Ce livre est l'histoire extrêmement bien documentée et romancée de la vie dans le plus grand ghetto juif de Pologne, Lodz, d'avril 1940 à janvier 1945. C'est le ghetto qui a vécu le plus longtemps avant la déportation et le gazage de presque la totalité de ses habitants : sur 230.000 hommes, femmes et enfants, seuls 870 survécurent.
On va retrouver dans ce roman, sous leur véritable nom, les représentants de la triple administration de Lodz, semblable à celle de tout ghetto :
une administration civile : l'Amtsleiter Han Biebow
une administration militaro-policière : le SS Oberstumbannführer Otto Bradfisch
une administration juive : le Judenrat ou Conseil juif, présidé par Mordechai Rumkowski, le personnage central du roman.
Jusqu'à aujourd'hui, la personne de Rumkowski a suscité beaucoup de critiques.
Primo Levi lui-même, dans son livre « Les naufragés et les rescapés » considère qu'il a « adopté le style oratoire de Mussolini et d'Hitler » et qu'il s'est comporté comme un autocrate. Et, en effet, l'auteur nous montre un Rumkowski qui choisit de collaborer avec les nazis pour, dit-il, assurer la survie du ghetto dont il a fait une cité ouvrière produisant très efficacement pour assurer la victoire allemande. Il vit avec toute sa famille dans une grande aisance, donne de grandes fêtes et des banquets auxquels il convie les autorités nazies quand tous autour de lui souffrent de la faim, du froid et manquent de tout (le titre original du livre est « Les pauvres de Lodz »). Nous suivons l'histoire de la famille Rumkowski mais aussi celle, très attachante, de quelques familles qui, elles, en sont réduites à tenter de survivre. Jamais le président Rumkowski ne met en doute la confiance qu'il a dans les autorités allemandes qui dirigent le ghetto et il croit même naïvement que Lodz survivra dans une Allemagne victorieuse, comme une enclave juive indépendante et économiquement très productrice ! Quand les nazis lui demandent d'établir une liste d'enfants et de vieillards à déporter, il s'exécute. Il n'hésite pas non plus à réprimer durement ses compatriotes récalcitrants. Pourtant, en 1945, Rumkowski et toute sa famille seront déportés à Birkenau où ils seront gazés le jour même de leur arrivée. Au moment de monter dans le train, il cherche le wagon confortable qui est certainement réservé à des personnes de leur importance avant de se retrouver dans un wagon à bestiaux surpeuplé…
C'est un très long roman dans lequel l'histoire des personnages choisis par l'auteur s'interrompt souvent pour donner place à des citations, des extraits de documents de la Chronique du ghetto ou à des informations historiques. Pourtant, on ne s'ennuie jamais et on poursuit la lecture, un peu halluciné, complètement immergé dans la vie quotidienne de Lodz dont on pense capter un peu de l'horreur qu'elle fut pendant quatre longues années. Quand on a fermé le livre, on reste quelque temps habité par ce qu'il nous dit et on n'arrive pas tout de suite à se plonger dans un autre roman… et on pense que, décidément, les victimes n'ont pas que des héros dans leurs rangs, et c'est très dérangeant.