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sur 524 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Conseiller un livre est une entreprise périlleuse. Combien de fois n'ai-je pas recommandé tel bouquin à telle personne en étant certain qu'ils allaient devenir inséparables, que les pages allaient se faire bouffer toutes crues en une poignée d'heures ! La réalité m'a souvent remis les yeux bien en face des orbites: j'aurais fait un pitoyable libraire ou bibliothécaire.

Chaque lecteur potentiel a des goûts spécifiques, des attentes particulières qui varient en fonction de son vécu, ainsi qu'un degré "d'influençabilité" personnel tellement volatile qu'il faut être fin psychologue avant de dénicher l'objet idéal et ensuite débiter la phrase fétiche “j'ai le livre qu'il te faut !” Avant d'être partagée, la lecture reste un repli où l'on entre en résonance (ou pas) avec une histoire. D'ailleurs, ne dit-on pas que c'est le livre qui nous choisit et non l'inverse?

Tout comme dans l'action d'écouter une musique, il y a dans la lecture une part non négligeable d'initiation. Rares sont les personnes, par exemple, qui discernent à la première écoute la multitude de variations et de nuances d'un concerto de Bach. Il faut être un minimum aiguillé afin d'ouvrir le champ des possibles. La littérature n'échappe pas à cette règle initiatique. Si une personne vous montre dès l'enfance la lecture comme source de plaisir, il y a de grandes chances que vous tournerez des centaines de milliers de pages tout au long de votre vie. Cette initiation continue au gré de personnes rencontrées, de libraires chez lesquels on va fouiner, ou encore de blogs tels que l'excellent Bibliofeel qui propose des chroniques en dehors des sentiers battus. C'est d'ailleurs via ce site que le livre Éloge de l'ombre de Junichirô Tanizaki s'est mis à me faire de l'oeil. Analyse de cet ouvrage culte japonais. 行こう!

Afin de mieux saisir l'intérêt de ce livre publié pour la première fois en 1933, il est important de dire un mot sur Junichirô Tanizaki ainsi que sur la période durant laquelle il écrivit ce bref essai. D'abord l'homme, né un 24 juillet 1886 à Tokyo, est un écrivain qui a, dès ses premiers écrits, apporté un style qui brisa les codes littéraires japonais de l'époque lorgnant jusque-là du côté du romantisme et du naturalisme. Tanizaki a gardé tout au long de sa vie cet esprit anti-conformiste en faisant fi des courants qui traversaient le Japon de la fin du XIX au début du XXe siècle. C'est ce que l'on appelle l'ère Meiji du nom de l'illustre empereur nippon.

Cette période est un tournant dans l'Histoire du Japon. Ce pays, qui vécut pendant des siècles loin de l'influence culturelle et technologique occidentale, se voit soudainement chamboulé par une manière de vivre diamétralement opposée aux siècles de tradition et entre, d'un coup, dans l'ère de la modernité.

Ces deux éléments, c'est-à-dire la gouaille de Tanizaki et l'entrée dans le monde moderne sont pour moi, le socle de l'Éloge de l'ombre où l'auteur japonais regarde le présent en mettant dans la balance le poids d'un héritage multiséculaire.

Le Japon d'autrefois avait alors une identité forte, imprégnée d'une notion de beauté très différente de nos standards occidentaux. Et l'auteur de nous faire découvrir l'âme nippone ancestrale. Celle qui était habituée au dépouillement, à l'obscurité ainsi qu'aux ombres. Chez Tanizaki point de place pour l'éblouissement par la lumière qu'il considère inadaptée à la vie de l'archipel :

“ En fait, la beauté d'une pièce d'habitation japonaise, produite uniquement par un jeu sur le degré d'opacité de l'ombre, se passe de tout accessoire. L'Occidental, en voyant cela, est frappé par ce dépouillement et croit n'avoir affaire qu'à des murs gris dépourvus de tout ornement, interprétation parfaitement légitime de son point de vue, mais qui prouve qu'il n'a point percé l'énigme de l'ombre. “

