d'une telle succession de traumatismes effroyables. Il comprend tout à fait que Vladek puisse se représenter les soldats allemands comme des prédateurs cruels pour les juifs, comme des chats pour des souris.

Ce zoomorphisme des nationalités permet également d'éviter de mettre en oeuvre des stéréotypes de race pour les représenter. Au cours du chapitre trois du livre I, Vladek est représenté comme portant un masque de cochon sur son visage, se faisant passer pour un polonais auprès d'un autre polonais. Plus tard dans le récit, c'est Art Spiegelman qui porte un masque de souris, bien qu'il soit juif pas sa naissance, mais pour indiquer qu'il se sent un imposteur. le lecteur comprend que l'auteur a conscience des limites de l'outil visuel qu'est le zoomorphisme et que ces masques correspondent effectivement à la projection de la représentation mentale de Vadek sur les individus, tel qu'il raconte son histoire. Au début du premier chapitre du livre II, Françoise Mouly (la compagne d'Art) et Art ont une discussion sur sa propre culpabilité qu'il ressent à avoir une vie plus facile que celle de son père, à avoir eu un frère qu'il n'a jamais connu. La discussion se termine avec la remarque formulée par Art que dans la vraie vie, Françoise ne l'aurait jamais laissé parler aussi longtemps sans l'interrompre. le lecteur comprend que l'auteur a une conscience aiguë de la nature de sa bande dessinée : une reconstitution à partir des souvenirs de son père datant de plus de trente ans, réarrangés sous forme de bande dessinée. Ce n'est pas un témoignage à chaud, et tous les faits ne sont pas vérifiables. Il doit faire des choix narratifs, sur la base d'informations parcellaires, sans pouvoir rendre compte de la totalité de l'expérience de son père. de ce point de vue, Maus comprend des particularités propres au récit de fiction.

En plus d'être un récit de transmission de la Shoah, Maus est également un témoignage de la relation entre Art et son père. D'un côté, il subit une forme de culpabilité d'avoir une vie plus facile que son père, et d'être incapable de faire aussi bien que lui ; de l'autre, sa vie a été façonnée par les souvenirs de son père, par sa trajectoire de survivant, qui n'est la sienne à lui Art. La transcription des souvenirs de son père en bande dessinée porte également la marque de l'histoire relationnelle entre son père et lui : l'auteur met en avant ce biais émotionnel avec les séquences dans lesquelles il recueille la parole de son père. le récit n'est donc pas juste un témoignage historique et la biographie (partielle) de Vladek Spiegelman, c'est aussi pour partie une autobiographie, celle d'Art. Tout comme il peut facilement critiquer l'usage du zoomorphisme, le lecteur peut trouver dommage que l'auteur n'ait pas recueilli la parole de Mala, la seconde épouse de Valdek, elle aussi survivante des camps de concentration., ou encore trouver à redire sur tel aspect du récit (mettre tous les allemands dans le même sac, sous forme de chat par exemple). Mais l'auteur ne prétend pas à la perfection : il expose au lecteur, ses limites en toute transparence.

Oui, Maus est une bande dessinée exceptionnelle, à la fois pour le devoir de mémoire qu'elle constitue, à la fois pour l'intelligence de sa composition et de sa réalisation. Art Spiegelman met en images les mémoires de son père avec une grande honnêteté intellectuelle, une prise de recul intelligente qui n'obère en rien la dimension émotionnelle du récit.
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La police d'écriture utilisée m'a un peu gênée dans ma lecture - elle figure un style manuscrit, donc irrégulier et moins aisément lisible - mais cela est essentiellement dû à ma mauvaise vue. Car je trouve, en effet, que ce choix était judicieux tant il installe instantanément un climat confidentiel, intime.

Idem pour la syntaxe de Vladeck, le père, qui aurait certainement été plus intelligible à l'oral. Mais, là aussi, c'était très bien vu car la transmission de Vladeck à son fils est, bel et bien, orale. Et cela aurait été la trahir que de la corriger à l'écrit.

Même perplexité en ce qui concerne le graphisme. Toutes ces souris absolument identiques et sans expression... au point que seuls leurs vêtements ou leurs paroles me permettaient de les identifier.
Mais, là encore, on ne peut que saluer l'intention, pour le moins géniale, d'Art Spiegelman. Cela nous permet de mesurer à quel point, pour les nazis, un Juif n'était qu'un Juif et rien d'autre que cela. Si ce n'est un parasite, dénué de la moindre humanité, et juste bon à être exterminé. De la même manière que nous ne distinguons pas un cafard d'un autre cafard et jugeons légitime de les éliminer sans plus d'états d'âme.

