Le Silmarillion, c'est toujours une lecture un peu étrange puisque ce n'est pas un roman mais un ensemble de récits, une mythologie de la Terre du Milieu (enfin, de l'univers et du monde comprenant ce continent). du coup, je préfère y picorer les textes plutôt que de les enchaîner, et j'ai fait durer ma lecture. On remarque parfois des erreurs ou des contradictions, mais c'est souvent laissé volontairement comme cela par
Tolkien, malgré les relectures, à l'instar des récits mythiques perdus dans les limbes du temps et dont les détails varient selon les conteurs.
Je reviendrai sur la préface, que je lis toujours en dernier, pour me plonger d'abord dans l'histoire. le tome commence par l'Ainulindalë, la musique des Ainur, les dieux de l'univers de
Tolkien, que l'être suprême Eru (ou Ilùvatar, selon les peuples) créa dans un chant. Lequel se fondit dans celui de ces nouveaux êtres, jusqu'à créer un monde nommé Arda. L'analogie avec la religion chrétienne est forte, d'ailleurs
Tolkien parle de « Saints » et parmi eux, on remarque vite le déchu Melkor qui ose s'opposer à son créateur et à ses frères et soeurs. Certains des Ainur iront s'incarner sur Arda et la partie suivante, la Valaquenta, détaillera ces noms que l'on peut trouver en filigrane dans les autres récits de l'auteur. Que ce soit Manwë le dieu du vent, Ulmo le seigneur des eaux, Aulë qui créa les nains, Varada la Dame des Etoiles, Yavanna la déesse de la nature et tant d'autres, puisqu'ils sont quatorze en tout et portent souvent plusieurs noms en fonction des peuples avec lesquels ils ont interagi. Tous sont également venus assister à l'arrivée des Enfants d'Ilùvatar (les elfes et les humains) et pour se faire ont façonné le monde, en étant le plus souvent en contradiction avec Melkor qui cherchait à dominer et à détruire ce qu'il ne pouvait maîtriser. Côtoyant ces Valar, ces dieux de très grand pouvoir, quelques êtres de « moindre » pouvoir, les Maiars, sont également cités. Les lecteurs du Seigneur des Anneaux en connaissent quelques uns même s'ils sont relativement discrets à cette époque largement ultérieure.
Après ces récits fondateurs commence la Quenta Silmarillion, la longue histoire des Silmarils qui relate l'arrivée des elfes sur une terre en conflit entre les dieux. Terrifiés par Melkor qu'ils appelleront ensuite Morgoth (le Sombre Ennemi du Monde), certains suivront les Valar jusqu'à leur havre de paix, Valinor, tandis que d'autres resteront sur place ou se perdront en chemin. Ainsi, le peuple des elfes se scindera en plusieurs groupes : Vanyar, Noldor, Sindar… et peuplera le Beleriand, une région de l'Ouest de la Terre du Milieu.
Mais la tragédie ne viendra pas (que) des forces du mal, car l'elfe Fëanor, aussi doué qu'orgueilleux, arrivera à capturer la lumière divine dans trois joyaux exceptionnels, les Silmarils. Sous les actions néfastes de Melkor, aidé d'Ungoliant l'araignée monstrueuse, le paradis des Valar est corrompu et seule la lumière émise par les Silmarils serait encore capable de soigner le mal. Hélas, Melkor s'est enfui avec, et les elfes affiliés à Fëanor prononcent le terrible serment de récupérer leur bien, quel qu'en soit le coût. Et ce coût sera particulièrement élevé au sein des elfes qui vont se déchirer sous le joug de ce qui deviendra une malédiction au cours des siècles. Je ne vais pas décrire plus avant les multiples péripéties épiques et les dizaines de noms de personnages qui apparaissent dans le récit, mais il s'agit d'une tragédie, d'une sorte de chute du paradis pour la plupart des elfes, qui vont devoir s'installer en Terre du Milieu, se cacher dans des forêts ou des forteresses inexpugnables tandis que les forces de Melkor/Morgoth déferlent sur le Beleriand et massacrent tous ceux qu'ils rencontrent. Des héros tourmentés, de belles dames chantant et dansant dans des sous-bois enchantés, l'arrivée au monde des Hommes, des combats glorieux ou infâmes se succèdent au cours de ce Premier Age de plusieurs siècles.