Il y a dans le concept d'obscurité un respect profond et subtile pour l'environnement dans lequel il se manifeste. Il s'agit d'un tout et non d'une simple variation lumineuse. L'auteur japonais nous emmène jusque dans les toilettes japonaises de l'époque qui était, de nouveau, l'exact opposée des nôtres. Là, pas de carrelage ni de faïence, pas de pièce chauffée à la blancheur immaculée mais une annexe près des feuillages où le confort boisé est certes rudimentaire mais en adéquation parfaite avec la nature. À l'instar de ces lieux d'aisance, Tanizaki nous fait alors découvrir pourquoi l'obscurité était présente partout des WC aux meubles laqués noirs jusqu'aux ustensiles de cuisine rarement brillants mais souvent sombres. C'est qu'il y avait une recherche de poésie dans ce Japon ancestral. L'ombre était alors l'écrin parfait pour mettre en valeur des choses lumineuses telles que certaines couleurs éclatantes comme l'or ou plus banalement dit le… doré.

Cette conception de la beauté à travers l'obscurité est, sans doute, quelque-chose qui continue de perturber bon nombre d'entre-nous qui ne jurons que par la recherche absolue de lumière. Ne dit-on pas qu'une personne est rayonnante voire solaire? À contrario, n'utilisons-nous pas tout un vocabulaire péjoratif lié à l'ombre pour décrire des faits négatifs ? Pourtant les nuances et la subtilité ne se découvrent qu'à travers des jeux d'ombres. Les artistes sont sans doute les premiers à utiliser cet aspect positif de la pénombre. Il suffit d'admirer un chef d'oeuvre de la peinture pour se rendre compte de sa présence indiscutable. Sans elle, la peinture serait totalement différente. Il en va de même pour la photographie, la musique, la calligraphie et bien d'autres pratiques. le livre de Junichirô Tanizaki est culte car il a renversé la réflexion sur le beau en l'abordant, dès le départ, à travers l'obscurité et non via le poncif éculé qu'est la lumière.

“ Je crois que le beau n'est pas une substance en soi, mais rien qu'un dessin d'ombres, qu'un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substances diverses. de même qu'une pierre phosphorescente qui, placée dans l'obscurité émet un rayonnement, perd, exposée au plein jour, toute sa fascination de joyau précieux, de même le beau perd son existence si l'on supprime les effets d'ombre. “

Conclusion

Avec ce livre épais de 90 pages seulement, Tanizaki a renversé les codes conventionnels et donné une perspective déroutante afin de nous parler d'un Japon aujourd'hui disparu mais dont l'onde de choc continue encore de se faire sentir aujourd'hui. Car, si son ode à la faveur de l'obscurité peut-être lue de manière historique, artistique ou encore folklorique, elle est aussi une exceptionnelle mise en abyme de la manière dont fonctionne une modernité qui oublie d'où elle vient. Cette recherche viscérale de progrès qui nous fait détester la moindre parcelle d'ombres en nous. Il faut que tout scintille jusqu'à l'épuisement. Et que restera-t-il quand tout s'éteindra à nouveau? Il restera l'obscurité car c'est du néant que jaillit la lumière.

Un livre à mettre entre toutes les mains 😉

À bientôt,
Lien : https://lespetitesanalyses.c..
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Dans ce court essai, JunichiroTanizaki met en parallèle la conception de l'esthétique en Occident et en Orient. Notre regard, notre comportement, sont étroitement liés aux matériaux (carrelage, bois, papier, laque, céramique), aux couleurs, mais plus encore à l'éclairage qui influencent non seulement notre approche de l'espace mais également notre représentation de l'autre, en particulier de la femme. Pour illustrer son propos, l'auteur insiste sur la construction et l'agencement des maisons, sur la représentation théâtrale.

Pourquoi cet écrit datant de 1933 peut-il encore de nos jours autant nous parler ? Par la différenciation qu'il propose de l'ombre, de la pénombre, du clair obscur et même des ténèbres. J'y ai surtout vu l'idéalisation par l'auteur d'un Japon traditionnaliste déjà menacé à la sortie de ce livre par les conceptions occidentales.
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Éloge de l'ombre et par là même mise en valeur de l'esthétique japonaise dans tout ce qu'elle a de plus singulier et fascinant. Tel est le désir de Junichiro Tanizaki lorsqu'il entreprend l'écriture d'un essai qui se révèlera très juste, beau et intéressant.

Dans ce livre, donc, Tanizaki se veut le défenseur d'un Japon traditionnel face à un occident moderne toujours plus à la recherche du progrès : il explique d'ailleurs que là où les japonais apprécient un objet vieilli, voilé et aux reflets profonds, les occidentaux s'empressent de tout faire briller.