Quel génie de la part d'Art Spiegelman de nous exposer cette tragédie sous un prisme différent de celui que nous connaissons !
J'ai abordé cette BD sans en attendre plus que je ne savais déjà. Puis, j'ai rapidement été interloquée et, au final, quelle révélation ! Quelle claque !

Je ne saurais terminer cette "critique" sans vous inciter à prendre connaissance de l'excellent billet de LaSalamandreNumérique qui en parle beaucoup mieux que je ne viens de le faire.
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Un Pulitzer cent fois mérité, pour cette bande dessinée vitale, essentielle, indispensable.
Art Spiegelman nous emmène dans une période atroce, qui n'en finit pas de revenir dans sa hideur absolue.
Seul, un récit en bande dessinée noir et blanc avec un style semi-animalier pouvait offrir la force nécéesaire à ce propos sur le mal et la barbarie.
Il n'y aura jamais assez d'étoiles, pour louer ce chef d'oeuvre de la bande dessinée mondiale.
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Bande dessinée d'Art Spiegelman. Ce volume comprend Mon père saigne l'histoire et C'est là que mes ennuis ont commencé.

Préface de Marek Halter : "Qu'y a-t-il de commun entre une bande dessinée et la Shoah ? "Zahkor" ! souviens-toi en hébreu. Cette injonction apparaît quelques 169 fois dans le texte biblique, comme si les sages réunis à Yavné, vers la fin du premier siècle, pour compiler les textes et les chroniques qui allaient composer le Livre des livres, avaient pressentis le rôle primordial dévolu à la mémoire dans le destin d'un peuple appelé à la dispersion et à l'exil. Art Spiegelman est le fils d'un des survivants des ghettos polonais. Né à Stockholm en 1948, il vit à New York et dessine des B. D. Maus, son livre, est l'histoire d'une souris dont le chat a décidé d'avoir la peau. La souris est le juif, le chat le nazi. le destin de Maus est de fuir, de fuir sans espoir l'obsession du chat qui lui donne la chasse et lui trace le chemin de la chambre à gaz. Mais Maus est également le récit d'une autre traque, celle d'un père par son fils pour lui arracher l'histoire de sa vie de juif entre 1939 et 1945 et en nourrir sa propre mémoire, se conformant ainsi à l'obligation de se souvenir. de transmettre aussi. Et avec quelle énergie ! Car de la rencontre peu naturelle de la B. D. et de la Shoah naît un choc. le choc d'une forme réputée mineure pour un événement majeur. Tout comme Woody Allen a su, avec ses images en noir et blanc, nous désintoxiquer du cinéma pour mieux nous le faire voir, Art Spiegelman parvient à effacer de notre souvenir les récits un peu fatigués de la Shoah pour leur substituer un montage neuf, contemporain et fort. D'où la réussite de Maus, cette oeuvre de la première génération "d'après". Grâce à l'art de Spiegelman, le destin de Maus ne cessera de nous hanter."

Mon père saigne l'histoire (du milieu des années 30 à l'hiver 1944) - Art Spiegelman demande à son père de raconter son histoire, sa rencontre avec sa mère Anja et les années noires de la seconde guerre mondiale. Art a le projet de dessiner cette histoire en collant au plus près :"Je veux raconter ton histoire, comment ça s'est vraiment passé." (p. 25). Vladek Spiegelman retrace alors sa jeunesse en Pologne, son mariage avec Anja, ses fabriques de tissus, sa capture en tant que prisonnier de guerre et toutes les combines qu'il a "organisées" pour faire vivre et sauver sa famille et celle de son épouse. du ghetto à Auschwitz, Vladek tente de survivre.

Art fait de son père un portrait sans concession. Il montre comment le vieil homme a gardé les habitudes de la guerre, entre récupération et économies avaricieuses. "Sur certains points, il est exactement comme les caricatures racistes du vieux juif avare." (p. 133) Vladek est un vieil acariâtre bougon, remarié sans amour avec Mala après le suicide d'Anja. le père d'Art jauge le quotidien à l'aune de son expérience de la guerre et d'Auschwitz. Irrémédiablement marqué, dans sa chair et dans son âme, par la Shoah, Vladek ne peut concevoir la légèreté de la nouvelle génération.

