KAROO,
Steve TesichKaroo, roman posthume paru aux Etats-Unis en 1998, deux ans après la mort de son auteur, vient seulement d'être traduit en France aux Editions
Monsieur Toussaint Louverture.
On est en 1989, à New York. Saul
Karoo est un homme riche, la cinquantaine bedonnante, dont le métier consiste à réécrire les scénarios pour les adapter aux normes hollywoodiennes les plus lucratives.
Saul se définit comme un homme malade atteint de diverses névroses, parmi lesquelles il en est deux qui le désolent particulièrement.
La première est une incapacité à être subjectif : tous les événements et individus sont en effet soumis à son objectivité, ce qui implique une mise à distance systématique l'empêchant de savoir finalement ce qu'il éprouve. La deuxième, très récente, le désespère :
Karoo est immunisé contre l'alcool, il lui est désormais impossible d'être ivre. « Je n'y comprenais rien. Mais alors rien du tout. le sang, après tout, ça restait du sang, et si vous y mettiez un peu du vôtre et que vous vous assuriez que la proportion d'alcool dans votre sang excédait bien le cinquième, alors, suivant toutes les définitions de l'ébriété, vous étiez ivre. N'importe qui le serait. C'était une question de biologie. Et pas uniquement de biologie humaine, d'
ailleurs. Les chiens aussi pouvaient être ivres. (...) Et les cochons. Et il y avait bien des rats alcoolos qui se pochetronnaient au gros rouge. Les éléphants, j'en étais sûr, pouvaient être ivres. Les rhinos. Les morses. Les requins-marteaux. Aucune créature, humaine ou non, n'était immunisée contre l'alcool. Sauf moi.”
Vous l'aurez compris,
Karoo est un personnage original dans un roman qui l'est tout autant. Il se raconte à la première personne dans quatre chapitres sur cinq. On le suit, on le voit évoluer et l'on prend le temps de se familiariser avec lui. Il est l'anti-héros par excellence : un cynique désabusé, souvent odieux, ne cessant de mentir, incapable de supporter la moindre intimité avec ses proches, même avec son fils. On devrait le trouver antipathique et pourtant... L'acuité de
Karoo, sa très grande lucidité sur la nature humaine et la société américaine, ce dégout de lui-même, le rendent souvent touchant et finalement humain.
Puis un jour, alors que
Karoo visionne un film qu'il doit réécrire, un élément bouleverse sa vie. Dès lors, il va décider de s'engager sur la voie de la rédemption qui sera en réalité, comme on le comprend très vite, celle de sa chute. Si l'on rit énormément, ce livre demeure une tragédie (les cinq chapitres font évidemment penser aux cinq actes d'une pièce), mais aussi une véritable épopée :
Karoo voudrait d'
ailleurs réaliser un film sur Ulysse.
Selon la quatrième de couverture, « c'est à la fois Roth et Easton Ellis,
Richard Russo et
Saul Bellow » : on retrouve en effet des thématiques chères aux auteurs américains mais Tesich a su écrire une oeuvre profondément originale et singulière, entre humour noir, cynisme et désenchantement. Un grand livre !
Bénédicte Savelli 2012
Lien :
http://www.musanostra.fr