Mais l'opposition qui est au coeur de l'éloge de l'ombre, c'est celle de l'obscurité que prône Tanizaki, synonyme de suggestion (et donc d'imagination), de subtilité, de retenue et de calme, a contrario de la vive clarté tant recherchée par l'occidental. Pourtant, en cherchant à chasser la moindre parcelle de ténèbres et en privilégiant la lumière, on gagne certes en visibilité mais on perd aussi énormément en profondeur.

L'auteur se sert très bien de ses souvenirs et évoque non sans un certain désarroi un certain moment passé avec ses amis :
« Une fois déjà l'on m'avait gâché ainsi le spectacle de la pleine lune : j'avais projeté, une certaine année, d'aller la contempler en barque, à la quinzième nuit, sur l'étang du monastère de Suma ; je conviai donc quelques amis et nous y vînmes, munis de nos provisions, pour découvrir que l'on avait, sur tout le pourtour de l'étang, suspendu de joyeuses guirlandes d'ampoules électriques multicolores ; la lune était d'ailleurs au rendez-vous, mais autant dire qu'elle n'existait plus. »

Petit à petit, on ressent tout de même l'inquiétude de l'homme face au fait que les japonais cherchent à imiter les occidentaux, en particulier en matière d'éclairage.

Au final, beaucoup d'exemples sont employés et le passé a valeur de preuve, preuve que l'ombre est un élément inséparable dans la notion de beau au japon.

Un grand livre, qui mérite amplement la note qui est la sienne sur le site.
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En 1933, en pleine force de l'âge et de son expérience de la vie, Tanizaki délivre un petit bijou en ce qu'il se veut un concentré de ce qu'est l'âme japonaise, en particulier un goût particulier pour les ambiances ombragées, à l'opposé de la pleine lumière, de l'éclat et des couleurs tapageuses que rechercheraient les occidentaux. Et pour le coup, on peut dire que son discours, rondement mené en moins de 80 pages, est des plus brillants !

Ce qui frappe est la banalité, voire la trivialité des thèmes et exemples retenus pour les besoins de sa démonstration, ce qui renforce d'autant la popularité et le crédit du propos. Je ne reviendrai pas sur les cabinets de toilette, tous les lecteurs qui m'ont précédé ici en ont été frappés, c'est vrai que c'est assez croustillant…Eloge du silence et de la nature, ou le cabinet comme lieu d'introspection méditative…Ailleurs dans la maison, il expose le rôle fondamental du toko-no-ma, ce petit renfoncement dans un mur où se loge généralement un tableau, une estampe, et sur la marche située en-dessous un petit vase contenant une sobre décoration florale ikebana. Spécifiquement japonais, il est à l'abri de la lumière directe. Il paraît que l'effet produit par le toko-no-ma dit tout de la qualité de confort et de tenue de la maison (il faut lire ici le livre du thé de Kakuzô Okakura, complément indispensable à Eloge de l'ombre). Tanizaki tient pour supérieure cette tradition de l'ombre, du sombre, de la patine sur les objets qui s'installe avec le temps et à force de toucher, quand les occidentaux ne penseraient qu'à les lustrer. N'oublions pas que chez les Japonais la charge symbolique des objets est très forte, presque à en avoir une âme…Autant dire que les lustrer comme au premier jour de leur existence, c'est les aseptiser et leur ôter tout le charme du vécu. Il admet au passage que c'est aussi un moyen de masquer dans une semi-obscurité un côté pas toujours bien net de propreté…L'exemple sur lequel il s'étend le plus est toutefois la question de l'éclairage électrique, une véritable calamité venue tout droit d'occident dont il regrette la généralisation et l'emploi excessif, y compris dans des grands hôtels japonais qu'il ne se gêne pas pour nommer. Mais il évoque aussi le papier, la vaisselle (les laques), et s'aventure assez longuement sur le terrain interne du théâtre japonais, préférant la sobriété d'effets du Nô au clinquant du Kabuki.