Et c'est là que mes ennuis ont commencé (de Mauschwitz aux Catskill et au-delà) - La seconde partie s'ouvre sur une réflexion d'Art face à son oeuvre. Il se demande sous quels traits animaux il peut représenter les Français. Il remet en question le choix de son expression :"Il y a tant de choses que je n'arriverai jamais à comprendre ou à visualiser. J'veux dire la réalité est bien trop complexe pour une B. D. ... Il faut tellement simplifier ou déformer." (p. 176) Entre le postulat historique et sa représentation artistique et graphique se creuse un fossé qu'Art doute pouvoir combler. Se dessinant homme derrière un masque de souris, il montre son appartenance à un groupe, mais également les distances qu'il prend avec celui-ci.

Dans la seconde partie, Vladek poursuit le récit de son passage à Auschwitz. Il décrit comment, à force de combine et de chance, il a réussi à obtenir des places privilégiées et des avantages. Les images des camps sont connues, mais mises en bande dessinée, elles acquièrent une nouvelle épaisseur et une nouvelle vitalité. Les marches de la mort, la fin de la guerre et le retour au pays sont autant de thèmes déjà vus, mais le traitement que leur impose Art Spiegelman permet de les voir avec un oeil nouveau.

Cette bande dessinée a l'épaisseur et la forme d'un roman. Découpée en chapitres, elle est également mémoires et confessions d'un vieil homme, testament et récit des origines pour le fils. Insérée à mi-parcours, on découvre une autre bande dessinée d'Art Spiegelman, celle où il illustre le suicide de sa mère. Mise en abîme de la mort eet du récit familial, cette production met en scène des êtres humains perdus, solitaires et effrayants. Dans Maus, le recours à l'animal permet de se sauver un peu de l'horreur de la représentation.

Les souris sont les Juifs, les chats sont les Allemands, les cochons sont les Polonais, les chiens sont les Américains, etc. Je m'interroge sur le choix de la souris. Certes, la faiblesse de l'animal face au prédateur félin ne fait aucun doute. Mais j'y vois aussi une reprise des idéaux nazis : les juifs sont une vermine trop nombreuse qu'il faut exterminer. Quand les juifs cherchent à se déguiser, ils portent des masques de cochon pour se fondre la masse "honnête" de la population. Les juifs ne sont pas des citoyens au même titre que les Allemands ou les Polonais. Ils sont autre chose, autrement.

Les [S] des phylactères ressemblent aux S allemands du sigle SS. Ils zèbrent sans cesse les paroles, éclatent la parole en éclair de mots et font écho aux bombardements et aux coups. La peur suinte des pages. le dessin en noir et blanc renforce cette impression de monde manichéen : sans cesse le personnage peut basculer dans le néant. Les mots parfois s'agencent en phrases laconiques dont la logique est évidente :"Beaucoup ont eu des plaies à cause du froid. Dans les plaies du pus, et dans le pus des poux." (p. 55) L'horreur physique et les conséquences dramatiques de la saleté sont ici exprimées en termes factuels, irrémédiablement logiques. La langue de Vladek est caractéristique des émigrés : il inverse certaines parties de phrase et commet des erreurs. Il abuse des pronoms : en cela j'ai vu une nécessité de toujours mettre l'humain au centre, d'insister sur la personne en faisant mention d'elle sous toutes ses formes grammaticales.

La place du fils et, plus généralement, des générations issues des survivants, est fortement interrogée. "Je dois me sentir coupable quelque part d'avoir eu une vie plus facile qu'eux." (p. 176) Ici parle la culpabilité du survivant et ainsi s'exprime le poids intemporel et inaliénable du souvenir. Entre le père et le fils, les relations sont souvent tendues. Art en veut à son père de vivre comme si la guerre allait frapper et Vladek ne sait vivre que dans la crainte et le ressentiment. Art reste un enfant qui se sent incapable d'être à la hauteur des attentes de son père. Quand on apprend la mort de Vladek, la tension retombe. Art reprend le récit, délivré du poids de l'approbation paternelle, et il achève plus aisément la mise en images de l'existence de son père.

Pas facile de parler de cette oeuvre qui a déjà fait couler tant d'encre... Cette bande dessinée ne peut pas être saisie en une seule et première lecture. Il faudra y revenir pour mieux saisir certaines subtilités. Si les textes de Primo Levi et de Robert Anthelme m'ont fortement marquée, l'image d'Art Spiegelman a également fait impression pour longtemps.
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