Le style est assez archaïsant (moins dans cette nouvelle traduction que dans la précédente) et souvent assez direct puisqu'il ne s'agit pas d'un roman mais d'une sorte de survol, ou de résumé des événements qui, s'ils sont précisés, ne sont pas toujours très détaillés. D'autres récits sont issus du Silmarillion, tels
Beren et Lúthien ou
La Chute de Gondolin ou encore
Les Enfants de Húrin – et il faudra les lire si on veut une version plus complète et « romancée » de chaque fragment.
La saga du Silmarillion n'est pas sans analogie avec celle du Seigneur des Anneaux et ce n'est donc pas une surprise si, au fil des pages et tandis que Morgoth finit par être capturé et emprisonné par les Valar, c'est son lieutenant le plus fidèle (quoique…) et puissant, Sauron, qui finit par se faire un nom dans les chroniques de
Tolkien. Si son maître a fragmenté le lien entre les dieux et les elfes, Sauron s'en prendra aux humains de l'île mythique de Númenor, les poussant contre les Valar en jouant sur leur orgueil et leur peur de la Mort. Cette déchéance sera relatée dans un texte nommé l'Akallabêth, qui se termine par une intervention divine (presque une version revisitée du Déluge ou de l'Atlantide !) et sonne le glas du Beleriand, partiellement précipité dans les eaux tandis que la Terre du Milieu acquiert le forme qu'on lui connaît habituellement.
Le récit suivant est la chronique du Troisième Age, intimement lié à la saga des Anneaux du Pouvoir, forgés par les Noldor avec l'aide de Sauron (qui forgea lui même en secret l'Anneau Unique pour les amener tous, et dans les ténèbres les lier…). Là les noms des protagonistes sont plus connus, Elendil, Isildur, Gil-galad, Elrond et les autres tandis que les lieux sont plus familiers : le Mordor, le Gondor, Minas Tirith, Imladris, Grand'Peur. Une histoire ici résumée mais qui est à lire dans la trilogie la plus célèbre en littérature de l'Imaginaire.
En complément, plusieurs annexes comprennent des arbres généalogiques, des notes (intéressantes) sur la prononciation, plus de quarante pages d'index (arf), les principaux vocables en quenya et sindarin raviront les amateurs et quelques préfaces, dont un extrait de lettre de
Tolkien a son éidteur pour présenter son oeuvre, figurent au sommaire.
Le Silmarillion est plus aisé à lire grâce à cette nouvelle traduction de
Daniel Lauzon, qui avait déjà revisité le Hobbit et le SdA. Ici l'impact sur les noms est moindre et donc la transition moins « traumatisante ». J'ai comparé quelques passages avec l'ancienne version, qui ne démérite pas mais est sans doute parfois plus désuète. le style de
Tolkien est, comme dit plus haut, archaïsant, avec profusion de « lors… » ou « ores ») ce qui fait, ou pas, son charme selon que l'on apprécie ou pas ces récits légendaires contés comme tels. Gros bonus à cette nouvelle édition, qui a été en rupture de stock et vient de redevenir disponible, la cinquantaine d'illustrations délicates, précises et évocatrices de
Ted Nasmith qui se marient parfaitement avec les textes.
Que dire de plus ? Parfois ardu, comportant une avalanche de noms, de lieux, se déroulant sur plusieurs millénaires,
le Silmarillion est quand même un incontournable pour tout fan de
Tolkien et de fantasy, il prolonge les récits mythiques de
Tolkien connus de tous en les intégrant dans une longue histoire du monde. Et cette édition lui fournit un bien bel écrin.
A retrouver sur mon blog de lectures de l'Imaginaire
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