Son discours nous fait sourire souvent, tellement transpire l'agilité intellectuelle de ce génie, mêlant humour et parfois mauvaise foi, modestie et auto-dérision vraie ou fausse…Tanizaki feint parfois de geindre et jouer les nostalgiques, tout en admettant qu'il faut bien se faire une raison, on ne reviendra pas en arrière. L'Occident a gagné la partie, il faut tenter de sauver ce qui peut encore l'être mais ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain de confort apporté par la modernisation à marche forcée de l'ère Meiji, achevée vingt ans plus tôt.

Personnellement, plus que l'affaire des toilettes, c'est le dernier quart du livre qui m'a le plus impressionné. D'une part, sur la question des lampes, il affirme avec force et clairvoyance si j'ose dire, que la débauche de lampes dans les restaurants et autres lieux de plaisirs ne fait que générer une nuisible chaleur supplémentaire, aberration durant la saison d'été, d'autant que pour lutter contre cette chaleur devenue excessive on fait tourner les ventilateurs. Il faudrait réduire, économiser, quitte à monter un peu l'hiver. En ce XXIème siècle de réchauffement climatique, de risque de pénurie de ressources énergétiques et de pollution lumineuse des villes, ce discours qui a 90 ans d'âge est saisissant d'actualité !

Pour autant, Tanizaki est un réaliste qui ne tournera pas le dos au progrès, l'affaire est entendue, mais dans ces dernières pages il s'auto-investit de la mission de sauver ce qu'il reste de l'esprit japonais, pour la postérité, à travers ses romans et écrits comme celui-ci. C'était quasi peine perdue, et il le savait bien, constatant que les Japonais ont largement adopté la mode occidentale. Sa vision est déjà celle du passé, quand il se souvient de sa mère cousant dans une faible lumière, à l'aube du XXème siècle. Mais il sait très bien qu'à toutes les époques, les vieux sont toujours nostalgiques, touchés par le syndrome du c'était mieux avant, du temps de leur jeunesse, donc il faut relativiser ces plaintes. Quant à la validité de sa thèse, si tant est qu'elle ait été juste et non pas un peu caricaturale, elle est aujourd'hui très discutable, justement en raison de l'uniformisation des goûts apportée par la mondialisation, et aussi du fait de la seconde période d'innovation effrénée qui a eu cours de l'après-guerre à la fin des années 1980 et qui a projeté le pays en pleine lumière, dans tous les sens du terme, l'électronique en étant friande. Aujourd'hui, les Japonais urbains vivent au moins autant dans la lumière que les Occidentaux.

Pour finir, on ne peut pas faire l'impasse sur le rôle du traducteur René Sieffert, qui fut vraiment une des grandes figures de la diffusion de la connaissance de la littérature et de la civilisation japonaise en France. le texte qu'il nous livre est d'une langue à la fois distinguée, impeccablement française, et pour autant pas démodée, donnant une incontestable épaisseur à l'ouvrage. Il semble que la récente et nouvelle traduction des éditions Picquier « Louange de l'ombre » soit heureusement d'un bon niveau également, mais je m'interroge toujours sur la pertinence de retraduire des textes dans un français actuel, au risque de perdre toute la saveur de la traduction originale. Il faudrait avoir connu l'auteur japonais, le Japon de son époque, et en plus parler parfaitement le japonais, pour s'imprégner au plus juste de sa pensée…Mais faisons avec ce que l'on a, car là non plus on ne reviendra pas en arrière, et le fait que ce petit livre en apparence anodin suscite encore aujourd'hui tant d'appétit de traductions et des notes aussi vertigineuses sur Babelio en dit long sur sa qualité intrinsèque !
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Un court essai sur l'esthétique du sombre.
Junichirô Tanizaki nous livre quatre-vingt-dix pages mêlées de réflexions et d'exemples sur la recherche du contraste qui contribue, selon lui, à la beauté de la société japonaise.
Il explore les particularités de l'architecture des maisons qui produit des nuances de tons sombres, de l'auvent des toits, la laque des porcelaines qui réfléchit et magnifie tout autant la lumière que l'obscurité.
Il est également question de la femme japonaise, la blancheur de peau rehaussée par le noircissement volontaire des dents.
L'auteur déplie un éventail des particularités nippones tournées vers cette constante recherche des contrastes dans un but esthétique.
Son récit lui-même se concentre sur la lumière avant de céder à l'attrait de l'ombre.
Il oppose l'esthétique nippone à celle de l'occident, qu'il juge inintéressante, voire vulgaire.
Cet ouvrage est paru au moment où le Japon s'ouvrait à l'Occident et transcrit avec pudeur, la crainte de l'auteur de voir la spécificité de son pays se détériorer.
C'est donc le Japon d'avant, presque médiéval qui nous est relaté dans cet essai. L'auteur ne retient que les belles choses, comme souvent dans le sentiment nostalgique, mais il les dépeint avec passion et poésie. On ne peut qu'être sensible devant cette perte que l'auteur sent poindre inéluctablement.
Eloge de l'Ombre dépeint la beauté d'un Japon idéalisé par beaucoup d'occidentaux.
J'ai trouvé de belles références et des réflexions intéressantes sur notre constante recherche de modernité.
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Magnifique petit livre publié en 1933 ,qui n' a absolument pas vieilli
J'ai eu la bonne idée de le lire avant un récent voyage au Japon
Pendant le séjour , j'y ai souvent pensé
Pas bien sûr au centre de Tokyo ,saturé de lumières tapageuses mais dans les ryokans, les temples ,les monastères.
Toute la subtilité, la finesse ,la poésie du texte de Tanizaki y était
Un Japon plus secret ,encore très présent dans le monde contemporain,que j' ai pu apprécié à travers la vision originale de ce grand écrivain
À conseiller à tous ceux qui veulent aller plus loin dans la perception historique et artistique du Japon
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Malgré quelques incursions, je connais peu la littérature japonaise
Éloge de l'ombre de Junichirô Tanizaki m'a été offert par une amie très proche dans des circonstances particulières, il y a environ un an et demi, alors que je traversais une période très difficile… La hauteur de ma PAL fait que je l'ai lu seulement ces jours-ci…

Cet essai regroupe des réflexions de Junichirô Tanizaki sur la conception japonaise du beau.
Dans un style particulièrement fluide et accessible, il nous propose d'éteindre les lampes, de créer des zones obscures pour mettre en valeur la beauté qui nous entoure.
L'auteur nous parle d'architecture, de contraintes dans la construction des maisons japonaises. Il développe longuement des raisonnements sur la décoration des intérieurs, privés ou destinés à un usage public, sur le mobilier, la vaisselle, les matériaux, la gastronomie… Personnellement, je vais considérer d'un autre oeil les objets en laque, la préparation des sushis, la forme des toitures japonaises, etc.
Il évoque aussi la condition féminine, les standards de beauté très différents des normes occidentales…
Sa conclusion, en direction des lettres et des arts, est en faveur d'un dépouillement, d'une diminution de l'éclairage pas seulement électrique, mais aussi médiatique… L'occident gagnerait sans doute à adopter, un peu, la culture de l'ombre.

Toujours encline à mesurer les enjeux de la traduction, je m'interroge sur le travail mené par le traducteur, René Sieffert, qui nous donne à lire des ressentis complexes et intuitifs dans une langue belle, poétique, convaincante, didactique, respectueuse sans aucun doute du texte original car sa préface démontre une réelle connaissance de son sujet.

J'ai adoré ce petit livre (90 pages), lu par petites doses, savouré.
Une pause bénéfique.

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Le mode de vie traditionnel japonais est fait d'infinies nuances, un peu à l'image de la lumière, qui, sans brutalité, traverse les cloisons de papier des maisons et laisse deviner plus qu'elle n'éclaire, jouant entre ombre et lueur.

Cet esthétisme si particulier se retrouve encore aujourd'hui dans la culture et la vie japonaise, malgré une occidentalisation et un modernisme de plus en plus présents.
Cet " éloge de l'ombre" nous ouvre les portes d'un univers subtil et nous dit le combat de son auteur pour sauvegarder la tradition.
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Délicat et passionnant !

J'ai trouvé l'ouvrage terriblement contemporain dans le style et l'humour (oui, les japonais peuvent être drôles !). C'est une invitation à l'observation et à l'analyse de notre environnement quotidien, un retour aux matières nobles et élégantes du Japon traditionnel. Très beau texte !
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Éloge de l'ombre / Junichirô Tanizaki (1886-1965)
Ce petit ouvrage d'une centaine de page est un essai évoquant et analysant l'esthétique japonaise. Publié en 1933 au Japon, il le fut en 1977 en France avec une magnifique traduction de René Sieffert.
Junichirô Tanizaki, tout au long de cet essai très facile à lire et extrêmement intéressant, défend une manière d'esthétique de la pénombre en réaction parfois à l'esthétique occidentale où la lumière fait loi.
Par ailleurs il compare les divers usages de la lumière chez les Japonais et les Occidentaux. L'exemple du très symbolique « tokonoma » nippon (alcôve décorative dans la maison traditionnelle japonaise), chef d'oeuvre du raffinement, vient illustrer ce goût du clair-obscur.
L'esthétique du « sabi », c'est-à-dire la patine du temps, fait partie des canons de la beauté chez les japonais, et s'oppose à la manie de la netteté chez les Occidentaux.
Tout l'art nippon est ainsi passé en revue, l'architecture, la peinture, la décoration, et aussi les maisons et les matériaux utilisés, bois, chandeliers, papiers des « shôji » (cloisons) et « fusuma » (porte coulissante), couleurs des peintures, lumière des toilettes. Tanizaki écrit :
« La lumière indirecte et diffuse est le facteur essentiel de la beauté de nos demeures…En jouant sur le degré d'opacité de l'ombre, on se passe de tout accessoire. ».
L'art de choisir un chandelier est lié au besoin d'obtenir une lueur incertaine qui mette en valeur la beauté des laques japonais. L'auteur va même jusqu'à dire que l'obscurité est la condition indispensable pour apprécier la beauté d'un laque. La couleur d'un bol est capitale pour apprécier une soupe miso : il doit être de laque noir. Et tout l'art culinaire et gastronomique est ainsi analysé. Pour que ce soit bon, il faut que cela soit beau et pour ce faire il faut accorder cette cuisine avec l'ombre.
Les Japonais ont une préférence pour les tons et les reflets adoucis et voilés, ainsi que la patine alors que les Occidentaux aiment la netteté et la nitescence. L'exemple du papier hôsho est bien développé qui occupe une place importante dans l'agencement des pièces des maisons japonaises : il absorbe la lumière mollement au lieu de la refléter.
Est abordé aussi l'exemple du cinéma et du théâtre nô japonais qui aime les jeux d'ombres et l'art des contrastes. Même réflexion pour l'art photographique. L'art oratoire est même évoqué en ce sens que l'auteur compare les pauses à des ombres. L'orateur japonais aime cultiver l'ellipse et la métaphore et accorde une importance capitale aux silences. La création artistique selon l'auteur, que ce soit la peinture ou la sculpture ne peut créer de la beauté qu'en faisant naître des ombres dans des endroits par eux-mêmes insignifiants. Et il ajoute : « le beau n'est pas une substance en soi, mais rien qu'un dessin d'ombres, qu'un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substances diverses…Le beau perd son existence si l'on supprime les effets d'ombre. »
L'esthétique de la femme japonaise est également abordée livrant des clés pour la compréhension d'un des types de femmes qui hantent la plupart de ses romans, à savoir la « femme de l'ombre ».
À la fin, c'est le paradoxe absolu, Tanizaki se désespère de voir que le Japon use de l'éclairage sans compter dans les villes, dépassant l'Europe et presque l'Amérique et il ajoute : « Nous voyons à quel degré d'intoxication nous sommes parvenus, au point qu'il semble que nous soyons devenus étrangement inconscients de l'éclairage abusif. » de nos jours, ces lignes sont devenues prémonitoires.
En cadeau de fin, Junichirô Tanizaki nous offre la recette complète des sushi aux feuilles de kaki, son mets préféré.


Ce petit ouvrage est considéré par nombre de spécialistes comme son chef-d'oeuvre, livrant au lecteur attentif ses réflexions sur la conception japonaise du beau.
Junochirô Tanizaki, un des plus célèbres écrivains japonais, a toujours voulu rester étranger à toutes écoles et tendances littéraires, et offre de ce fait une oeuvre exceptionnelle extrêmement divers, tout à fait hors catégorie. Accusé de diabolisme, il en rajouta une couche afin de bien persuader les moralistes de l'insondable noirceur de son âme. Il fut alors taxé d'esthétisme décadent et en rit.
Mot final : « J'aimerais élargir l'auvent de cet édifice qui a nom « littérature », en obscurcir les murs, plonger dans l'ombre ce qui est trop visible, et en dépouiller l'intérieur de tout ornement superflu. » Pour qui a lu ses beaux romans, ces lignes annonçaient la couleur.


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